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Liban - La vie, mode d’emploi

2 – Le salut par le coach

Il est apparu sur le marché des produits miracle sans se faire annoncer, ou moi je n'ai pas su le voir venir. Et peut-être après tout n'est-il que la dernière version de ce que fut, il n'y a pas si longtemps, notre entraîneur sportif et notre répétiteur d'études. Une version mixte où sont conjuguées l'agressivité de l'un et la ténacité de l'autre. Et cette nouvelle mouture a l'avantage d'avoir fait gagner de la respectabilité à l'un et à l'autre.
Le coach est devenu la Bible et le Coran. Tout est référé à lui comme autorité suprême. Aussi, me semble-t-il, Dieu le Père lui-même paraît menacé par ce rejeton du professeur de gymnastique et du pion. Vous vous livrez à lui corps, âme et esprit (de La Boétie sans amitié avec la seule servitude volontaire) et il vous modèle suivant un programme personnalisé. Bien sûr, il peut se faire que vous découvriez que c'est le patron qui a aussi servi pour votre ami, mais il ne faut pas mettre en doute ni ses capacités inventives ni votre capacité à l'intéresser : il a simplement appliqué la règle du « qui s'assemble se ressemble » et à dupliquer le document de son ordinateur.
Vous le voyez, et c'est comme une apparition qui sauve. Il est, en effet, par son seul aspect, la réclame et sa satisfaction parfaite. Pourtant, et ici cela est plus vrai que jamais, il ne faut pas se fier aux seules apparences. Car le coach est infiniment plus qu'un semblant de puissance. Il est ce que, pour certains philosophes, est essentiellement l'homme et, pour certains théologiens, essentiellement Dieu : volonté. Il est ce « Je veux et la lumière fut », même si vous devez traduire : il est ce « Je veux et le muscle fut ». Il est la garantie que la velléité deviendra résolution et action. Il ne sophistique pas avec vous sur vos humeurs du jour et vos rêves de la nuit, sur vos intuitions de l'heure et vos peurs d'enfant. À peine le saluez-vous, qu'il vous a déjà projeté sur votre machine à muscler et, comme une machine lui-même, se met à compter, à hurler, à vous provoquer, à vous refuser tout répit, à vous féliciter laconiquement, à vous rudoyer sans ménagement, à vous assurer que du muscle vous aurez ou qu'il ne s'appelle ni coach, ni Dieu, ni Nagi. Si vous survivez à un tel bizutage et acceptez qu'il se renouvelle au rythme de deux fois la semaine, vous pouvez être sûr que du muscle se développera (il faut craindre seulement qu'il ne vous dévore les autres parties du corps) et quelque chose comme de la solidarité dans un même attelage (« Je ne peux laisser tomber mon coach, aujourd'hui : je vais m'excuser pour ce repas familial traditionnel ! »).
Mais tout n'est pas dans le corps, comme votre coach, le premier, le reconnaîtra. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner qu'il oublie quelquefois de compter, pour énoncer une sentence qui doit nourrir votre âme et votre esprit : c'est l'immémorial « rien de trop », précepte qui ne s'est jamais demandé si, depuis l'époque de Solon, il n'avait pas, lui, un peu trop duré. Vous le recueillez avec reconnaissance comme l'oracle d'un Dieu parcimonieux. Vous le répétez, le soir, religieusement à vos amis du club entre le vin que vous buvez modérément et un dessert dont vous vous privez pour être en forme et surtout, comme vous l'avouez d'une voix émue, « pour que Nagi soit content de moi ! ». Vous voilà revenu à la douce enfance où l'on vous tenait la main même quand vous jouiez dans le parc. Kant avait bien vu la paresse et la lâcheté qu'il y a à rester mineur, à avoir un tuteur pour penser, agir et se bien nourrir. Il n'avait pas prévu la lâcheté plus grande qui est celle de redevenir mineur.
Ose vouloir par toi-même ! Telle devrait être notre nouvelle devise. Du coach seulement pour ne plus en avoir. Comme un vaccin.

Nicole HATEM
Chef du département de philosophie de l'Université Saint-Joseph

Il est apparu sur le marché des produits miracle sans se faire annoncer, ou moi je n'ai pas su le voir venir. Et peut-être après tout n'est-il que la dernière version de ce que fut, il n'y a pas si longtemps, notre entraîneur sportif et notre répétiteur d'études. Une version mixte où sont conjuguées l'agressivité de l'un et la ténacité de l'autre. Et cette nouvelle mouture...

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