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Liban - Crise des déchets

Exportation : semaine décisive ou nouvelle valse d’atermoiements ?

Des indications officielles sur une destination pour les déchets libanais devraient être apportées d'ici à vendredi, mais l'exportation en tant que telle ne débuterait que fin février. La société civile, toujours aussi sceptique, attaque le processus en entier, arguments à l'appui.

Des montagnes de déchets à l’est de la capitale. Quel sera le sort de ces ordures amoncelées depuis des mois ? Joseph Eid/AFP

Ce vendredi expire le délai accordé aux compagnies (plutôt à la seule compagnie qui reste, la britannique Chinook) pour fournir les documents de l'approbation d'un pays qui accepterait d'accueillir les déchets du Liban pour une période de dix-huit mois. Si toutefois on peut toujours prendre au sérieux les délais qui, dans ce dossier d'une opacité absolue, sont sans cesse repoussés. C'est en tout cas ce qu'a annoncé le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb en fin de semaine dernière dans une interview à la LBC, et qu'a confirmé à L'OLJ une source proche du dossier. Cette dernière laisse entendre que « le nom du pays sera directement annoncé de manière officielle dès que toutes les garanties auront été présentées, peut-être même dès mercredi si la compagnie réussit à clore son dossier d'ici là ».
Autre information apportée par Akram Chehayeb lors de son interview : dans tous les cas de figure, l'exportation, décidée le 21 décembre dernier, ne se concrétisera qu'à partir du 28 février au plus bas mot. Dans plus d'un mois. Et le processus qui, après tout, est une question d'intérêt public, se poursuit dans le secret le plus total. Un secret qui soulève de nombreuses interrogations, et non des moindres, sur ce qui se trame derrière des portes closes, malgré toutes les assurances des officiels.
Arguments à l'appui, des membres de la société civile décryptent le suivi des événements et des déclarations, mettant l'accent sur ce qu'ils appellent les irrégularités, soupçonnant tantôt des marchés douteux, tantôt des difficultés insurmontables qui entravent le plan gouvernemental. Ils s'interrogent sur la finalité de cette étrange option d'exportation retenue par le gouvernement, surtout au regard des retards dans le règlement de la crise des déchets, toujours au même point plus de sept mois après son déclenchement, le 17 juillet. Certains arrivent même à douter de la concrétisation et de ce plan, et s'expliquent.

  • « Pas le temps ? Sept mois plus tard ? »

Quelle que soit la destination finale retenue, l'expert Naji Kodeih, président d'honneur d'IndyAct, affirme qu'il ne faut pas perdre de vue que « l'exportation des déchets reste une option inacceptable, et n'est en aucun cas une solution ». Il retient plusieurs irrégularités qui ont déjà entaché ce processus. « Il y a plusieurs faits qui, s'ajoutant au secret dont la commission chargée de ce dossier entoure les négociations, nous font soupçonner un marché douteux et un non-respect des lois internes et internationales, dit-il. Le plus frappant est que le choix des compagnies n'a fait l'objet d'aucun appel d'offres, et n'obéit à aucun cahier des charges. »
Le ministre Chehayeb soutient qu'il n'y avait pas le temps pour cela... « Pas le temps ? s'insurge le militant. Sept mois que les déchets sont dans les rues et il n'y a toujours pas le temps de faire des appels d'offres et respecter les procédures ? Ce n'est très clairement pas la raison de ces actes. Je suis certain aujourd'hui qu'il y a autre chose en jeu, de bien plus sombre, avec des sommes faramineuses en vue. » Des irrégularités, Ali Darwiche, président de Green Line, en relève aussi de nombreuses : « Sans parler des appels d'offres inexistants, la commission avait retenu sept compagnies dont elle n'a gardé que deux. Puis une d'entre elles s'est avérée inadaptée à cette mission. Mais quelles sont les cinq autres ? Il est bizarre qu'elles n'aient jamais été présentées. »
À ce propos, que dire du prix fixé d'avance, 195 dollars la tonne, sachant que la destination peut être plus ou moins lointaine (on parle de destinations aussi différentes que la Turquie ou un pays africain) ?
« Suivant mes estimations, il sera difficile de s'en tenir à ce prix, et même de rester en deçà de 270 dollars, dit-il. Cet aspect aussi reste très opaque. À quoi faut-il s'attendre d'un gouvernement qui n'a pas voté de budget depuis dix ans ? »
À noter que dans un article datant du 20 novembre dernier, Jad Chaaban, professeur d'économie à l'AUB, avait estimé que le coût de l'exportation serait facilement dix fois supérieur à un plan simple mis en place dans le pays.
Les lois internes ne sont pas les seules à avoir été outrepassées dans ce processus, des lois internationales pourraient ne pas être respectées. Naji Kodeih, qui est un spécialiste de la Convention de Bâle sur le transport des déchets, s'explique : les déchets libanais, non triés à la base, contiennent de nombreux produits dangereux de provenances diverses. « Exporter nos déchets vers un pays qui a les capacités de les traiter équivaut à respecter les règles très strictes de la Convention de Bâle, dont le Liban est signataire, ce qui est difficile à réaliser, souligne-t-il. Sur un autre plan, l'Afrique, souvent citée comme destination potentielle, soulève un autre problème : les pays africains ont décidé de se protéger par la signature d'une convention entre eux, portant le nom de Bamako. Elle concerne les déchets toxiques, radioactifs et autres... c'est-à-dire tous types de déchets. » « En d'autres termes, conclut-il, même si l'exportation est lancée en pratique, le Liban sera exposé à des poursuites de la part de quelque partie que ce soit à tout moment. »

Pronostics divers
Malgré les nombreuses assurances du ministre Chehayeb, l'option de l'exportation semble pour beaucoup loin d'être garantie, au regard des multiples difficultés qui demeurent. Si Naji Kodeih se dit convaincu que tout a été mis en œuvre – y compris l'échec du premier plan Chehayeb fondé sur la création de décharges – pour concrétiser l'onéreuse et juteuse option de l'exportation, Ali Darwiche pense au contraire que ces atermoiements cachent un nouveau revirement dont l'objectif est de pousser les Libanais à accepter des décharges, puis des incinérateurs. Après tout, le 21 décembre, au moment de l'annonce du plan d'exportation, M. Chehayeb avait affirmé que les ministres avaient insisté pour remettre sur le tapis la décision d'importer des incinérateurs prise en 2010. Une grande partie de la société civile y est hostile. « Est-ce un hasard si la seule société retenue, Chinook, prétend être spécialisée en gazification, une sorte d'incinération ? » se demande-t-il.
Raja Noujaim, de la Coalition civile contre le plan gouvernemental pour la gestion des déchets, pense lui aussi que l'exportation n'est pas près de se concrétiser. « Je crois que le gouvernement table sur la fatigue des Libanais, qui leur ferait accepter une solution centralisée basée sur les décharges puis sur les incinérateurs », dit-il. Le militant annonce qu'en retour, la coalition compte présenter bientôt un plan complet de gestion des déchets, entièrement tourné vers l'intérieur, qui trouvera autant une solution aux déchets amoncelés dans les rues qu'à ceux qui seront produits au fur et à mesure.
Que l'exportation des déchets trouve sa voie vers l'application – dans plus d'un mois – ou qu'elle s'ajoute à la liste d'échecs de plans gouvernementaux, le Liban ne semble pas au bout de ses peines.

Ce vendredi expire le délai accordé aux compagnies (plutôt à la seule compagnie qui reste, la britannique Chinook) pour fournir les documents de l'approbation d'un pays qui accepterait d'accueillir les déchets du Liban pour une période de dix-huit mois. Si toutefois on peut toujours prendre au sérieux les délais qui, dans ce dossier d'une opacité absolue, sont sans cesse...

commentaires (3)

Au delà de la polémique d'exportation, l'urgence reste la recherche de solutions durable. Le citoyen Libanais ne doit pas accepter une solution qui ne soit pas avec tri à la source et avec ré-utilisation du recyclable. Seul le sort du déchet ultime devra être débattu. Où sommes nous?

PPZZ58

20 h 56, le 26 janvier 2016

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Commentaires (3)

  • Au delà de la polémique d'exportation, l'urgence reste la recherche de solutions durable. Le citoyen Libanais ne doit pas accepter une solution qui ne soit pas avec tri à la source et avec ré-utilisation du recyclable. Seul le sort du déchet ultime devra être débattu. Où sommes nous?

    PPZZ58

    20 h 56, le 26 janvier 2016

  • Cette situation est une veritable honte. Mais ce qui est encore plus honteux est le fait que le peuple soit silencieux... et qu'aucuns des medias indépendants (Journaux & TVs) fasse toute la lumière sur ce dossier. Dans le meilleur des cas, on réalisera une incompetence totale des responsables... et au pire des cas, un regime mafieux serait révélé! et, pendant tous ce temps, nous vivons entouré de poubelles: Scandaleux!

    Hanna Philipe

    18 h 53, le 26 janvier 2016

  • Et que fait notre SUPER-MINISTRE DE LA SANTE dans tout cela ? C'est bien de fermer boucheries, restaurants et autres locaux insalubres... Mais qu'en est-il de ces montagnes d'ordures qui s'amoncellent partout à l'air libre ? Moi, à sa place, je déposerais une plainte officielle contre tous ces IRRESPONSABLES au Gouvernement pour mise en danger mortel de TOUS (env. 5 millions )les Libanais ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 07, le 26 janvier 2016

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