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À La Une - Reportage

A Chypre, 17 ans d'attente pour des réfugiés syriens et irakiens

"Nous sommes comme les restes que l'on jette aux chiens"...

Des enfants de réfugiés kurdes jouant dans une ruelle de la base souveraine de Dhekelia, dans le sud de Chypre. BEHROUZ MEHRI/AFP

Lorsque Taj Bachir a aperçu un littoral rocheux après plusieurs jours à bord d'un chalutier de pêche délabré, il pensait que son voyage périlleux devant l'amener de la persécution au Soudan à l'asile en Europe était enfin terminé. Mais 17 ans plus tard, il reste avec des dizaines d'autres migrants bloqué sur une base militaire britannique de l'île méditerranéenne de Chypre.

Leur sort est toujours dans un flou légal: ils ont obtenu le statut de réfugié sur la base mais ce qu'ils veulent c'est s'installer en Grande-Bretagne. "Nous nous habituons à attendre", se résigne Bachir, 43 ans, devant le bungalow de tôle ondulée qui lui sert de maison familiale sur la base souveraine de Dhekelia, dans le sud de l'île. "Nous sommes privés de la plupart de nos droits car nous sommes sur une base militaire".

Comme 74 autres demandeurs d'asile - essentiellement Syriens et Kurdes irakiens - Bachir a quitté les côtes du liban en 1998 mais il a échoué à Akrotiri, l'une des deux bases que le Royaume-Uni contrôle sur Chypre depuis l'indépendance de l'île. Ils ont été transférés à la base de Dhekelia, où près de la moitié y vivent encore, y ont acquis le statut de réfugié et se sont vus fournir un hébergement - des préfabriqués de 1960 perchés sur une colline broussailleuse donnant sur un champ de tir. Ce logement devait être temporaire, mais ils ne l'ont jamais quitté.

"Nous sommes comme les restes que l'on jette aux chiens", souffle Mustafa Shirmus, 41 ans, un Kurde syrien apatride qui se trouvait sur le même bateau que Bachir.

Ils pourraient théoriquement demander l'asile à Chypre, mais nombre de réfugiés estiment avoir peu de chances de trouver du travail. Beaucoup se sont mariés et ont eu des enfants, le tout dans la limite des sept kilomètres carrés de la base.

"Contribuer à la société"

Aujourd'hui, après 17 ans dans le flou juridique, six familles demandent un réexamen judiciaire contestant la position du gouvernement britannique. "Nos clients souhaitent pouvoir s'installer et faire leur vie au Royaume-Uni", explique Tessa Gregory, membre du cabinet d'avocats Leigh Day, chargé de défendre les familles. "Ils veulent travailler et contribuer positivement à la société."

Bien que le Royaume-Uni ait signé un accord avec Chypre sur le statut des réfugiés en 2005, Me Gregory estime que la position de Londres - selon laquelle les réfugiés peuvent séjourner sur le territoire britannique, mais pas se réinstaller en Grande-Bretagne - est contraire au droit humanitaire. Le gouvernement doit répondre en janvier, et l'affaire devrait être entendue à Londres en début d'année prochaine.

A Dhekelia, des réfugiés accusent le Royaume-Uni de bloquer progressivement les commodités pour les forcer à partir. Des aides médicales ont été retirées et une aire de jeux pour enfants laissée à l'abandon.
"Les Chypriotes disent que nous n'avons rien à voir avec eux et que nous relevons de la responsabilité de la base", explique Kovan al-Merz, 20 ans, originaire de Mossoul en Irak. "La base dit exactement le contraire. Chacun nous renvoie à l'autre partie".

"Pas de futur"

Kovan n'était qu'un enfant lorsque sa famille a atteint Chypre. Il a terminé le lycée l'an dernier et n'a plus rien à faire: "On sait que demain sera comme aujourd'hui".
Dans le salon de leur bungalow où un drapeau kurde orne le mur jauni, sa soeur Iman rêve d'université.
A 14 ans, elle fait partie des enfants nés à Dhekelia. Mais aujourd'hui, elle comprend que sa situation rend difficile tout projet futur. "Je ne veux pas rester ici. Je n'ai rien. Ni droits, ni futur", déplore-t-elle.

Selon l'Organisation internationale pour les migrations, quelque 990.671 migrants sont arrivés en Europe depuis le début de l'année. Le Royaume-Uni affirme avoir les ressources pour accueillir 20.000 d'entre eux sur cinq ans.

En octobre, 115 nouveaux migrants sont arrivés à Akrotiri. Plusieurs d'entre eux ont protesté contre leur traitement. "Cela donne une idée de la difficulté de notre situation", note Bachir.
Son fils de 15 ans, Emmanuel, a l'espoir d'étudier au Japon mais admet que la situation de sa famille peut saboter ses plans. "Pourquoi ne puis-je pas avoir une vie normale? Qu'ai-je fait pour mériter d'être rabaissé?", lance-t-il. "C'est difficile de se projeter".

Lorsque Taj Bachir a aperçu un littoral rocheux après plusieurs jours à bord d'un chalutier de pêche délabré, il pensait que son voyage périlleux devant l'amener de la persécution au Soudan à l'asile en Europe était enfin terminé. Mais 17 ans plus tard, il reste avec des dizaines d'autres migrants bloqué sur une base militaire britannique de l'île méditerranéenne de...
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