Zubair et Etan discutent via Skype deux à trois fois par semaine. Etan s’est rendue chez son oncle qui possède un générateur afin de pouvoir appeler son mari... Photos W.F.
Carborro, c'est ce petit bled du fin fond de la Caroline du Nord, à mille lieues de l'image archivue et délavée du rêve américain. 20 000 âmes éparpillées sur 17 kilomètres carrés, un cimetière en bord de route et des arbres aux couleurs automnales. Zubair Rushk, lui, adore. « Ça correspond à ma personnalité », assure ce trentenaire en réajustant les lunettes qui couvrent ses yeux bruns.
En 2005, ce Syrien originaire de la ville kurde de Qamichli a fui son pays natal pour s'échouer dans le sud des États-Unis après un détour de cinq ans par le Liban. Arrivé réfugié, il est, depuis cet été, citoyen américain.
Zubair foule du pied les feuilles mortes qui jonchent l'allée menant à sa maison en briques rouges quand trois bips sonores font vibrer sa poche. « C'est ma femme ! » sourit-il sans regarder son téléphone. Il est 14h, et comme tous les jours ou presque, son épouse l'appelle pour prendre de ses nouvelles. Ils sont mariés depuis bientôt trois ans et sont ensemble depuis une décennie.
Dans le petit salon imprégné d'une odeur de cigarette et de narguilé froid, le Kurde syro-américain s'empresse d'allumer son ordinateur portable. Une mèche aux reflets rouges et le sourire timide d'Etan apparaissent alors à l'écran. La connexion Internet est hésitante, mais c'est le seul moyen de communication qu'ils ont. Lui a fui les persécutions du régime avant même que le printemps arabe ne fasse trembler la Syrie. Elle, à l'aube de ses 25 ans, connaîtra bientôt son quatrième hiver dans un pays ravagé par la guerre. En février prochain, cela fera trois ans que les mariés ne se seront pas embrassés.
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La chaise allemande
Avant la révolte, lorsque l'emprise de Bachar el-Assad sur le territoire syrien était totale, la culture kurde était alors durement réprimée. Pour transmettre leur langue, Zubair et quelques amis avaient décidé d'organiser chez lui des cours pour enfants. L'école clandestine vivra trois mois, jusqu'à ce que des agents du régime la découvrent et jettent Zubair en prison.
Enfermé avec 82 codétenus dans une pièce qu'il décrit comme aussi grande que son salon, il dormira par intervalles de deux heures, la cellule étant trop étroite pour que tout le monde puisse s'allonger en même temps. De ses sept mois d'incarcération, il n'oubliera jamais « la chaise allemande » : une technique de torture qui prévoit que le sujet, parfaitement immobilisé, reçoive de façon ponctuelle une goutte d'eau sur le front, et ce pendant des heures. « Les dix premières minutes, j'ai cru que c'était une blague. Ce n'était rien en comparaison avec les passages à tabac, c'était comme une douche ! Mais après un certain temps, chaque goutte devient aussi douloureuse que le coup d'un marteau. Quand je suis arrivé au Liban, j'avais perdu 60 % de ma mémoire. »
Relâché avant son jugement, il en profite pour fuir le pays, cherchant l'exil à Beyrouth où, pendant cinq ans, il attendra que l'ambassade américaine lui accorde le droit d'asile. Zubair l'avoue, il rend parfois visite à un psychologue pour parler de ses cauchemars récurrents.
Malgré ses traumas, il a su se reconstruire une nouvelle vie aux États-Unis. « C'est le pays de l'immigration. En arrivant ici, je savais que je ne serais plus un citoyen de seconde classe comme je l'étais en Syrie en tant que kurde », se souvient ce rescapé.
« Si ces nouvelles règles sont appliquées... »
C'est en 2013, en Turquie, que Zubair et Etan se marient. Pas de cérémonie, pas même d'alliances, si ce n'est la bague à l'effigie du drapeau américain qu'elle lui a offerte. Après quelques semaines, il est déjà temps pour eux de se séparer. Elle doit retourner à Qamichli, tandis qu'il lui promet de la sortir de l'enfer syrien le plus rapidement possible.
Mais la guerre en Syrie n'est pas le seul conflit qui sépare les époux. Suite aux attentats de Paris, plus de la moitié des gouverneurs des États-Unis – y compris celui de la Caroline du Nord – ont marqué leur opposition à la décision de Barack Obama d'accueillir 10 000 réfugiés syriens d'ici à un an, craignant qu'ils ne représentent une menace. Alors que la campagne des primaires pour la présidentielle bat son plein, plusieurs candidats à l'investiture républicaine ont enchaîné les déclarations polémiques, à l'image de Ben Carson qui a comparé les réfugiés syriens à des « chiens enragés ».
Six jours après les attaques du 13-Novembre, la Chambre des représentants a adopté un texte en faveur de la suspension de l'accueil de réfugiés syriens et irakiens, au grand désarroi de la Maison-Blanche qui a d'ores et déjà annoncé que le président mettrait son veto si la mesure devait être approuvée par le Sénat.
« Ma plus grande peur, c'est de ne pas être capable de faire venir ma femme si ces nouvelles règles sont appliquées », explique Zubair. Lui et Etan espéraient se retrouver dans « deux ou trois mois », mais ils craignent de devoir retarder leurs retrouvailles. « M'empêcher de le rejoindre aux États-Unis, ce serait un peu comme me tuer », soupire Etan à travers l'écran de l'ordinateur. Elle se tourne alors vers son mari, assis sur un canapé à 10 000 kilomètres d'elle, et ajoute : « Je crois en toi, je sais que tu fais tout ton possible. »
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Le docteur et l'agronome
En attendant que sa femme bénéficie enfin du statut de réfugiée, Zubair Rushk soutient d'autres exilés. Il va les chercher à l'aéroport, leur apprend un peu d'anglais et organise des visites de la ville pour ces rares heureux élus qui ont pu bénéficier de l'aide de l'organisation Church World Service.
Pour Ellen Andrews, directrice d'une antenne locale de cette agence chargée de réinstaller des réfugiés, le débat actuel sur la supposée menace que représentent ces immigrés n'est dirigé que par la peur, pas par les faits. « Le programme de réinstallation est le moyen le plus compliqué d'entrer aux États-Unis, et les réfugiés sont les personnes les plus minutieusement sélectionnées », insiste-t-elle.
« Personne plus que nous ne veut être certain que le cas de tous les réfugiés de n'importe quel pays soit soigneusement examiné pour d'éventuels liens avec des terroristes. Car si l'un d'entre eux entrait dans ce pays alors qu'il ne le devrait pas, ce serait catastrophique pour notre programme », conclut Ellen Andrews. Selon la Maison-Blanche, sur les 2 174 réfugiés syriens admis aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001, pas un seul n'a été arrêté ou déporté pour des motifs liés au terrorisme.
Face au rejet grandissant des réfugiés, et particulièrement des Syriens, Zubair se dit en colère. « C'est l'une des raisons pour lesquelles je vois un psychologue, confie-t-il. Je suis tellement déçu, j'ai l'impression d'être à nouveau un citoyen de seconde classe. » Auprès de ses concitoyens, il dit avoir pourtant trouvé « respect, tolérance, égalité des chances et éducation », et espère que, une fois la controverse retombée, sa femme aura la même occasion.
Si Etan parvient à venir aux États-Unis, elle souhaite continuer ses études en agronomie. Son mari, pour sa part, commencera l'école de médecine au prochain semestre. Il veut devenir chirurgien.
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Si ZUBAIR est c itoyen americain il a droit au reagroupement familial et sa femme n a pas besoin de demander l asile politique aux USA...elle peut demander un visa comme conjoint de c itoyen US....me semble t il.
08 h 19, le 16 décembre 2015