Il semble de plus en plus clair qu'un nouveau rendez-vous manqué avec l'élection présidentielle attend le Liban et les Libanais le 16 décembre. L'initiative lancée par le chef du courant du Futur Saad Hariri de faire élire le chef du courant des Marada à la tête de la République se heurte à de nombreux obstacles, à la fois dans le camp des alliés de Sleiman Frangié lui-même que dans celui du 14 Mars.
Si le 8 Mars et le CPL considèrent la proposition comme une victoire incontestée de leurs options stratégiques, plusieurs questions se posent sur son timing et sur la manière dont elle a été lancée, et qui pourrait cacher de nombreux pièges. Sur le plan du timing, les milieux du 8 Mars et du CPL se demandent pourquoi l'Arabie saoudite, qui vient de durcir ses positions sur le dossier syrien par le biais de la réunion des factions de l'opposition syrienne à Riyad, qui a pratiquement paralysé le processus de Vienne, accepterait-elle actuellement l'élection à la présidence du Liban du plus loyal allié du président syrien, l'ancien ministre Sleiman Frangié ? Au moment où le royaume wahhabite a encouragé les factions de l'opposition syrienne réunies à Riyad à exiger avant tout dialogue le départ du président syrien, ramenant la situation au point de départ, on comprend mal pourquoi il jetterait du lest au Liban, non seulement au Hezbollah qu'il vient de sanctionner en retirant la chaîne al-Manar du bouquet de chaînes distribuées par le satellite Arabsat, mais aussi au président syrien lui-même. Cette soudaine bénédiction du choix de Saad Hariri concernant Sleiman Frangié est surprenante, sachant en plus que le chef du courant du Futur n'est pas vraiment dans les bonnes grâces des dirigeants saoudiens.
Avant d'obtenir des réponses claires à ces questions, le 8 Mars et le CPL ne comptent pas se prononcer sur la proposition, même si cela signifie prendre le risque de la faire échouer. Les proches du chef des Marada et les partisans de cette option tentent bien d'expliquer que le nom de Frangié était déjà lancé dans la course à la présidentielle depuis le mois d'octobre et qu'il devait même figurer au menu de la rencontre qui aurait dû se tenir à Paris entre le président français et le président iranien avant d'être reportée. Mais cela ne justifie pas pour autant la position de Riyad. Les milieux du 8 Mars et du CPL se demandent en effet si tout ce qui se dit sur un aval international et régional de la candidature de Frangié à la présidence n'est pas en réalité une affaire interne dont le scénario paraît suspect. Le Hezbollah et le CPL préfèrent certes la libanisation de l'échéance présidentielle, mais la manière dont la proposition de Saad Hariri a été révélée ne paraît pas convaincante à leurs yeux. C'est donc aujourd'hui à Sleiman Frangié d'expliquer à ses alliés les conditions de cette proposition et son sérieux. Le dialogue a commencé avec la réunion de mercredi à Rabieh entre Michel Aoun et le chef des Marada, mais pour l'instant, aucun des deux n'a réussi à convaincre l'autre. Pour le leader chrétien du Nord, sa candidature est une occasion à ne pas rater pour les chrétiens, et pour le 8 Mars et ses alliés, car elle pourrait ne pas se représenter, et pour le général Aoun, elle comporte beaucoup de lacunes qui suscitent la méfiance.
Dans le camp du 14 Mars, cette proposition a aussi semé la confusion, et en dépit des efforts de Saad Hariri pour convaincre les alliés récalcitrants ou réservés, les Forces libanaises continuent à y être farouchement opposées. La fragilité de l'alliance entre le courant du Futur et les Forces libanaises est ainsi clairement apparue, mais les milieux du 14 Mars se demandent jusqu'où pourrait aller le chef des FL dans son refus de cette option. Selon des sources chrétiennes du 14 Mars, le chef des FL compte en réalité sur l'opposition de Michel Aoun pour saboter l'option Frangié, alors que le chef du CPL compte sur Samir Geagea pour cette mission. Les mêmes sources reviennent sur la situation entre 1988 et 1990, lorsque Aoun et Geagea avaient saboté l'élection du grand-père de l'actuel Sleiman Frangié puis ils avaient rejeté l'option Mikhaël Daher avant d'entrer en conflit entre eux.
Aujourd'hui, les deux pôles chrétiens se retrouvent dans l'opposition à Frangié, sans avoir une option positive à proposer pour la remplacer. Une fois Sleiman Frangié écarté de la course, sur quoi pourraient s'entendre Aoun et Geagea ? Et si les quatre pôles chrétiens consacrés par la réunion de Bkerké sont neutralisés, préfèrent-ils donc revenir aux candidats dits consensuels ou centristes ? Pourquoi dans ce cas avoir mené pendant plus d'un an la bataille dite du « président fort » ? Autant de questions qui restent sans réponses. Selon les sources chrétiennes du 14 Mars, en dépit de ce qui se murmure dans les coulisses, le chef des FL ne pourra pas appuyer la candidature du général Aoun pour plusieurs raisons, notamment le fait que ce dernier est frappé de veto par l'Arabie saoudite, alors que Samir Geagea ne peut pas brader ses relations avec ce pays qui se sont consolidées depuis 2005. Le chef des FL peut donc manœuvrer et gagner du temps, dans l'espoir que le Hezbollah et le général Aoun parviendront à saboter l'option Frangié. Mais aucune autre proposition concrète n'est en vue... Ce qui, pour les partisans de Frangié, est plutôt un bon signe...
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Une tempête dans un verre d'eau, mais elle prouve une fois de plus que le Hezbollah ne veut point d'un Président chrétien pour le Liban. Chacun a ses raisons. Le Hezb veut aller vers une nouvelle répartition du "gâteau" sur la base des trois tiers. Avez-vous compris ?
Un Libanais
16 h 02, le 12 décembre 2015