Que veut exactement Recep Tayyip Erdogan ? À peine a-t-il remporté une victoire totalement inattendue, même pour lui, que le président turc a remis sur le tapis mercredi la réforme constitutionnelle qui renforcerait ses pouvoirs. Dans un contexte de tensions, de violences, le dirigeant et son parti de la Justice et du Développement (AKP, islamo-conservateur) ont réussi le tour de force de récupérer une majorité absolue perdue lors des législatives de juin, au cours desquelles le Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde) avait créé la surprise en entrant pour la première fois au Parlement.
Mais depuis, les choses ont bien changé. Les violences ont repris entre l'État et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), faisant plusieurs dizaines de morts ; le couvre-feu a été instauré dans plusieurs régions et les pourparlers de paix, interrompus depuis l'été, sont moribonds. Ces développements se sont avérés propices à la mise en place d'un climat de peur idéal pour reprendre le dessus et relancer le processus de réforme constitutionnelle tant souhaitée. Pour rappel, le rôle du président de la République est un rôle assez secondaire en Turquie : le régime est parlementaire, et le Premier ministre (en l'occurrence Ahmet Davutoglu) a l'essentiel du pouvoir. Après avoir été Premier ministre, pendant près de dix ans, M. Erdogan a été porté à la présidence de la République au mois d'août 2014. Depuis, l'un des thèmes récurrents de ses interventions est la « présidentialisation du régime », c'est-à-dire l'amendement de la Constitution afin que la réalité du pouvoir soit entre les mains du président, sans dépendre du Conseil des ministres ou du Parlement. C'était d'ailleurs l'un des thèmes de la campagne des élections législatives du mois de juin. Malheureusement pour M. Erdogan, ces élections n'ont pas donné la possibilité à son parti de modifier la Constitution parce que, pour ce faire, il y a deux possibilités constitutionnelles, explique à L'Orient-Le Jour Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris. Ces deux possibilités concernent le Parlement turc, composé de 550 députés. Dans un premier cas de figure, un parti a la majorité des deux tiers, soit 367 députés : dans ce cas, un vote parlementaire suffit pour modifier la Constitution. Ou bien il faut une majorité des trois cinquièmes, soit 330 députés, pour qu'ils puissent appeler à la convocation d'un référendum citoyen en vue d'obtenir l'amendement requis.
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Hyperprésidence de facto
Toutefois, l'AKP n'avait obtenu que 258 sièges lors des premières législatives de juin, d'où le recours à un second round le 1er novembre. Mais il n'est toujours pas en situation de procéder à un amendement constitutionnel, car il lui manque encore 14 députés. De ce fait, nombre de scenarii deviennent envisageables. « Si le président Erdogan ne parvient pas à cette modification constitutionnelle, la pratique qu'il a imposée de facto depuis plus d'un an, et qui est celle d'une "hyperprésidence", ou "superprésidence", va se poursuivre. De toute manière, il a incontestablement, dans la pratique, tous les pouvoirs, indépendamment de tout amendement ; il dirige déjà l'essentiel des choix politiques du pays et veut continuer à le faire sans être obligé de passer par les ministres ou les députés », souligne M. Billion.
Trois partis d'opposition parlementaire compliquent la tâche de M. Erdogan, relève le politologue. Le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) et le Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste) n'accepteraient probablement jamais de compromis avec le président, taxé d'autoritarisme par ces partis et autres détracteurs. En revanche, le troisième parti, le MHP (Parti d'action nationaliste, droite radicale) est différent des deux premiers. « On sait que l'on peut éventuellement y trouver des députés prêts à soutenir le projet d'Erdogan, mais c'est encore une fois très hypothétique », souligne prudemment M. Billion.
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Michel Naufal, politologue et spécialiste de la Turquie, avance, lui, une autre hypothèse. Il est certain que pour obtenir cette modification constitutionnelle dont il a besoin pour changer le régime turc parlementaire en un régime présidentiel, M. Erdogan a besoin des partis d'opposition, explique-t-il. Et comme cela va probablement s'avérer plus que difficile, « il pourrait essayer de se rallier les Kurdes, de leur proposer des concessions, mais impossible de savoir ce qu'il pourrait faire pour les amadouer. Évidemment, il va devoir arrêter les opérations militaires tous azimuts, reprendre le dialogue avec ceux qui sont supposés représenter la société civile kurde, notamment le HDP », estime Michel Naufal. Est-il alors logique de penser que le leader du HDP, Selahattin Demirtas, accepterait un marché avec Erdogan ? « Au contraire, il serait plus probable qu'il se radicalise après avoir été traité de "terroriste" ou encore d'"autre visage" du PKK », souligne M. Naufal.
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commentaires (7)
La Turquie , je m'en moque totalement Le Liban est mon pays, et je suis sensible à ce qui se passe dans notre pays actuellement, sous influence extérieur Quand je lis ou je pense qu'il y a des Libanais fanatiquement et obscurément admirateur de HN, de MA ou du petit Hitler, je suis en passe de demander comment vont ils mettre leur bulletin dans l'urne ? Le vote du citoyen libanais devient une question de vie ou de mort. On ne peut pas admirer des libanais qui jouent contre leur pays même si on est inféodé à leur propagande et à leur conviction
FAKHOURI
23 h 18, le 06 novembre 2015