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Nos Lecteurs ont la Parole - Quelques considérations sur les fondements du régime démocratique

la séparation des pouvoirs, le fonctionnement des institutions et l’avenir du Liban

Lorsque l'on a vécu dans un pays de vieille tradition démocratique, comme la France, et qu'on a le cœur tendu vers le Liban – comme ce fut mon cas pendant des années –, on retourne au pays l'esprit plein de considérations nées d'une proximité à la fois avec la pratique de la démocratie dans le pays hôte, où on est devenu un de ses citoyens, et en regardant les textes fondateurs de cette démocratie qui l'ont enraciné avec un certain recul par rapport aux détails des événements sur la scène libanaise. On y retourne avec dans l'esprit un souhait ou peut-être un rêve : puissent les citoyens et les responsables s'arracher à l'écume des faits pour s'interroger – ou même demander des comptes – sur la conformité de leurs institutions aux principes de cette démocratie dont se glorifie le Liban. Nous avons la chance d'avoir été parmi les premiers à pratiquer la démocratie au Proche-Orient. Ne sommes-nous pas en train de la perdre sans nous en rendre compte ? Malheureusement, cette interrogation porte en elle-même sa réponse : car respecter la démocratie, c'est refuser tout compromis quant au respect de ses principes. Où situer sinon la limite entre le compromis et la compromission? À quel moment bascule-t-on de l'un à l'autre ? D'une démocratie « tronquée » au despotisme ? Le despotisme n'a pas forcément besoin de faire écraser la justice sous les chenilles des chars : il lui suffit parfois de faire de celle-ci l'un des attributs du pouvoir politique. Et la tyrannie ne s'impose pas toujours dans un bain de sang : elle existe, dit Platon dans sa République, « dès qu'un seul citoyen est
au-dessus des lois ».
C'est pour éviter ce genre de glissements, souvent insensibles, voire agréables pour certains, qu'il faut se référer constamment aux principes qui fondent notre vie en commun. Parmi ceux-ci, on ne peut méconnaître celui, fondamental, de la séparation des pouvoirs, qui permet précisément de s'assurer que nul n'est au-dessus des lois – pas même les détenteurs du pouvoir politique. Le principe de séparation des pouvoirs est consubstantiel à la démocratie et figure en bonne place dans ses textes fondateurs. On lit ainsi – pour s'en tenir au plus célèbre –, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à l'article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
Séparation des pouvoirs, garantie des droits : les deux vont de pair. Elles expriment les deux faces d'une même exigence. Comment garantir en effet au simple citoyen que ses gouvernants, chargés d'exécuter les lois – mais pas d'en décider (pouvoir législatif), ni d'en punir l'irrespect (pouvoir judiciaire) –, n'en sacrifiera pas l'universalité sur l'autel de la raison d'État ou d'intérêts privés ? Seule le permet la séparation des trois pouvoirs, qui, en assujettissant les gouvernants au respect des lois, fait de chaque individu un citoyen et non un sujet.
Là où le citoyen, dont le devoir est de se soumettre aux lois de son État, a droit à être traité équitablement dans tous les aspects de sa vie civique, le sujet n'a que des devoirs – qui se réduisent finalement à un seul : obéir au bon vouloir des dirigeants, au « fait du prince ». C'est pourquoi un État dans lequel les prérogatives régaliennes ne sont pas séparées n'a que des « princes ». Et c'est pourquoi le plus civilisé, le plus raffiné des États, du jour où il enfreint la règle de séparation des pouvoirs, ne diffère plus en nature de toute dictature, de tout régime totalitaire ou monarchique. Loin de tout idéalisme, il s'agit là de la plus réaliste, de la plus désabusée des idées politiques : il ne faut pas compter sur la vertu des individus qui, lorsqu'elle existe, se corrompt presque immédiatement au contact du pouvoir politique. On ne peut se fier qu'aux procédures et aux contraintes qui limitent d'elles-mêmes les conséquences de cette corruption. Montesquieu, quarante ans avant la Déclaration de 1789, ne disait pas autre chose dans De l'esprit des lois :
« La liberté politique (n'existe) que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir ; mais c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait ? La vertu même a besoin de limites. Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. (...) Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire la loi, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »
D'aucuns diront que la tornade qui souffle depuis un certain temps sur la région et sur le Liban nous épargne la nécessité de scruter les principes et qu'il s'agit là d'une question secondaire que l'on peut ignorer pour le moment. C'est une erreur majeure. Les principes demeurent quelles que soient les circonstances. C'est à eux que nous faisons appel, ce sont eux qui nous protègent dans les situations difficiles, lorsque la terre se dérobe sous nos pas. Le Liban n'a tenu, dans la période contemporaine et jusqu'à la guerre de triste mémoire qui l'a secoué durant 15 ans, que parce qu'il était protégé, ne serait-ce que partiellement, par des principes dont de nombreux leaders ou responsables politiques, quoi qu'on en dise, ont souvent compris l'importance.
Il y a donc quelque chose de désespérant à voir le Liban, qui s'est doté de longue date de semblables garde-fous (et qui, sans être exemplaire, reste donc un pionnier au Proche-Orient), s'en défaire année après année par désinvolture ou sous l'effet des petits calculs de clocher. De désespérant, mais pas d'inéluctable : il suffit que les Libanais soient des citoyens pour que le Liban soit un État, et un État démocratique, parce ce que cette citoyenneté est fondamentale en démocratie, et ne va pas sans un système électoral sain, juste et équitable qui devrait dépasser le confessionnalisme et les confessions. D'où la nécessité de s'attaquer, pour le changer, au mode de scrutin en ayant à l'esprit les modifications apportées par les accords de Taëf à la Constitution, modifications qui ont amoindri les pouvoirs du président de la République au profit du Conseil des ministres réuni, mais qui ont dans le même temps maintenu une répartition sur une base confessionnelle, à égalité entre musulmans et chrétiens. Si l'on choisissait un mode de scrutin où chaque votant a une voix pour un seul candidat (système uninominal) dans le cadre d'une circonscription moyenne, le caza par exemple, comme l'avait préconisé le président Sleiman Frangié, alors député du groupe centriste, en se référant à l'époque à la loi électorale du Japon, pays développé et démocratique parmi les plus avancés, la représentation se rapprocherait plus d'une conception saine, juste et équitable. Idéalement, il faudrait que l'électeur choisisse en tant que citoyen et non en tant que membre de telle ou telle communauté.
Nous avions la chance de vivre dans une des rares démocraties de la région. Il est encore temps de témoigner en toute liberté de notre attachement à ses principes fondateurs. Mais n'attendons pas trop : il advient souvent, l'histoire en porte témoignage, que par manque de vigilance, par lassitude, habitude, complaisance ou lâcheté, des peuples se laissent priver de leur liberté. Et dès que l'on a une fois courbé l'échine, que l'on a une fois accepté que se monnaient la justice, la dignité, l'honneur, les intérêts des uns et des autres et les biens publics, il est rare de parvenir à rétablir cette liberté.
Revenons à Jean-Jacques Rousseau qui nous en a avertis dans Le Contrat social, un quart de siècle avant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « On perd tout dans les fers, jusqu'à l'envie d'en sortir. »

Antoine Hanna FRANGIÉ
Avocat

Lorsque l'on a vécu dans un pays de vieille tradition démocratique, comme la France, et qu'on a le cœur tendu vers le Liban – comme ce fut mon cas pendant des années –, on retourne au pays l'esprit plein de considérations nées d'une proximité à la fois avec la pratique de la démocratie dans le pays hôte, où on est devenu un de ses citoyens, et en regardant les textes fondateurs de cette démocratie qui l'ont enraciné avec un certain recul par rapport aux détails des événements sur la scène libanaise. On y retourne avec dans l'esprit un souhait ou peut-être un rêve : puissent les citoyens et les responsables s'arracher à l'écume des faits pour s'interroger – ou même demander des comptes – sur la conformité de leurs institutions aux principes de cette démocratie dont se glorifie le Liban. Nous avons la...
commentaires (3)

- LE CONSENSUS... N'EST PAS LA DÉMOCRATIE ! - LES TRIBUS FAMILIALES ET CELLES CRÉÉES ET DÉSIGNÉES... LA TRIBUCRATIE... TOUTES AU-DESSUS DES LOIS... NE SONT PAS LA DÉMOCRATIE ! - LE SUIVISME N'EST PAS LA DÉMOCRATIE !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 29, le 27 octobre 2015

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Commentaires (3)

  • - LE CONSENSUS... N'EST PAS LA DÉMOCRATIE ! - LES TRIBUS FAMILIALES ET CELLES CRÉÉES ET DÉSIGNÉES... LA TRIBUCRATIE... TOUTES AU-DESSUS DES LOIS... NE SONT PAS LA DÉMOCRATIE ! - LE SUIVISME N'EST PAS LA DÉMOCRATIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 29, le 27 octobre 2015

  • Le déclin de la démocratie au Liban a commencé en 1969 lorsque le président Charles Hélou et le général Emile Boustani s'étaient rendus au Caire pour signer, en présence d'Abdel-Nasser, l'acte d'abdication de la souveraineté libanaise à un groupement armé de réfugiés palestiniens, livrant ainsi leur pays à toutes les hordes armées venues d'ailleurs. Suite à ce Canossa, le Président Nasser avait dit à Hassanein Haykal : Je ne comprends pas comment ces deux individus ont signé un tel abandon de la souveraineté nationale !

    Annie

    16 h 03, le 27 octobre 2015

  • Oui, très bien, mais que faire si ce héZ2bbb milicien et mercenaire sur-armé ne veut pas entendre parler de "séparation des pouvoirs", mais impose la soi-disant "démocratie conSensuelle" qui n'est autre en réalité que la traduction en langage Normal, du terme "Loya Jirga" qui n'est, lui, que tribal.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 28, le 27 octobre 2015

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