Les chefs des diplomaties américaine, saoudienne, turque et russe se sont retrouvés, hier, à Vienne pour entamer les pourparlers sur la crise syrienne. Cette rencontre intervient dans un contexte où l'intervention russe en Syrie engagée depuis trois semaines n'a pas substantiellement transformé la donne. L'offensive est à restituer dans le cadre plus large d'une confrontation globale entre la Russie et les États-Unis. Elle comporte un enjeu crucial pour Moscou, qui ressent encore durement les effets des sanctions internationales consécutives à son rôle dans la crise ukrainienne, et tente de revenir dans la course au leadership pour retrouver une position qui s'est érodée depuis la fin de la guerre froide. Son objectif déclaré en Syrie est de « stabiliser les autorités légitimes et de créer les conditions pour la mise en œuvre d'un compromis politique » (déclaration du président russe Vladimir Poutine le 11 octobre 2015). Cette intervention, d'une durée limitée de 3 à 4 mois, vise donc à faire basculer les rapports de force pour renforcer l'initiative russe en faveur d'une solution politique négociée.
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Or, sur le terrain, les avancées sur plusieurs fronts n'ont pas encore permis une évolution décisive. Le retard lié aux contraintes logistiques dans la livraison d'armement aux rebelles de l'opposition semble rattrapé avec l'envoi récent de missiles TOW (d'une portée supérieure à 3,5 km), à des formations de l'Armée syrienne libre (ASL), déployés sur les lignes de front à Hama. Le porte-parole du groupe rebelle Fursan al-Haq, Ahmad al-Chouhoub, a déclaré à l'AFP que ces missiles auraient permis de contenir la progression des forces du régime et seraient responsables de la destruction de dizaines de chars d'assaut. Par une confrontation susceptible de s'installer dans la durée, les Russes seraient amenés à réviser l'échéance initiale de la fin de l'intervention militaire en Syrie. Comme l'a énoncé le théoricien militaire prussien Carl Philipp Gottlieb Von Clausewitz, la guerre a sa propre vie qui supplante les objectifs de ceux qui l'on vu naître. « Dès que la politique l'a mise en œuvre, la guerre, de par sa volonté, usurpe la place de la politique ; elle met la politique hors jeu et réglemente l'événement suivant les lois de sa propre nature », a-t-il écrit dans son ouvrage De la guerre.
Dans ces conditions, et en l'absence d'une solution politique viable, l'intervention russe pourrait rencontrer des limites.
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Sur le plan militaire
Selon Patrice Gourdin, professeur d'histoire contemporaine à l'École de l'air (France) et spécialiste des questions de défense et de géopolitique, l'état de l'outil militaire russe n'autorise vraisemblablement pas une intervention d'envergure sur la longue durée. « Hormis en matière d'armement nucléaire, la modernisation entreprise depuis 25 ans n'a toujours pas ramené la Russie à un niveau quantitatif et qualitatif proche de celui des États-Unis. Dans le cas syrien, notons qu'elle a une faible capacité de projection de ses forces, une chaîne logistique fragile et que l'été 2015 a été émaillé de défaillances de son outil aérien militaire sur son propre sol », explique l'analyste.
Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe, le centre d'analyse de la CCI ( Chambre de commerce et d'industrie) France-Russie, explique pour sa part que l'arsenal militaire déployé en Syrie actuellement est adapté en termes de capacité à l'objectif
d'« appuyer » les forces du régime. Il constate également deux limites en termes de capacités militaires : « La première concerne les bombes à guidage haute précision qui sont coûteuses ; il faut donc déterminer dans quelle mesure elles peuvent continuer d'être utilisées. La deuxième a trait au ravitaillement en carburants des appareils. »
La relative modestie de l'engagement russe sur le terrain (Moscou excluant toute intervention au sol) offre donc un contraste saisissant avec les avancées sur le terrain politique. Les positions diplomatiques des acteurs régionaux ont connu une réelle inflexion. En ce sens, Patrice Gourdin relève que le président russe « Vladimir Poutine ne joue pas aux échecs (contrairement à la métaphore éculée que certains répètent). Il se comporte bien plutôt comme un joueur de poker qui bluffe avec peu de cartes dans son jeu ».
(Vidéo : Avec les soldats russes présents en Syrie (caméra cachée))
Force politique
Dès le début du conflit syrien, la Russie a exprimé avec clarté et constance son soutien à Bachar el-Assad, face à Ankara, Riyad et Washington, et déclaré qu'il devait faire partie de la solution. Or aujourd'hui, la Turquie a renoncé au préalable du départ immédiat de Bachar el-Assad et pourrait l'inclure dans une solution transitoire. Comme le rappelle Igor Delanoë, « le président turc Recep Tayyib Erdogan a déjà fait savoir qu'il accepterait que Bachar reste au pouvoir pour une période de 6 mois. Du côté de Riyad, il y a également des avancées. Aujourd'hui, la principale préoccupation de l'Arabie saoudite est moins le président Assad que l'accroissement de l'influence iranienne dans la région consécutive à l'accord sur le nucléaire ».
Or la question qui demeure en suspens est celle de savoir si Moscou entend soutenir le président Assad jusqu'au bout, ou si celui-ci pourrait faire l'objet d'un marchandage dans la recherche d'une solution politique acceptable sur le long terme. Pour Patrice Gourdin, « la Russie veut sauver le régime dirigé par Bachar el-Assad ; la survie de ce dernier paraît moins importer au Kremlin que le maintien au pouvoir de ses alliés fédérés au sein du parti Baas ». De son côté, Igor Delanoë s'interroge sur le sens de la visite de Bachar el-Assad avec les risques que comportait ce déplacement : « Je pense que le président syrien voulait obtenir des garanties sur sa personne, et sur son clan, dans l'hypothèse d'un marchandage entre Russes et Iraniens. Je ne crois pas que Moscou soit pour l'instant prête à lâcher Assad. Elle a toujours considéré que la décision revenait au peuple syrien et déclaré que Bachar est le représentant légitime de la Syrie. Mais lorsque l'on regarde de près la déclaration officielle du Kremlin, elle réaffirme qu'une solution négociée doit inclure tous les clans, toutes les minorités, position éloignée de celle du président syrien ».
Cependant, si cette visite soulève la question épineuse du devenir du président syrien, le contexte dans lequel elle intervient est assez révélateur. La rencontre ne s'est pas faite discrètement sans effet d'annonce. Cette rencontre personnelle entre les deux présidents comporte une dimension symbolique et politique forte, surtout qu'elle s'est déroulée en dehors du territoire syrien, au risque d'une révolution de palais. Le président Assad a montré qu'il n'était pas assiégé chez lui, et que son alliance avec Moscou semble plus solide que jamais.
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Syrie : la diplomatie dans tous ces États
Le champ pétrolifère de Vankor, dans le Nord de la province sibérienne de Krasnoïarsk, contient 520 millions de tonnes de pétrole et 95 milliards de mètres cubes de gaz naturel. C’est le projet industriel le plus important de la Russie pour les 10 prochaines années. La Russie prévoit d’augmenter la production de pétrole de ce champ de 442,000 barils/jour à 1 million de barils par jour. En outre, elle prévoit la construction d’un pipeline géant pour le gaz et le pétrole pour approvisionner la Chine.
12 h 59, le 25 octobre 2015