Rechercher
Rechercher

Liban

« Les contestataires ne voient malheureusement la liberté que d’un seul côté », affirme Hassan Tabet Rifaat

La liberté est comme une pièce de monnaie, elle est à deux faces, l'une reflétant le « droit à... » et l'autre le devoir envers la chose publique, souligne le professeur de droit.

Les manifestants du collectif revendiquent le droit d'accéder aux lieux publics et au Parlement qui sont, d'après eux, la propriété du peuple. Qu'en pensez-vous ?


Le palais présidentiel, le Parlement, le Sérail, les ministères n'appartiennent pas en copropriété à des individus. Ils sont la propriété de l'État, entendu comme une personne morale de droit public. Dire que le Parlement ou le palais présidentiel appartiennent en copropriété à l'ensemble des citoyens (d'où le slogan « palais du peuple ») est par conséquent une aberration juridique. Sinon qu'est-ce qui empêcherait n'importe qui de s'installer n'importe où ? La domanialité publique ou la propriété publique est un droit fondamental. On reconnaît ce droit à l'État comme à l'individu le droit de propriété privée.
Par ailleurs, on entend par domaine public les cours d'eau, les ports, les rivages, les voies publiques, etc. Le domaine public est soumis au principe de l'affectation à l'usage normal de tous. Par conséquent, nous ne pouvons réclamer, sous prétexte qu'il s'agit d'un bien public, le droit d'en disposer comme bon nous semble. En ce qui concerne la place de l'Étoile, il faut savoir que cet espace n'appartient pas aux manifestants en tant qu'individus. Il appartient à tout le monde quant à son usage, mais non à sa propriété. C'est le principe de l'affectation à l'usage de tous.
Les forces de l'ordre n'interdisent pas aux citoyens l'accès à la place de l'Étoile si les citoyens désirent aller prendre un café. Par contre, les manifestants ne peuvent couper la circulation et les routes devant les citoyens, ou empêcher les commerçants de poursuivre leurs activités. Ils ne peuvent pas non plus entrer sur les lieux en émeutiers. Dans ce dernier cas, nous serions en présence d'un usage anormal. L'occupation des biens publics est punie en droit pénal. C'est le même principe qui s'applique à l'occupation par exemple du ministère de l'Environnement.
Il faut également savoir que l'analyse de chaque situation dépend du profil de normalité qui lui est propre. Ce qui est normal pour un endroit ne l'est pas pour un autre. Imaginez la place de l'Étoile à Paris envahie par des manifestants voulant s'installer sous l'arc de triomphe pour dresser leurs tentes ou placer des pneus enflammés.

 

Les manifestants considèrent que le droit de manifester est inscrit dans la Constitution. Il serait par conséquent « sacré »...
Il n'est pas correct de considérer le droit de manifester comme un droit fondamental ou une liberté constitutionnelle. En droit libanais, il y a un seul droit absolu, celui de la liberté de conscience. Tous les autres droits sont soumis à la loi ; la rédaction de la Constitution depuis 1926 est claire.
Pour manifester, il faut respecter le droit des commerçants de continuer à exercer leur activité, le droit des valets parking et des jeunes qui travaillent dans les restaurants de poursuivre leurs activités professionnelles pour pouvoir payer leur scolarité, le droit de chacun de circuler, etc. En outre, le droit de manifester est conditionné par la soumission d'une demande au ministère de l'Intérieur, ici comme en France, au Canada et dans beaucoup d'autres pays. Le mécanisme suppose qu'il y ait une équipe responsable de la manifestation. Celle-ci doit définir un itinéraire, un responsable et un timing, pour ne pas empoisonner tout un secteur. Le droit à manifester est un droit encadré. À partir du moment où les organisateurs ont pris l'initiative d'organiser une manifestation, ils sont responsables de tout ce qui se passe dans les rangs des manifestants. Ils n'ont absolument pas le droit d'exposer la cité et les citoyens à tous les dangers.
Par conséquent, nous ne sommes pas en présence d'un droit sacré quand bien même il serait lié à la liberté d'expression qui, elle, est consacrée dans la Constitution. Toute liberté, y compris celle de manifester, est une liberté publique encadrée donc soumise à la loi.
À partir du moment où la Déclaration universelle des droits de l'homme et le pacte des droits civils et politiques de 1966 ont été incorporés à la Constitution, il faut appliquer le texte dans sa totalité. Chaque liberté est comme une pièce de monnaie : une face reflétant le « droit à... » et l'autre le devoir envers la chose publique. Nous ne pouvons réclamer les seuls « droits à... ». Il faut assumer la responsabilité de ce droit en s'exprimant certes, mais en respectant également le devoir envers la chose publique et les droits d'autrui.
Les policiers sont des citoyens comme nous. Il n'y a aucune raison de rompre le principe d'égalité entre un manifestant qui aurait tous les droits et un policier qui aurait toutes les obligations de recevoir des insultes, des crachats et des pierres.

 

Qu'en est-il de l'obligation qui incombe aux forces de l'ordre de protéger les manifestants ?
La mission de la police est claire : me protéger en tant que manifestant, mais aussi en tant que commerçant, citoyen ordinaire qui ne manifeste pas ou circule en voiture, etc. Les policiers ont l'obligation d'empêcher les manifestants de porter atteinte aux droits des citoyens ordinaires. Il n'y a qu'à voir comment la police a réprimé les manifestations qui ont eu lieu dans des pays démocratiques (par exemple au Canada).
Les contestataires – dont je soutiens totalement la cause – ne voient malheureusement la liberté que d'un seul côté. Je fais partie de ceux qui veulent absolument que le mouvement aboutisse. Mais je leur en veux d'avoir jeté mes espoirs et mes rêves à l'eau par la manière dont ils se sont comportés puisqu'en définitive, ils ont fait du mal au corps social et à l'idéal dont ils se réclament.
S'ils étaient mieux organisés et appliquaient mieux les textes, ils auraient plutôt planché sur la méthodologie de leur action, à savoir quel mécanisme adopter pour combattre la corruption, résoudre le problème des déchets, dénoncer les atteintes aux biens maritimes etc.
En définitive, je ne mets pas en cause leurs bonnes intentions, mais leur efficacité. Ils n'ont pas eu la modestie et la sagesse d'être à l'écoute de la raison et du devoir de s'organiser. Ils avaient de bonnes idées qu'ils ont galvaudées par leurs excès.
Le message que je souhaiterais leur faire parvenir est le suivant : songez au but que vous allez poursuivre, assurez vos arrières et ne vous laissez pas influencer par les slogans populistes qui plaisent à l'oreille mais ne donneront rien en définitive. Pour faire de l'action politique, il faut savoir obéir à la loi.

 

Retour à l'article principal

 

Les manifestants du collectif revendiquent le droit d'accéder aux lieux publics et au Parlement qui sont, d'après eux, la propriété du peuple. Qu'en pensez-vous ?
Le palais présidentiel, le Parlement, le Sérail, les ministères n'appartiennent pas en copropriété à des individus. Ils sont la propriété de l'État, entendu comme une personne morale de droit public. Dire que le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut