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Liban - Table ronde

L’accord de Vienne, entre « la confusion » de Washington et « les tiraillements internes » de Téhéran

Une table ronde sur les retombées stratégiques de l'accord de Vienne, organisée au siège des Forces libanaises, à Maarab, a mis en relief les divergences et les questionnements que cet accord suscite dans la région et en Occident. Modéré par la rédactrice en chef du site d'informations Now, la journaliste Hanine Ghaddar, et organisé par Maya Succar, responsable de politique au sein des Forces libanaises, le débat a fait intervenir des experts américain, iranien et arabes.

Très critique à l'égard de la politique actuelle des États-Unis dans la région, David Schenker, directeur de programme sur les politiques arabes au Washington Institute, précise le contexte des « profondes mutations de la politique des États-Unis au Moyen-Orient ». Son diagnostic n'est pas celui d'un désengagement de Washington, mais d'une « redéfinition de son leadership traditionnel dans la région ». La nouvelle approche serait celle d'un « leadership retiré, un leadership des coulisses – leading from behind – qui se concentre notamment sur la construction d'alliances internationales par le biais des réseaux onusiens ».
Cette politique, profondément « réactionnaire » – puisqu'elle se positionne par opposition à l'administration Bush, pécherait de prime abord par son ambivalence. « Les États-Unis ont fait montre de négligence vis-à-vis de leurs alliés traditionnels au Moyen-Orient, tout en faisant exception flagrante de l'Iran, dont ils ont rompu le boycottage de trente-cinq années. »
Le président Barack Obama avait justifié cette ambivalence lorsqu'il avait fait état, dans une interview au New Yorker en janvier 2014, d'un « nouvel équilibre régional, où l'Iran occuperait une position de force dans le Golfe ».

L'accord sur le nucléaire iranien a permis « d'assimiler ce nouveau rôle iranien », c'est-à-dire qu'il n'a pas contribué à son émergence. Plus encore, « il n'a comporté aucune clause qui limite la politique déstabilisatrice de Téhéran dans la région ». « L'administration américaine espère, semble-t-il, que l'Iran puisse devenir, d'une manière ou d'une autre, une force stabilisatrice », souligne M. Schenker.
Or, rien dans les faits ne conforte cet espoir. En effet, « en l'absence d'un leadership actif des États-Unis dans la région, c'est un vide qui est laissé et un vide que Téhéran vient combler, comme le prouvent les exemples de l'Irak, du Yémen et de la Syrie, où l'Iran est la principale partie active », insiste David Schenker.
Non seulement la nouvelle politique régionale de Washington « a exacerbé les conflits régionaux au lieu de les réduire », mais il n'est pas sûr qu'il existe un plan qui fonde cette politique.

Ces failles stratégiques sont révélées en Syrie notamment. « Il est clair que l'administration Obama n'a pas de politique claire à l'égard de la Syrie, si ce n'est son souhait et son engagement à ne pas s'y impliquer », conclut-il. C'est une guerre par procuration défaillante que mène Washington contre les jihadistes, dont la menace reste, paradoxalement, « un élément déterminant de la politique étrangère américaine ».
La « confusion » prévaut également dans les rapports de Washington avec Moscou. Après sa rupture avec la politique d'isolement de Téhéran, l'administration Obama a rompu avec une seconde « constante longtemps ancrée dans la politique régionale américaine », celle de « garder les Russes à l'écart des développements au Moyen-Orient ». Aussi bien à l'égard de l'Iran que de la Russie, cette administration opte pour « la politique de la patience stratégique », dont le bénéfice serait, éventuellement, « l'enlisement de la Russie et de l'Iran dans le nouvel Afghanistan qu'est la Syrie ».

(Lire aussi : Geagea condamne sans appel l’accord sur le nucléaire avec l’Iran )

 

« Les besoins de Téhéran »
Indépendamment de la « possible pertinence » de cette stratégie, celle-ci n'est pas sans porter de graves répercussions pour la région et pour l'Europe (la crise des réfugiés en est révélatrice), susceptibles de se retourner contre Washington. Ce dernier risque « de se voir entraîner dans le nouvel axe "chiite" de la moumanaa : Nasrallah-Khamenei-Assad-Poutine », relève David Schenker.
Dans ce contexte, les pays du Golfe semblent se contenter de « riposter aux offensives iraniennes », pour reprendre l'expression de l'ancien ministre koweïtien de l'Information, Sami el-Nesf, tandis que Téhéran se pose en « pacificateur » au Moyen-Orient, en disant mener la lutte contre l'État islamique, « à commencer par l'Irak », comme le décrit le chercheur iranien prorégime Majid Mradi.

Un autre point de divergence est lié à la qualification du conflit entre l'Iran et les pays du Golfe : pour Sami el-Nesf, « il ne s'agit pas d'un conflit sunnito-chiite, ni arabo-perse, mais de la confrontation d'intérêts politiques et économiques ». Pour Majid Mradi en revanche, « l'Iran et l'Arabie saoudite sont deux puissances régionales qui dirigent respectivement le camp musulman chiite et le camp musulman sunnite au Moyen-Orient ».
La référence iranienne au caractère confessionnel du conflit s'accompagne d'accusations de radicalisation contre l'Arabie saoudite. « Après l'accord sur le nucléaire, l'Iran sera plus calme et plus en harmonie avec la communauté internationale, contrairement à l'Arabie saoudite qui se dirige vers plus de radicalisation dans le règlement des différends », estime M. Mradi. « Les canaux diplomatiques sont les seules voies d'une solution », a-t-il affirmé, plaidant pour « une coopération entre l'Iran et l'Arabie, notamment dans la lutte contre le terrorisme jihadiste ».
Pour Sami el-Nesf en revanche, « les actes de Téhéran et non ses paroles n'indiquent aucune volonté réelle de résoudre les conflits. Ses ingérences dans les pays arabes, sur la base d'une stratégie opaque, ont toutes été jusque-là destructives ». Dans cet esprit, « ce qui inquiète les pays du Golfe n'est pas ce que l'accord sur le nucléaire a inclus, mais ce qu'il a omis d'inclure : une limitation des ingérences iraniennes ». Pour les pays du Golfe, l'accord sur le nucléaire a donc entravé les voies diplomatiques de résolution des conflits régionaux.

Une question récurrente a été posée dans ce cadre, celle de savoir si l'Iran utilisera les fonds qui lui seront débloqués, en vertu de l'accord sur le nucléaire, pour accroître sa force militaire. La question subsidiaire porte sur les enjeux d'une redynamisation de l'économie interne iranienne et ses menaces éventuelles au régime en place.
À cela, le directeur du centre al-Qods pour les études politiques, le chercheur jordanien Oraïb al-Rantawi, tente d'apporter des « éléments de réponse objectifs ». Selon lui, « Téhéran avait besoin de cet accord pour trois raisons : l'asphyxie de l'économie iranienne ; le besoin de trouver des ressources énergétiques alternatives aux ressources pétrolières ; et le conflit interne entre les réformateurs modérés, favorables à une ouverture sur l'Occident, et les conservateurs. L'alternance au pouvoir de ces deux ailes expliquerait la durée des négociations ».
« Tout indique que ce conflit devra se prolonger après l'entrée en vigueur de l'accord de Vienne », a-t-il affirmé, précisant que le dénouement en sera par la victoire de l'une ou l'autre de ces ailes. Pour l'heure, « l'accord sur le nucléaire pourrait stimuler et légitimer une mouvance politique, culturelle et sociale réformatrice ».

 

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commentaires (3)

La "confusion" de Washington ! C'est à mourir de rire.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 11, le 18 octobre 2015

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Commentaires (3)

  • La "confusion" de Washington ! C'est à mourir de rire.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 11, le 18 octobre 2015

  • QUAND ON DONNE BÊTEMENT SANS AVOIR RIEN PRIS... IL NE FAUT PAS SE PLAINDRE APRÈS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 29, le 17 octobre 2015

  • Fallait il etre stupide a ce point pour croire qu'un accord avec l'Iran NPR ferait de ce pays un vassal comme les sont les monarchies du golfe persique?? La grande difference est le reveil des perses a s'autoadministrer tandis que le coma arabogofique est sans retour . Ce que cherchent les occidentaux en allant si loin pour l'obtenir , l'Iran NPR l'a a portee de main , des ressources et des HOMMES . Bien stupide sera le peuple avec autant d'atouts acquis de haute lutte, en main de les brader , juste rien que pour faire le beau , et devant qui , des predateurs reconnus et patentes !

    FRIK-A-FRAK

    16 h 56, le 17 octobre 2015

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