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Culture - Musiques actuelles

Alif : l’imagination poétique au pouvoir

Formé dans le cadre d'une résidence d'artistes à Liverpool en 2012, le quintette moyen-oriental présente enfin son premier essai « Aynama Rtama » (Partout où il tombe). Rencontre avec deux des musiciens.

Alif, une formation de cinq musiciens venus des quatre coins du monde arabe.

L'année 2012 devait signer la fin du monde mais il s'agit bien d'un nouveau monde qui germe cette année-là dans la tête de Khyam Allami. L'Irakien virtuose du oud souhaite collaborer avec quatre de ses amis. Mais travailler ensemble, tandis que deux musiciens vivent au Caire et les autres à Beyrouth, n'est pas chose aisée. Ils organisent alors régulièrement des ateliers (workshops), des sessions de travail intensives, à travers l'Europe et le Moyen-Orient. « Ce qui a rendu Alif excitant, c'est que nous admirions les travaux antérieurs des uns et des autres, et que nous nous en servons comme point de référence afin de construire quelque chose de nouveau », explique avec assurance le chanteur Tamer Abou Ghazalé.


Cette formation est autant un nouveau commencement qu'une continuité pour les cinq musiciens. Ces trentenaires ont tous de nombreuses collaborations à leur actif, qu'ils n'abandonnent pas pour autant, mais ils focalisent désormais leur attention sur Alif. « Cette première lettre de l'alphabet arabe symbolise le début de tout ce qui peut se passer. C'est une initiation aux possibilités qui s'ouvrent à toi », explique le bassiste Bachar Farran. Aussi, le titre de l'album Aynama Rtama (Wherever it falls), tiré de la chanson Holako (Hulagu), a été choisi pour sa neutralité et le mystère qu'il peut susciter. « C'est un terme ouvert, dans lequel les auditeurs peuvent imaginer des tas de significations », observe le chanteur et compositeur palestinien. « C'était vraiment compliqué de trouver le nom de cet album car nous avons eu des tas d'idées, mais chacun des termes insinuait quelque chose de particulier aux auditeurs. Nous voulions garder toutes les hypothèses ouvertes », souligne Tamer.

 

 

 

Mystérieux venin addictif
Les cinq musiciens ont chacun leur style. Pourtant, loin de sonner comme un cocktail dissonant, Alif est un combo mélancolique qui fonctionne. À l'image d'un venin, leurs mélodies arab-pop si addictives sont le fruit d'un métissage entre des mélodies et influences arabes, la musique jazz et hindie. Même en se focalisant seulement sur les mélodies, difficile de ne pas se laisser emporter par leurs ritournelles obsédantes, ce qui pourrait leur permettre de conquérir un territoire plus large que le Moyen-Orient. D'ailleurs, les musiciens refusent d'être simplement vus comme un « groupe panarabe », ils sont musiciens avant tout. « Nous sommes influencés par des groupes et des musiques du monde entier car nous vivons dans le "village monde". Grâce au web, tout est accessible désormais », martèle le bassiste Bachar Farran.
Le choix de la langue arabe leur semble pourtant une évidence. « Nous avons grandi en baignant dans les classiques de la musique arabe, c'est ce que nous sommes », rappellent les deux musiciens très fiers de leur arabité qu'ils ne dissimuleraient sous aucun prétexte. Afin de ne pas trancher dans l'utilisation de tel ou tel dialecte, ils optent pour l'arabe classique. Même si les ombres du Palestinien Mahmoud Darwiche et de l'Irakien Sargon Boulos sont parfois pesantes, ils s'inspirent de leurs poèmes dans l'écriture de leurs chansons. Certains auraient plié sous la pression, pas eux.
Mixé par Ali Chant à Bristol, Aynama Rtama berce autant qu'il dérange, symptomatique du monde incertain actuel. Sa construction s'est déroulée en deux temps. Al-Juththa (The Corpse), Dars Min Kama Sutra (Leçon du Kama Sutra), Holako (Hulagu) et Al-Khutba al-Akhira (La dernière déclaration) ont vu le jour dans un premier temps. Les autres chansons de l'album bien plus tard. « Il y a un vrai développement au cours de l'album. Nous avons abordé la musique de manière différente pour chacune des chansons », explique Tamer. D'ailleurs Eish Jabkum Hon ? (Qu'est-ce qui vous amène là ? ), la chanson qui clôt l'album, ressemble plus à la direction qu'ils souhaiteraient prendre à l'avenir.

 

Estomacs noués
Plusieurs nouvelles chansons existent déjà pour le prochain album, mais les musiciens veulent prendre le temps de le confectionner, tant ce premier opus les a épuisés. Trouver un label a été un obstacle supplémentaire. Pour Alif, il était absolument inenvisageable de travailler avec une maison de disque qui aurait produit un artiste israélien. Nawa, label indépendant égyptien basé à Londres, leur semblait adéquat mais un questionnement de dernière minute les a chagrinés. Khyam Allami, le oudiste du groupe, est aussi fondateur du label. « Si un problème surgissait, nous nous demandions si nous allions pouvoir parler avec le label ou un membre du groupe », glisse Bachar. Finalement, le groupe signera quand même avec Nawa.
Après deux années de travail, les musiciens se sentent anxieux et excités par la sortie de leur premier album. « C'est comme lorsque vous apprenez à parler une langue pendant deux ou trois ans et qu'il est enfin le moment de parler à ceux qui vous entourent. » De leurs estomacs noués, il serait presque possible de percevoir leurs notes tourmentées. Probablement le pouvoir de l'imagination, une nouvelle fois.

Parcours express

2005 : Tamer Abou Ghazalé et Bachar Farran se rencontrent.
Décembre 2012  : lors d'un concert à Beyrouth, l'ancien bassiste du groupe ne peut être présent. Bachar Ferran le remplace au pied levé et prend finalement le relais pour de bon.
Décembre 2013/Octobre 2014  : enregistrement au Tunefork Studio puis au Caire de la voix de Tamer Abou Ghazalé et du oud.
Septembre 2015 : sortie de leur premier album.
Janvier 2016  : prochain workshop et tournée à venir.

 

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