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Culture - Exposition

Une journaliste palestinienne montre la fragilité et la ténacité de la vie sous l’occupation

Aux cimaises de Dar el-Nimer, des photographies témoignage de Shatha Hanaysha sous l’intitulé « Jénine : Terre intacte ».

Une journaliste palestinienne montre la fragilité et la ténacité de la vie sous l’occupation

La journaliste palestinienne Shatha Hanaysha montre ses photos de Jénine lors d’une exposition à Beyrouth, le 30 avril 2024. Photo João Sousa/L’Orient Today

« Quand vous voyez quelqu’un de près, en face de vous sur une photo, vous commencez à le voir comme un être humain. »

Un jeune couple se penche sur une photo accrochée au mur, représentant deux jeunes garçons souriants. Des larmes surgissent dans les yeux de la femme. Sur le tirage suivant, un portrait de dame âgée aux yeux fatigués et au visage creusé de profonds plis. Un peu plus loin, un cliché montre le rond-point d’une ville détruite, qui pourrait être Saïda, et porte la légende suivante : « Une escale en attendant notre retour. »

Ces images, exposées à la galerie Dar el-Nimer de Beyrouth, proviennent de Jénine, en Cisjordanie occupée, et font partie d’une exposition intitulée « Jénine : Terre intacte ».

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L’exposition présente des photographies de la journaliste Shatha Hanaysha, originaire de Jénine, capturant les traces des incursions israéliennes entre 2022 et 2024 dans la ville et dans les camps de réfugiés palestiniens du nord de la Cisjordanie, notamment les camp de Jénine, Tulkarem et Nour Chams.

Le camp de réfugiés de Jénine a été installé en 1953 pour héberger les Palestiniens ayant subi un véritable nettoyage ethnique pendant la Nakba de 1948, qui a contraint quelque 750 000 personnes à quitter leur foyer pour faire place à la création de l’État d’Israël.

« Je voulais apporter les histoires de Jénine avec moi à Beyrouth et les partager avec les Libanais », explique Hanaysha à L’Orient Today depuis la galerie située dans le quartier de Hamra à Beyrouth. « Certaines personnes ont l’impression que les attaques israéliennes se limitent à Gaza ou qu’elles sont récentes, mais la vérité est que cette lutte dure depuis 75 ans. »

Les femmes, un tissu de la société palestinienne

Les photographies présentent des bribes de la vie quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie, en particulier dans le nord du pays, où les habitants vivent sous l’occupation israélienne.

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« Il y a des histoires à caractère humanitaire qu’il m’a été difficile de présenter dans cette exposition, mais j’ai pensé qu’il était important de raconter l’histoire des martyrs de Cisjordanie et de leurs familles », explique Hanaysha à L’Orient Today.

« Il y a des centaines d’histoires à raconter, des centaines de personnes derrière elles, et peut-être des milliers de photos, mais j’ai dû choisir avec soin le type de photos que je voulais montrer et qui racontent vraiment l’histoire palestinienne. Je savais aussi que je devais choisir des photos de femmes, car elles sont très présentes dans la société palestinienne », explique Hanaysha.

En mai 2022, la journaliste a été témoin de l’assassinat d’une collègue chevronnée, Shireen Abou Akleh, alors qu’elles couvraient toutes deux un raid israélien sur Jénine. Hanaysha elle-même avait échappé de peu à la mort.

« Qu’il s’agisse d’une travailleuse, d’une mère, de la mère d’un martyr ou d’une des femmes qui ont pris sur elles de protéger les enfants du camp contre l’armée d’occupation pendant les raids, les femmes sont toujours présentes », explique Hanaysha.

Il y a aussi les plus jeunes, marqués par une enfance entière passée sous l’occupation. Une photo de deux garçons souriants, âgés d’environ 13 ans, frappe de nombreux visiteurs de l’exposition. À côté, se trouve un portrait de l’un des garçons, peu après que les forces israéliennes ont tué son ami. Sur cette photo, le garçon paraît maintenant âgé, assis devant une tombe, le regard creux.

La journaliste palestinienne Shatha Hanaysha montre ses photos de Jénine lors d’une exposition à Beyrouth, le 30 avril 2024. Photo João Sousa/L’Orient Today

Un sourire est une forme de résistance

« Beaucoup de gens ne croient pas que les deux photos ont été prises à quelques jours d’intervalle. La première fois que j’ai rencontré les deux garçons, ils étaient en train de s’amuser, mais la seconde fois que j’ai rencontré l’un d’eux, il était aux funérailles d’un de ses camarades de classe, qui avait été tué lors d’un raid israélien sur le camp », raconte Hanaysha.

« Je n’ai presque pas pu le reconnaître. En quelques jours, il était passé du statut de garçon insouciant à celui de jeune homme. » Pourtant, dit-elle, les portraits qui ne sont pas faciles à réaliser sont importants. « Lorsque vous voyez quelqu’un de près, face à vous sur une photo, vous commencez à le voir comme un être humain. J’ai choisi des photos de personnes souriantes pour montrer l’espoir. Il était donc important de les mettre en valeur. »

Depuis le 7 octobre, 434 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, dont 421 par l’armée israélienne et neuf par des colons, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).

Environ 5 000 Palestiniens ont été blessés, dont 725 enfants, depuis le 7 octobre en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.

« Il était également important pour moi de montrer les photos courantes auxquelles les gens sont habitués : les meurtres, les destructions et les violations commises par l’armée israélienne. Je voulais montrer que le peuple palestinien existe et résiste de différentes manières, que ce soit par les armes pour défendre son pays et sa terre, ou par sa simple présence sur le territoire et sa constance. »

Une vue de l’exposition « Jénine : Terre intacte ». Photo João Sousa/L’Orient Today

Résister à travers l’humour

Pendant les raids militaires israéliens sur Jénine, raconte Hanaysha, « l’occupation débarque et endommage les rues et les infrastructures. Mais les hommes et les femmes sortent dans la rue immédiatement après le raid et se mettent à nettoyer et à mettre de l’ordre dans les lieux. C’est une forme de résistance ».

« Chaque fois que les jeunes ou les hommes nettoient les rues, non pas en les pavant à nouveau, mais en les débarrassant des décombres à l’aide de leurs propres tracteurs et équipements, l’armée d’occupation arrive et les détruit à nouveau. »

« Je me suis retrouvée dans le camp après les raids, je me suis mise à prendre des photos et à filmer, mais j’ai aussi observé le sens de l’humour des gens. »

La journaliste se dirige calmement vers une autre photo accrochée à la fin de l’exposition. Une partie détruite d’une maison permet aux passants de voir à l’intérieur les restes du salon d’une famille. Shatha s’en souvient bien : le propriétaire était en colère, bouleversé par la démolition de sa maison par l’armée israélienne.

« L’un des passants a regardé l’homme et lui a dit « mabrouk » (félicitations), vous n’avez plus besoin de ventilateur pendant la journée, vous avez une grande fenêtre. La situation pénible s’est alors transformée en une situation amusante. » Selon elle, cette légèreté est en soi une forme de résistance : rester fermement chez soi, continuer à vivre et sourire malgré les difficultés.

Ce sont ces moments que Hanaysha aime documenter. « Les habitants de Jénine veulent que je couvre leurs histoires après les raids. Ils savent qu’ils me verront après et ils veulent me raconter leur histoire. Ils veulent que le monde sache ce qui se passe à Jénine. »

« Chaque fois que l’armée israélienne effectue un raid sur la ville, elle tente de la brûler et de la mettre sens dessus dessous, mais les habitants insistent pour que Jénine reste intacte et ils résistent à leur manière », explique Hanaysha.

« L’occupation tente de faire croire que tout a commencé après le 7 octobre, mais il s’agit d’une continuation du passé. Dans l’exposition, vous verrez des photos d’avant et d’après le 7 octobre, et vous ne pourrez pas faire la différence parce que la souffrance est la même », dit-elle.

L’armée israélienne a annoncé en juin de l’année dernière qu’elle avait l’intention d’éliminer les groupes de résistance, de « nettoyer le camp », de rétablir son contrôle sur celui-ci et d’y imposer une plus grande autorité palestinienne. Cependant, aucun de ces objectifs n’a été atteint, selon la propre évaluation de l’État hébreu.

Les estimations israéliennes indiquent que pour atteindre de tels objectifs, il faudrait envahir le camp en profondeur, ce qui coûterait cher en pertes humaines pour les Israéliens. Et c’est ce que l’armée a cherché à éviter en ciblant à distance les combattants de la résistance, à l’aide de drones et en refusant de les affronter face à face.

« Plus Israël tente de brûler le camp, plus les gens insistent pour y rester et résister par tous les moyens possibles, parfois même en souriant », conclut en souriant Shatha.

L’exposition se déroule à Dar el-Nimer, Clemenceau, jusqu’au 15 mai.

« Quand vous voyez quelqu’un de près, en face de vous sur une photo, vous commencez à le voir comme un être humain. » Un jeune couple se penche sur une photo accrochée au mur, représentant deux jeunes garçons souriants. Des larmes surgissent dans les yeux de la femme. Sur le tirage suivant, un portrait de dame âgée aux yeux fatigués et au visage creusé de profonds plis. Un...
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Un grand merci à cette journaliste pour son travail accompli avec authenticité, bienveillance et ce, malgré les risques encourus

peacepeiche@gmail.com

05 h 35, le 13 mai 2024

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Commentaires (1)

  • Un grand merci à cette journaliste pour son travail accompli avec authenticité, bienveillance et ce, malgré les risques encourus

    peacepeiche@gmail.com

    05 h 35, le 13 mai 2024

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