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Culture - Interviews croisées

Zeid, Maryam et le punk de Cheikh Imam

Lorsqu'un musicien et producteur de la scène underground libanaise croise la route d'une jeune chanteuse égyptienne, cela ne peut que faire des étincelles. À l'image de leur album « Halawella », grenade sonore confectionnée pendant quatre années durant lesquelles le Moyen-Orient a changé de visage. Mais pas leurs idéaux.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Zeid Hamdan: C'était en 2010 à Alexandrie, en Égypte, après un concert du groupe Kaza Mada. Maryam traînait dans l'appartement ou j'étais et elle s'est mise à chanter alors que j'allais me coucher. Finalement, nous avons dormi beaucoup plus tard que prévu.

 

Avec Halawella, vous réinterprétez plusieurs titres du chanteur révolutionnaire égyptien Cheikh Imam. Pourquoi vous est-il si important ?
Maryam Saleh : Les premiers chants que j'ai entendus étaient ceux de ma mère (aussi chanteuse) et de Cheikh Imam, car c'était un ami de mes parents. Il était adorable avec moi. J'ai commencé à chanter ses airs à partir de mes cinq ans. Je n'avais même pas dix ans lorsqu'il est mort, mais je me sentais proche de lui et de ce qu'il faisait.
Z.H. : J'adore son état d'esprit, son humour, sa gravité, mais surtout la modernité de ses compositions. Aujourd'hui, Cheikh Imam ferait un parfait chanteur punk. J'ai justement senti que Maryam portait cet esprit rebelle.

 

Nixon Baba, Valérie Giscard d'Estaing, Halawella, Chel el-Hawa, toutes ces chansons dépeignent le monde et l'Égypte des années 70. Comment sonnent-elles quarante ans plus tard ?
M.S. : Son parolier, le poète Ahmad Fouad Negm, était très talentueux pour écrire des chansons qui collent à n'importe quelle époque.
Z.H. : Aussi, les problèmes sociétaux n'ont pas changé. Ce qui fait souffrir le peuple égyptien, sa relation au pouvoir, tout cela est le même depuis un siècle ! Ses textes ne vieillissent pas.

 

 


Pourtant, c'est la première fois que vous sortez un album de ses reprises. Pourquoi avoir attendu autant ?
M.S. : Avec Gawaz Safar et Baraka, je reprenais déjà ses chansons. J'aurais pu réaliser cet album auparavant mais je n'appréciais pas les arrangements qu'on me proposait. Quand j'ai commencé à travailler avec Zeid, c'était magique car les chansons devenaient les nôtres. Pas simplement des reprises.

 

Comment avez-vous travaillé pour Halawella ?
Z.H. : Maryam m'envoyait de temps en temps des chants avec des harmonies basiques puis je lui construisais des propositions d'arrangements qu'elle acceptait ou non. Peu à peu, des chansons prenaient forme, mais elles ont mis du temps à mûrir... La distance a fait que nous n'avons pas pu produire autant et aussi vite que nous voulions.

 

Vous avez commencé à écrire ensemble juste avant les révolutions en Tunisie, Égypte, Syrie... Eslahat aborde cette volonté de changement, de réformes. Quel regard portez-vous aujourd'hui vis-à-vis du « printemps arabe » ?
Z.H. : Le printemps arabe est encore en cours. Nous sommes actuellement dans un moment charnière avec la crise des réfugiés ici comme en Europe. Les citoyens se rendent comptent que les frontières n'existent plus, que les problèmes qui sont à des milliers de kilomètres d'eux les concernent aussi. Mais, en tant qu'artistes, nous essayons d'exprimer ce dont nous sommes témoins de la manière la plus forte possible, même si nous n'avons pas de prise sur le futur.
M.S. : Nous sommes dans quelque chose de plus global, il y a une prise de conscience mondiale. Je travaille à faire le bien autour de moi, à ma propre échelle, à être heureuse. Si tout le monde fait cela, le système finira par changer.

 

 

Beaucoup de Libanais investissent les rues ces dernières semaines...
Z.H. : Nous nous réveillons tous les 5 ou 7 ans lorsque nous sommes poussés dans nos retranchements, puis nous nous accrochons à des promesses et nous replongeons doucement dans notre coma. C'est un cycle. Nous sommes encore marqués par la guerre civile et les gens sont apeurés par le fait de perdre le peu qu'ils ont. C'est un premier pas vers le changement, mais nous sommes encore loin du but.

 

Maryam, qu'aimez-vous au Liban que vous n'avez pas en Égypte ? Et qu'adorez-vous en Égypte qui vous manque au Liban ?
Au Liban, j'aime la liberté de me balader, en tant que femme, dans les rues. Par contre, en Égypte, il y a moins cet esprit de caste, de condescendance, de discrimination...

 

Zeid, qu'aimez-vous en Égypte que vous n'avez pas au Liban ? Et que vous manque-t-il lorsque vous êtes en Égypte ?
Nous n'avons pas les étendues de sable immenses et désertiques, ce sentiment d'Afrique. Mais ici, au Liban, les femmes sont davantage respectées et sont heureusement plus libres.

 

Quelle est la chanson que vous préférez chez l'autre ?
M.S. : Hkini de Zeid & the Wings est ma préférée.
Z.H. : Toul el-Tari', même si l'arrangement mériterait d'être retravaillé. (Elle acquiesce en souriant)

 

(Lire aussi : Maryam Saleh sème du « Farah » à tout vent)

 

Quels sont vos plus grands défauts respectifs ?
M.S. : Personne ne sait quand Zeid va s'énerver car il est souvent très calme. Mais ça lui arrive de crier après ses consoles dans les studios. Heureusement, jamais sur son entourage.
Z.H. : Elle ne lit pas assez ses mails (rires) ! Et elle est très émotive.
M.S. : Super, on va se battre maintenant.

 

Ce qui fait que vous collaborez ensemble depuis cinq ans ?
Z.H. : C'est justement la chanteuse qui m'émeut le plus en ce moment. J'aime son énergie, son humanité. Elle m'inspire énormément.


M.S. : Même si cela fait quinze ans que je chante, je ne suis jamais vraiment à l'aise avec les autres. Toujours timide et effrayée par les regards extérieurs. C'est tout le contraire avec Zeid. Il est très facile de travailler avec lui, c'est ma récréation.

*« Halawella », sortie le 17 septembre, Mostakell Records.

 

 (Lire aussi : Zeid Hamdan, citoyen du monde)

 

Toute la révolte de sa muse égyptienne

Zeid Hamdan a trouvé une nouvelle muse, et c'est Maryam Saleh. Il est amoureux (artistiquement), et cela se ressent. Le musicien et producteur, fondateur du label Lebanese Underground, ressemble à certains crus. En prenant de l'âge, ses arrangements deviennent de plus en plus riches et réussis. Claviers électro-pop, rythmes hip-hop, guitare folk ou basse funk se mêlent pour porter plus haut toute la révolte de son amie égyptienne. Oscillant entre rage, ironie et légèreté, la voix de Maryam Saleh charme, défie et bouscule l'auditeur. Inspirés par la figure révolutionnaire tutélaire de Cheikh Imam, les deux artistes se transcendent mutuellement à travers cette collaboration. L'ancienne chanteuse des groupes Gawaz Safar et Baraka n'a pas fini de faire parler d'elle avec sa gouaille. Surtout si son ange gardien libanais est là pour la guider.

 

 

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Comment vous êtes-vous rencontrés ?Zeid Hamdan: C'était en 2010 à Alexandrie, en Égypte, après un concert du groupe Kaza Mada. Maryam traînait dans l'appartement ou j'étais et elle s'est mise à chanter alors que j'allais me coucher. Finalement, nous avons dormi beaucoup plus tard que prévu.
 
Avec Halawella, vous réinterprétez plusieurs titres du chanteur révolutionnaire égyptien...

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