«Comme l'a dit l'une de nos grandes poètes, Emily Dickinson : "La vérité est une chose si rare que c'est un plaisir de la dire", et ce surtout à Washington!»
C'est, entre autres, par un trait d'humour que le président américain Barack Obama a félicité, le 10 septembre, les lauréats des National Medals for the Arts and the Humanities, une distinction prestigieuse créée il y a 50 ans par le Congrès américain et octroyée au nom du peuple. «Les hommes et les femmes que nous honorons aujourd'hui, lauréats de la médaille nationale des Arts et des Lettres, ne sont pas ici seulement parce qu'ils ont partagé des vérités rares, souvent relatives à leurs propres expériences, mais aussi parce qu'ils ont dit de rares vérités sur nos expériences communes», a poursuivi M. Obama, avant de remettre leurs médailles aux lauréats, sélectionnés par le National Endowment for the Arts and Humanities, qui a pour rôle de soutenir les diverses expressions culturelles.
Parmi les 18 personnalités honorées cette année figuraient notamment Ping Chong, metteur en scène de théâtre, artiste et chorégraphe, Meredith Monk, compositrice et chanteuse, le romancier et coscénariste de Brokeback Mountain, Larry McMurtry, « qui a vécu dans un ranch où il n'y avait aucun livre et a pu quand même rédiger plus de trente romans », ainsi que l'actrice Sally Field et le romancier Stephen King, «un des écrivains les plus populaires et les plus prolifiques de notre temps, qui a réussi à terrifier et enchanter ses lecteurs du monde entier durant des décennies ». Puis vint le tour de Fedwa Malti-Douglas : « Avec ses études sur les lettres arabes, a déclaré le président Obama, elle a établi les grandes lignes d'un discours sur le genre et les lettres dans la littérature moyen-orientale et elle a finement analysé la culture américaine. »
Une belle personne venue du Liban
Née au Liban, Fedwa Malti-Douglas, 69 ans, a été la rédactrice en chef d'une encyclopédie en quatre volumes intitulée Encyclopedia of Sex and Gender, aux éditions MacMillian. Au début de sa carrière, elle a été chercheur au CNRS en France, puis a occupé deux chaires à l'Université d'Indiana: celle des arts et des sciences et celle des études sur le genre.
Fedwa Malti-Douglas a surtout consacré des décennies à explorer la place de la femme dans les écrits arabes (depuis la littérature médiévale jusqu'aux bandes dessinées), sillonnant le Moyen-Orient et le Maghreb, publiant une dizaine d'ouvrages à ce sujet et signant une centaine d'articles et d'éditoriaux dans la presse américaine spécialisée. Dans un éditorial publié dans le New York Times, elle se présente en ces termes: «J'ai un nom inhabituel, un type classique méditerranéen, et mon passeport américain affiche que je suis née au Liban.» Plus précisément à Deir el-Qamar qu'elle se plaît à évoquer en ces termes: «De notre maison, on pouvait voir le palais des émirs des siècles passés.»
Enfant, se souvient-elle, sa tante lui lisait Les Mille et Une Nuits et lui contait les histoires de ses aïeux. Son père, médecin, Albert Malti, l'emmenait souvent à son cabinet qu'il possédait à Beyrouth et où elle a pu rencontrer ses malades. Ce qui lui a sans doute inspiré un livre intitulé Médecine de l'âme : corps de femmes et géographies sacrées dans un islam transnational. Un ouvrage qui l'a également aidée à mieux vivre avec un mal héréditaire, une dystrophie musculaire dont elle est atteinte depuis sa jeunesse et qui ne l'a pas empêchée de briller.
Emprunter de nouvelles voies intellectuelles
C'est aussi au sein de sa famille qu'elle a puisé un sens aigu de l'histoire et de la condition féminine. Un sujet au cœur de sa carrière d'écrivaine et de chercheuse aux États-Unis où elle a émigré pour poursuivre ses études (BA à Cornell et Ph.D à UCLA). Elle y a épousé Allen Douglas, chercheur et professeur universitaire spécialisé dans l'histoire européenne, et en particulier celle de la France moderne.
Membre de comités d'universités prestigieuses, elle a aussi été sélectionnée pour faire partie de l'American Philosophical Society, au même titre que le célèbre philosophe et linguiste Noam Chomsky et le juge de la Cour suprême américaine Stephen Breyer, un grand spécialiste de Camus.
Naviguant avec justesse dans ce domaine multidimensionnel et bouillonnant qu'est la question du genre, cette femme à la forte personnalité a su s'immerger dans les sujets brûlants et souvent controversés des quatre dernières décennies, parmi lesquels le féminisme et l'islam, la politique et le sexe, la médecine et l'âme.
En recevant sa médaille, Fedwa Malti-Douglas a déclaré: «Cette distinction conforte mon désir d'emprunter de nouvelles voies intellectuelles, de nager dans de nouveaux courants culturels et d'explorer des territoires encore vierges. J'ai toujours senti que la connaissance est la vie. En ce moment, j'achève un mémoire et je démarre mon troisième roman.» Fedwa Malti-Douglas n'a pas l'intention de dormir sur ses lauriers...
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Félicitations, c'est un honneur pour notre pays.
09 h 35, le 22 septembre 2015