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Culture - Rencontre

Spiderman s’en va-t-en guerre contre la laideur

Avec son exposition « War Peace », le graffeur libanais et ses « potato nose » réconcilient le passé avec le présent et font espérer un avenir meilleur pour Beyrouth.

Spiderman.

Passé
« Les personnes qui ont détruit cet immeuble pendant la guerre n'ont demandé la permission à personne. De mon côté, je l'attaque, mais de manière pacifique. » Voilà comment Jad el-Khoury envisage son art urbain. Pour sa première action extérieure dans le cadre de l'exposition « War Peace », Jad el-Khoury a affronté l'immeuble qui frôle le ring, le pont qui traverse la capitale. L'artiste n'a pas choisi ce bâtiment innocemment : il se situe sur la « ligne verte » qui séparait les parties est et ouest de Beyrouth mais aussi, « au croisement de trois quartiers à caractère confessionnel : les chrétiens à Achrafieh, les sunnites dans le centre-ville et les chiites au sein de Bachoura ».
Vingt-cinq ans après la fin de la guerre civile, les marques du conflit qui a divisé Beyrouth en deux et le Liban en morceaux, sont loin d'avoir disparu du paysage. « Nous passons chaque jour, sans même les remarquer, devant les traces physiques de la guerre. Elles n'ont pourtant rien de banal au sein d'une ville et je voulais les surligner », explique l'artiste, âgé de 27 ans. Dégoûté par l'état du pays, l'artiste voulait s'exiler à l'étranger, une fois son diplôme en poche. Aux États-Unis ou en France, peu lui importait. Mais sa rencontre, en 2014, avec l'architecte, et mentor, Nadim Karam lui a fait l'effet d'un électrochoc. « Où est-ce que je pourrais être ailleurs qu'ici-même au Liban? » avait répondu l'artiste au jeune homme en proie aux questionnements identitaires. « Depuis, j'appréhende différemment les problèmes du pays. Ils sont devenus, en fait, mes sources d'inspiration. »

Présent
Pour pouvoir réaliser son œuvre, Jad el-Khoury a su jouer du timing (et de la chance) à son profit. C'est dans la nuit du 15 au 16 août, au petit matin, qu'il s'est attaqué à la façade de l'immeuble, laissé à l'abandon depuis plusieurs décennies. Soit une semaine avant les affrontements place Riad el-Solh. « Si j'avais raté cette occasion, cela aurait été impossible après. Ils sont partout désormais », ajoute le grapheur en pointant le véhicule de l'armée stationné à quelques mètres de là, sous le pont du ring.
Son « War Peace » se veut illégal, autant qu'il le peut (et veut). Impossible de dépêcher une nacelle sur place, les policiers l'auraient immédiatement arrêté. Alors, pendant les quatre mois qui ont précédé son « attaque », comme il aime dire, l'artiste s'est entraîné à descendre un mur en rappel – et à dessiner, tout en étant à 20 ou 30 mètres du sol – avec l'aide d'un ami professionnel de l'escalade. Entre les sangles, les cordes, le baudrier, le casque et la peinture, il dit avoir dépensé plusieurs centaines de dollars pour transformer le mur à sa guise. Pour la beauté du geste, le jeune homme a risqué sa vie. Accompagné de quatre amis qui le filment, le photographient et veillent à sa sécurité, l'ancien étudiant de l'Université libanaise se lance finalement dans le vide à 5h du matin, bombes et rouleaux de peintures à la main. « Une heure et quart plus tard, la mission était terminée », annonce-t-il fièrement.
Il faut dire que les « potato nose » de Jad el-Khoury ne sont pas nés d'hier. Ils fleurissent, depuis un bon bout de temps, un peu partout dans Beyrouth. À Hamra ou à Gemmayzé, certains commerçants font même appel à l'artiste pour égayer leurs devantures. Depuis son enfance, il laisse libre court à son stylo, son feutre, son pinceau ou sa bombe de peinture. Le jeune peintre, qui s'adonne au scribble art, ne réfléchit jamais vraiment ses œuvres. Chacune d'elles est, en quelque sorte, le fruit du hasard. Ses formes enfantines abstraites, qui s'imbriquent les unes dans les autres pour former une mosaïque de plusieurs personnages, sont devenues sa marque de fabrique.

 

 

 

Futur
Enfant, Jad el-Khoury se livrait discrètement à l'exercice du gribouillage sur les bancs d'école. Aujourd'hui, ce sont les façades d'immeubles qui le démangent. Alors qu'il traçait d'habitude ses personnages en noir et blanc, « afin de garder la simplicité et la force des traits », les « potato nose » apparaissent tous rouges sur la façade de l'immeuble près du ring. « Si vous observez le mur de loin, vous ne verrez plus mes dessins, mais un immeuble qui saigne », explique le jeune homme, également architecte d'intérieur.
Après cette première « attaque », il voudrait que ses drôles de personnages apparaissent sur trois autres bâtiments : les façades du Holiday Inn, d'un bâtiment à Sin el-Fil et d'un autre à Tayyouneh. « C'est moins excitant d'intervenir après avoir demandé la permission, mais rester dans l'illégalité semble assez compliqué pour ces prochains objectifs », se résout l'artiste.

À signaler qu'un autre pan de son travail, toujours dans le cadre de War Peace, sera présenté dès ce soir à la galerie Cynthia Nouhra. Cette fois-ci, l'artiste a pris carrément un revolver 9 millimètres pour tirer sur une surface installée à la galerie. Puis, armé d'un feutre noir, il a slalomé entre les traces d'impacts.
Dans la rue ou au sein d'une galerie, avec sa collection de petits personnages chaleureux, le jeune artiste détourne les cicatrices laissées par les balles et autres roquettes, afin d'imaginer un futur positif. Un avenir qui ne ferait pas l'impasse sur l'horreur de la guerre, mais qui permettrait, à ceux qui l'ont vécue, d'aller de l'avant.

Dans les rues de Beyrouth et à la galerie Cynthia Nouhra (Furn el-Chebback), à partir de ce soir (18h) jusqu'au 15 octobre.

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