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Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ

Classe politique libanaise – I – : chronique d’une mort annoncée

Le peuple était fatigué de cette classe politique, fatigué d'être volé, trahi, manipulé, exploité. Il était fatigué d'être fatigué. Alors, il a répondu une fois de plus à l'appel, un seul appel, celui de dire non : non au mensonge, non à la république-poubelle, non à l'exploitation, non à la régression, non à la spoliation de ses biens, de son intégrité physique et de son avenir, non à ceux qui le dirigent, qui le divisent, qui le trahissent, non à sa classe politique. Beaucoup sont descendus sur les places, d'autres les ont soutenus de loin ; qu'importe, il fallait bouger une pièce pour dérégler ces fausses parties d'échec, ces parties nulles où des rois, des tours et des fous condamnent les pions à attendre et attendre jusqu'à l'usure, alors que la fin est écrite d'avance.
Avons-nous été victimes d'un jeu qui nous dépasse ? Une fois de plus ? Avons-nous été exploités pour faire passer une nouvelle combine, celle du partage des revenus des déchets entre six sociétés appartenant à la même mafia politique ? Allons-nous servir d'alibis pour la prise du pouvoir par un groupe encore plus obscurantiste et plus cupide que celui qui nous gouverne ? Ce n'est pas important. Ce qui importe, c'est la mort annoncée d'une classe politique et la nécessité de trouver un nouveau modèle de société, une autre façon de faire la politique.
Nous avons expliqué à plusieurs reprises comment le peuple libanais est la victime d'un système implacable d'extraction des richesses publiques pour les partager entre les membres de la classe politique et de leur clientèle ; que ceux d'entre eux qui s'opposent à ce partage s'opposent en fait sur leur part dans le butin et non pas au principe même d'extraction.
Nous avons eu une preuve de plus que nous vivons dans une fausse démocratie, où, au lieu d'envoyer leur racaille tabasser les manifestants, ils l'envoient tabasser les forces de l'ordre pour justifier leur intervention contre les manifestants. Nous avons compris que le meilleur que nous puissions attendre de cette classe politique, c'est de demeurer l'otage des maîtres d'un pouvoir légitimé uniquement par nos divisions et des lois électorales qui garantissent leurs réélections ou la prolongation de leurs mandats.
Nous avons compris que les vainqueurs d'hier ont accaparé les richesses d'aujourd'hui et si nous ne luttons pas aujourd'hui nous serons les perdants de demain ; nous serons dépouillés de tout, de notre droit d'exister, de tout espoir d'avoir un pays, de toute dignité humaine. Nous avons compris que nous avions fait un grand pas en avant en nous appropriant à temps partiel une place, mais nous nous sommes aussi rendu compte que cela ne suffisait pas. Ce que nous devons faire demain est plus compliqué : nous devons nous organiser, nous structurer, clarifier nos buts et notre stratégie, entrer dans le terrier du renard, ensemble, remettre en cause le sens commun dans les endroits où aujourd'hui il se construit.
Mais nous savions déjà que la seule chose qui fait peur à ce pouvoir désincarné, c'est de mettre en cause son monopole sur le peuple et sur son vote, ce peuple qu'ils s'ingénient à rendre invisible, insignifiant, entassé dans des communautés qui ressemblent de plus en plus à des cimetières humains.
Il faut donc mettre toute la vapeur de l'indignation sociale dans une chaudière qui donne du sens à une autre politique. Ils nous ont dit que les déchets sont parmi nous, mais sans nous expliquer que si tout cela était arrivé, c'était à cause de leur cupidité. Et si demain tout prendra fin, c'est que tout le monde a pris sa part. Et le système continuera de se nourrir de notre sang et de notre chair jusqu'à imploser de boulimie.
Nous allons faire de la politique, mais pas comme eux. Nous devons changer les règles du jeu. Nous devons écrire un nouveau récit, un autre script pour le Liban. Et parce qu'ils n'ont plus la confiance des gens, celle-ci prendra nécessairement corps autour d'un nouveau récit. Nous avons tous hier réalisé que la peur a changé de camp, la classe politique a pris peur, et les tentatives de récupération politiques ont commencé, suivies par les tentatives de sabotages et les accusations. « D'abord ils t'ignorent, ensuite ils se moquent de toi, après ils te combattent. Alors là tu gagnes, parce que tu es convaincu de la force de la vérité, de la vérité de ta lutte. » Gandhi est toujours de notre côté. Du côté de ceux qui survivent avec 500$ par mois. De ceux qui doivent alterner les boulots le jour et la nuit pour nourrir leur famille. Du côté de ceux qui entrent avec honte dans les bureaux et les administrations de l'État. De ceux qui doivent payer une double facture d'électricité, une double facture téléphonique, une double facture d'eau et qui restent, malgré tout, dans le noir, sans eau et avec un réseau téléphonique parmi les pires du monde. Du côté de ceux qui doivent subir les déchets parce que la classe politique ne s'est pas encore mise d'accord sur le partage des revenus générés par ses déchets. Du côté de ceux qui ressentent avec colère les mensonges des puissants et qui ne veulent plus gober leurs histoires. Du côté de ceux qui perdent leur logement et leurs économies. Du côté de ceux qui sont au chômage ou avec un travail-poubelle. De ceux qui s'inquiètent pour l'avenir de leurs enfants. De ceux qui sacrifient leur vie pour prendre soin de celle des autres. De ceux dont les enfants sont kidnappés et risquent de mourir à tout moment. De ceux vivant à l'étranger qui portaient avec fierté le nom du Liban et qui sont aujourd'hui obligés de subir les humiliations parce qu'ils sont libanais. De ceux qui doivent partir de leur pays pour nourrir leur famille et ceux qui, ayant à peine de quoi survivre, partagent avec ceux qui ont encore moins qu'eux.

Adib Y. TOHMÉ
Prochain article :
La renaissance d'un pouvoir citoyen

Le peuple était fatigué de cette classe politique, fatigué d'être volé, trahi, manipulé, exploité. Il était fatigué d'être fatigué. Alors, il a répondu une fois de plus à l'appel, un seul appel, celui de dire non : non au mensonge, non à la république-poubelle, non à l'exploitation, non à la régression, non à la spoliation de ses biens, de son intégrité physique...

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