« Ils ont mis de côté leurs différends pour nous diviser. Faisons de même pour nous rassembler. » C'est autour de cette banderole qu'étaient réunis hier au Trocadéro quelques centaines de manifestants. Une nuée de drapeaux libanais flottait dans les airs, certains hissés sur des balais pour faire le ménage au Parlement. Mais les manifestants étaient surtout venus armés de leur fierté. La fierté à l'orientale, bien de chez nous. Fiers d'être libanais, ils l'ont été aussi samedi devant leurs écrans, en voyant leurs frères de l'autre côté de la Méditerranée reprendre les rues de Beyrouth, en les voyant enfin regagner leur dignité, enfin se réveiller, enfin demander des comptes dus depuis bien trop longtemps.
« Il y a de quoi être fier. D'habitude, les manifestations qui attirent tellement de monde sont politisées. Là, c'est d'un élan citoyen qu'est partie la contestation, et c'est une première au Liban. La crise des déchets de cet été n'est que la partie émergée de l'iceberg. Ce n'est plus une simple histoire de poubelles, c'est un dégoût populaire. J'ai quitté mon pays il y a 12 ans parce qu'il ne nous ressemblait plus. Je suis fier de voir que les choses ont changé. C'est une vague d'espoir », confie Maher Sabra, un des organisateurs de la manifestation de soutien Tol3et Ri7etkoun (« Vous puez ! ») à Paris.
Ils auraient tous aimé être place des Martyrs, samedi, pour crier leur ras-le-bol au visage des politiciens, mais manifester au pied de la tour Eiffel, ce n'est pas mal non plus. Le Koullouna Lil Watan avait un air plus solennel, et c'est les larmes aux yeux que beaucoup de manifestants l'ont repris en chœur. Les organisateurs ont ensuite demandé une minute d'applaudissements en guise de solidarité avec les manifestants libanais qui sont actuellement détenus par les forces de l'ordre. Puis c'était au tour de la foule d'improviser. « Révolution », a-t-elle commencé à scander avant d'être vite rattrapée par des « Sawra » (révolution en arabe) moins timides. On est à Paris, certes, mais n'exagérons rien.
« Lâchés par leur État »
Quelques Français s'étaient glissés dans une foule majoritairement libanaise, comme Violaine. Cette Parisienne est assez proche du pays du Cèdre, puisqu'elle fréquente depuis un an deux Libanaises installées à Paris. « C'est à force de passer du temps avec les filles que j'ai commencé à m'investir un peu plus dans tout ce qui se passe au Liban. J'en ai tellement entendu parler que j'ai finalement décidé de m'y rendre. C'est un pays merveilleux. J'y ai rencontré des personnes brillantes, éduquées, intéressantes, qui ont un potentiel intellectuel incroyable. Malheureusement, les Libanais sont complètement lâchés par leur État. De voir qu'ils sont obligés de quitter leur pays et de s'intégrer ailleurs, ça pousse à la réflexion. Cela me pousse à m'interroger sur les questions d'identité, d'État protecteur et garant des droits fondamentaux. En fait, cela me fait surtout réfléchir sur mon propre pays. On est très chanceux finalement et on ne s'en rend même pas compte », dit-elle.
Pour Jean-Christophe, un Français amoureux du Liban où il a vécu un an, il ne faut pas avoir une conscience écologique pour être touché par ce qui se passe au pays du Cèdre. « Ce qui est étonnant dans tout cela, c'est que les députés libanais font comme s'ils ne vivaient pas dans ce pays. Ils déplacent toujours le problème, le saupoudrent de sucre, mais ne l'affrontent jamais. Et ils finissent par se retrouver sous une montagne d'ordures », dit-il.
Frustrée de ne pas être avec ses compatriotes en cette période historique, Tara Harb, une Libanaise installée à Paris depuis près de deux ans, s'avoue néanmoins rassurée de voir que « l'espoir n'est pas mort ». « Cette révolution a très bien commencé, mais elle doit continuer jusqu'au bout. Il faut un renouvellement de la classe politique qui nous a dégoûtés, qui nous a chassés de notre propre pays et qui nous a privés de nos droits fondamentaux. C'est à nous de faire changer les choses », poursuit cette Libanaise qui travaille dans un cabinet d'avocats.
Après Londres, c'était donc au tour de Paris de faire entendre la voix de ces Libanais en colère ce week-end. Parce que eux aussi ont leur mot à dire. Parce qu'il ne faut pas oublier que, s'ils sont partis, c'est souvent parce qu'ils n'avaient plus le choix. Et s'ils sont partis, c'est parfois pour mieux revenir. Loin des yeux mais pas si loin du cœur.
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10 h 25, le 01 septembre 2015