Un manifestant brandissant le drapeau libanais avec les signes du croissant et de la croix, samedi 29 aout place des Martyrs. Photo AFP
Samedi, des dizaines de milliers de Libanais ont répondu à l'appel à manifester, lancé par la société civile, pour dénoncer l'incurie du gouvernement. Une manifestation qui s'est déroulée dans le calme, dans une ambiance festive même, jusqu'en fin de soirée.
A partir de 20h30, la tension est montée d'un cran quand des manifestants sont passés de la place des Martyrs, dans le centre-ville de Beyrouth, où avait eu lieu la manifestation, à la place Riad Solh, à quelques centaines de mètres, devant le Grand Sérail, siège du gouvernement. Selon un témoin sur place, des personnes encagoulées se sont mêlées aux manifestants. Une douzaine de jeunes ont lancé des projectiles contre les forces de l'ordre et ont réussi à franchir une barrière de fils barbelés les séparant des policiers. Les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont affirmé que des manifestants ont également défoncé l'entrée d'un immeuble adjacent au Grand Sérail dans une tentative de franchir la ligne de sécurité. Les FSI ont menacé de prendre les "mesures appropriées" pour mettre fin aux violences, mettant en garde contre tout débordement autour du Grand Sérail.
Un peu plus tôt, le collectif citoyen "Vous puez !", à l'origine de la manifestation place des Martyrs, avait annoncé la fin du rassemblement, invitant les manifestants place Riad al-Solh à rentrer chez eux. « Vous puez ! » est un groupe né des répercussions de la dernière crise des déchets (qui sévit depuis le 17 juillet) et se voulant une caisse de résonance pour revendiquer les droits des citoyens.
Vers 22 heures, les forces de l'ordre ont dispersé les manifestants place Riad Solh et formé une chaîne humaine au niveau de la rue des Banques afin d'empêcher les jeunes de s'approcher du Grand Sérail. Trois personnes ont été blessées, selon la Croix-Rouge libanaise.
Ultimatum
Avant ces dérapages, des dizaines de milliers de manifestants avaient exprimé, place des Martyrs, leur colère envers une classe politique qu'ils jugent corrompue et incapable de leur assurer les services de base.
Les organisateurs du rassemblement, le collectif de la société civile "Vous puez!", ont, eux, adressé un ultimatum aux autorités, avertissant que le mouvement de contestation ne cessera pas avant la démission du ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, et l'élection d'un président de la République. Les organisateurs de la campagne ont également menacé de recourir à une escalade si le gouvernement ne satisfaisait pas leurs demandes d'ici 72 heures.
Dans une déclaration faite au quotidien an-Nahar, le ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, a affirmé qu'il n'a pas l'intention de démissionner.
Pour sa part, le Courant du Futur a salué les manifestants qui se sont rassemblés pacifiquement place des Martyrs, affirmant que la crise actuelle est le résultat du vide présidentiel. "Ce rassemblement montre que nous n'avons pas été à la hauteur des attentes et des ambitions des jeunes Libanaises et Libanais", a affirmé le parti de l'ancien Premier ministre Saad Hariri samedi soir. "Toute la classe politique est responsable de la vacance à la tête de la République", a ajouté le parti dans son communiqué, appelant à la tenue d'une élection présidentielle "le plus tôt possible".
(Reportage : "Nous voulons que la classe politique libanaise nous rende des comptes !")
Place des Martyrs, les manifestants ont appelé à la fin de la corruption, à la démission du gouvernement, ils ont dénoncé l'incapacité des autorités à assurer l'approvisionnement en eau et en électricité, et à assurer l'accès aux soins de santé. Les manifestants ont également réclamé l'organisation de nouvelles élections législatives et l'élection d'un président de la République... Depuis les dernières élections de 2009, le Parlement a prolongé à deux reprises son mandat et les députés n'ont pas réussi à élire un président de la République, poste vacant depuis mai 2014.
Tous les leaders politiques sont désormais visés, comme l'ont prouvé les messages lancés au centre-ville. La campagne « Vous puez ! » et d'autres campagnes qui sont nées ces derniers jours, comme « Nous demandons des comptes », veulent aussi que soient jugés les militaires qui ont tiré le week-end dernier sur les manifestants, de même qu'ils réclament le transfert de la collecte des déchets aux municipalités.
Pour éviter une répétition des actes de violence survenus lors des premières manifestations le week-end dernier et imputées à des "fauteurs de troubles", les organisateurs avaient constitué un service d'ordre de 500 membres. Alors que des fauteurs de troubles commençaient à faire du grabuge place Riad Solh, le collectif "Vous puez !" avait rapidement appelé à la fin de la manifestation.
La campagne de protestation a commencé avec la crise des ordures provoquée à la mi-juillet par la fermeture de la plus grande décharge du Liban, à Naamé, et l'amoncellement des déchets dans les rues de la capitale et des autres villes du pays. Mais au delà de la crise des déchets, elle illustre plus généralement le ras-le-bol d'une partie de la population contre la corruption endémique, le dysfonctionnement de l'Etat et la paralysie des institutions politiques.
(Lire aussi : A Londres aussi, les Libanais crient leur ras-le-bol)
'Tous sans exception'
Vingt-cinq ans après la fin de la guerre, l'électricité est rationnée dans tout le pays et chaque été l'eau vient à manquer dans de nombreuses régions, notamment à Beyrouth, alors que le Liban est le pays le plus arrosé du Moyen-Orient mais qui manque cruellement de barrages.
"Le mot d'ordre de la manifestation sera 'tous sans exception', car nous sommes contre toute la classe politique. Le seul drapeau permis sera le drapeau libanais (...) Nous sommes contre les parties qui exploitent les citoyens", avait déclaré un autre organisateur de la manifestation, Lucien Bourjeily plsu tôt dans la journée.
عشرات الآلاف في وسط #بيروت الان يقولون للزعماء السياسيين #طلعت_ريحتكم
Posted by طلعت ريحتكم on Saturday, August 29, 2015
De nombreux artistes avaient annoncé leur participation au rassemblement. Pour le célèbre chanteur Ghassan Saliba "ce qui se passe aujourd'hui est totalement inédit. Dans le passé, c'était un dirigeant politique qui appelait à manifester. Aujourd'hui, ce sont les Libanais de toutes les confessions qui descendent car tous les gens ont mal". Egalement présent parmi les manifestants, Marcel Khalifé déclarait à L'Orient-Le Jour : "Je suis là parce que je suis un citoyen, parce que le temps est venu pour nous d'avoir notre liberté."
Plusieurs organisations avaient publié des communiqués pour confirmer leur participation à la manifestation et appeler d'autres à le faire. Parmi elles, "L'Agenda légal" a demandé à tous les avocats de participer en force au mouvement « pour défendre les droits et les libertés essentielles », « parce que la crise des déchets est l'expression la plus éclatante du mépris des responsables envers les moindres règles de transparence et de reddition de comptes », « parce que la justice est la première victime de l'effondrement du système judiciaire et de la culture de clientélisme ».
Et sur les réseaux sociaux, de nombreux Libanais et militants ont appelé à manifester sous différents mots d'ordre, utilisant les hashtag, #VousDevezRendreDes Comptes, #DansLaRue, ou #NousEnAvonsMarre.
(Lire aussi : Baroud : Un mouvement politique aux composantes civiles)
'Du jamais vu'
Dans un Liban profondément divisé où le système politique est basé sur la répartition confessionnelle, la manifestation a un caractère unitaire éloigné du morcellement entre communautés.
Et les analystes notent la fracture entre une partie de la population et ses dirigeants. "Ce qui se passe aujourd'hui est différent de tout ce que nous avons vu. Ce mouvement n'est pas politisé, n'est lié à aucun mouvement politique. On n'avait jamais vu ceci dans le passé. C'est important. Le mouvement a été capable d'unifier les gens qui sont dégoûtés par les politiciens", note Jad Chaaban, professeur d'Économie à l'Université américaine de Beyrouth.
Pour Fadia Kiwan, professeur de Sciences politiques à l'Université Saint Joseph, "bien sûr que s'exprime la rancoeur après que le gouvernement a jeté à la figure des citoyens les déchets en pleine canicule, sans aucun respect pour la santé et la dignité des citoyens". "Je crois de plus en plus que ce mouvement, quelle que soit la suite, a déjà secoué la confiance des citoyens dans leur élite politique. Il a secoué l'édifice", a-t-elle ajouté.
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22 h 41, le 30 août 2015