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Liban - Société

III - Délinquance juvénile : à 17 ans, Samer prend sa destinée en main

Un soutien approprié permet à ce jeune qui a amorcé une descente aux enfers de refaire surface.

La prison est parfois un mal nécessaire, surtout quand l’ado amorce une descente aux enfers. Photo archives AFP

Grand, ce jeune déscolarisé n'a de maître que lui-même. « Mon père est décédé avant ma naissance ; ma mère, quand j'avais 13 ans. J'ai été envoyé chez mon oncle, épicier, qui ne s'occupait que de sa marchandise. Aux yeux de sa femme, le chien de chasse revêtait plus d'importance que moi. Je ne pouvais pas continuer à vivre cet enfer. » Samer allume nerveusement une cigarette en racontant son histoire. Sa vie est une succession de difficultés qu'il a affrontées en prenant lui-même en charge sa destinée, ce qui lui a valu le surnom de « abaday » (caïd de quartier), attribué par ses copains.
Sans domicile fixe, le « abaday » est un habité des geôles. À son actif : des cambriolages, des vols à la tire, des actes d'escroquerie... « J'ai été obligé de me battre pour ne pas mourir de faim. J'ai essayé de faire le petit commerce, mais ça n'a pas marché. Démuni, je n'avais d'autre choix que celui de voler », confie-t-il.
« Libéré après un long séjour en prison et grâce à une nouvelle formation en mécanique acquise durant mon incarcération, j'imprime une nouvelle couleur à ma vie », raconte Samer. Il se sent renaître de nouveau, délivré d'un lourd poids : « Je rêve de travailler pour pourvoir à mes besoins, devenir indépendant. L'assistante sociale, la psychologue m'ont soutenu énormément. Les écouter a opéré en moi un changement radical. Elles ont cru en moi... Je ne voulais pas les décevoir. Aujourd'hui, je ne me sens plus prisonnier de ma propre personne. Rien ne me fait peur. Je renais. Je suis plus fort, bien armé pour relever le défi, prêt à faire face au monde extérieur. »

La Fondation du père Osseirane
La prison est parfois un mal nécessaire, comme dans le cas de Samer qui avait amorcé une descente aux enfers. Elle peut être efficace dans son rôle de protection du citoyen, tout en permettant d'œuvrer à la réinsertion de ceux qui y ont séjourné, notamment les jeunes délinquants.
La Fondation du père Afif Osseirane (FPAO) s'est fixé pour objectif d'appliquer la Convention des droits de l'enfant et la Déclaration des droits de l'homme. Dans son siège social à Fanar, qui comprend un internat gratuit et une école technique, elle s'occupe sans aucune discrimination religieuse ou politique de cas sociaux, de jeunes victimes de familles disloquées en conflit avec la loi, de sans-abri, d'enfants des rues recueillis suite à un jugement de protection. Dans son approche, la FPAO privilégie les activités visant à mettre l'enfant à l'abri de la délinquance et accorde une importance significative à la prévention.
« Elle a pour mission de lutter contre la délinquance, la prostitution juvénile par des activités susceptibles de garantir les droits fondamentaux de l'enfant, d'assainir son environnement (culturel, sanitaire, législatif, judiciaire, familial, psychologique...) et de veiller à sa croissance. Dans le même ordre d'idées, elle s'emploie à réhabiliter et à paver la voie à la réinsertion sociale et professionnelle de jeunes prisonniers pendant leur incarcération, et après leur libération », explique Mona Afeiche Choueiri, ancienne ministre d'État et présidente de la Fondation du père Afif Osseirane. Elle met l'accent sur la réhabilitation des jeunes dans la prison de Roumieh : « Notre objectif est de leur assurer un programme technique, éducatif et culturel, des divertissements, et de leur octroyer une deuxième chance en les aidant à acquérir de nouvelles compétences, à établir un projet de vie. » « Nous facilitons également leur intégration dans la famille et la société », poursuit-elle. La FPAO ne se contente pas de réhabiliter un jeune en conflit avec la loi, mais l'accompagne durant tout le processus qui doit lui permettre de redevenir un individu autonome, parfaitement adapté à vivre en société et à construire son avenir normalement. Elle lui offre un suivi psychologique, un accompagnement basé sur le respect de la personne. Elle constitue « une passerelle » entre l'univers carcéral et le monde social, et essaie principalement d'aider les prisonniers à se reconstruire, à reconstruire une vie autonome afin d'assumer la gestion de leur vie au quotidien et d'exister en tant qu'individus conscients de leurs droits et devoirs. « On réalise tout cela à travers les rencontres, grâce à une parole sans tabou et à une écoute sans préjugés, ce qui encourage les jeunes à tourner la page et à continuer d'avancer », déclare-t-elle.

Combat quotidien
« Bien que les moyens de la fondation soient modestes et les besoins énormes, les équipes pluridisciplinaires, formées d'avocats, de psychologues et d'assistantes sociales, ne baissent pas les bras et continuent de se battre, poursuit Mona Choueiri. Les adolescents en prison sont majoritairement issus de milieux défavorisés et souffrent fréquemment de problèmes liés à la violence, à la toxicomanie. Ils présentent souvent des antécédents de maltraitance physique et d'abus sexuels. Au regard de ces difficultés, l'association agit pour les aider à mieux supporter leur enfermement, à préparer leur sortie. À cette fin, l'association a mis en place des sessions de formation professionnelle qui répondent le mieux au marché du travail (ateliers de bois, de cuir, de mécanique...), au terme desquelles un certificat sera remis au détenu, lui permettant d'exercer une profession dès sa sortie, de lui éviter la récidive et de favoriser sa réintégration sociale. »
Toutefois, malgré toutes les améliorations constatées grâce à l'action des ONG, l'État reste très absent, déplore la présidente de la fondation qui rappelle que les mineurs en prison sont souvent encadrés par des prisonniers adultes, qui participent fréquemment à leur formation professionnelle, ce qui est une aberration. « Certes, nous parlons de réhabilitation, mais il est impensable d'éduquer nos jeunes délinquants par des criminels. Ne vont-ils pas leur servir de mauvais exemple ? De plus, tous les jours, de 17h jusqu'à 8h du matin, les associations quittent la prison. Plus personne n'est là pour veiller sur nos jeunes et leur assurer un minimum de sécurité », s'inquiète-t-elle. « Certes, il faut sanctionner, mais dans un environnement sain, sûr, respectueux de la dignité humaine, faute de quoi nos adolescents risquent de sombrer encore plus dans la délinquance », avertit Mona Afeiche. Il semble donc urgent de concevoir un centre indépendant de ce monde carcéral, spécialisé, qui assurerait à la fois la détention, la répression, la correction et la réintégration sociale. Car tant que les prisons, véritables « écoles du crime », n'auront pas changé, tout individu qui y entre encourt le risque de récidiver, met-elle de nouveau en garde.

Encadrement hors prison
« La mission de la fondation ne se limite pas uniquement à l'encadrement à l'intérieur des murs de la prison », rappelle Mona Choueiri. « Son objectif tend à accompagner les jeunes délinquants dès leur retour à la liberté, dans leur recherche d'autonomie et à sensibiliser le grand public à la question carcérale. Dans nos quatre centres de réinsertion (Beyrouth, Sud, Tripoli et Akkar), nos équipes s'activent pour assurer un suivi psychologique, juridique, éducatif aux jeunes qui ne peuvent pas ou ne doivent pas réintégrer leurs familles après avoir purgé leur peine », précise-t-elle.
Et l'ancienne ministre de dévoiler par ailleurs les lacunes des autorités responsables à toutes les étapes, notamment au niveau de la protection du mineur, dénonçant le fait que « l'adolescent arrive menotté à la gendarmerie ». « Sa présence n'y est pas tout de suite signalée aux parents et il est souvent détenu avec des adultes, ce qui pourrait lui être préjudiciable », déplore Mme Afeiche, d'où l'importance, selon elle, d'un soutien adéquat, de la présence d'une association aux côtés du mineur au moment de l'interrogatoire et lors de la présentation du rapport social au juge, dans lequel les circonstances atténuantes sont mises en valeur.
« Traiter les problèmes au sein même du milieu naturel de l'enfant est indispensable, d'où la nécessité de la création de tribunaux spéciaux pour les mineurs et de la sensibilisation des jeunes avocats à ces cas humanitaires », conclut la présidente de la Fondation du père Afif Osseirane.

Grand, ce jeune déscolarisé n'a de maître que lui-même. « Mon père est décédé avant ma naissance ; ma mère, quand j'avais 13 ans. J'ai été envoyé chez mon oncle, épicier, qui ne s'occupait que de sa marchandise. Aux yeux de sa femme, le chien de chasse revêtait plus d'importance que moi. Je ne pouvais pas continuer à vivre cet enfer. » Samer allume nerveusement une...

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