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Culture - Rencontre

« Écoutez et soutenez les artistes, ils ont un message très important à faire passer »

Joumana el-Zein Khoury vient d'être nommée directrice de la Fondation Prince Claus, à La Haye, où elle réside depuis huit ans. Un nom, une success story, une belle personnalité féminine à inscrire sur la liste des expatriés libanais brillant à l'étranger, meilleurs ambassadeurs d'un petit pays au potentiel surprenant.

Joumana el-Zein Khoury : « Je dis à mes enfants que, même si la vie ne répond pas toujours à nos attentes, on peut souvent changer le cours des choses en y croyant et en y travaillant. » Photo Courtesy Prince Claus Fund

Qui êtes-vous, Joumana el-Zein Khoury ?
Je suis une expatriée libanaise qui n'a jamais vraiment vécu au Liban. Depuis ma naissance à Beyrouth, en 1975, j'ai habité dix ans en Arabie saoudite puis deux ans en Angleterre avant de déménager en France. Après quinze ans de vie parisienne, j'ai passé deux années aux États-Unis. De retour à Paris, ma vie professionnelle m'a menée aux Pays-Bas où je vis avec ma famille depuis bientôt neuf années.
Avec un tel parcours, je pense que ce qui me caractérise le mieux c'est ma capacité d'adaptation et une certaine ouverture aux différentes cultures, à celles que j'ai eu l'occasion de découvrir et aux autres.
Je suis une passionnée de la culture et des possibilités qu'elle procure. À mon sens, c'est un vecteur essentiel qui permet de rapprocher les gens, d'exposer les points de vue et d'influer concrètement sur les situations, même les plus critiques.
Dans ma vie personnelle, j'essaie également de transmettre ces valeurs à mes enfants en leur montrant que, même si la vie ne répond pas toujours à nos attentes, on peut souvent changer le cours des choses en y croyant et en y travaillant.

Quels ont été vos parcours scolaires et universitaires ?
Avec mon bac international en poche, j'ai commencé des études de droit à Paris. Je me suis très vite aperçue que ce domaine ne correspondrait pas à mes aspirations. Avec le recul, je m'aperçois que cette première « déception » m'a en réalité donné l'occasion de réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. Et la réponse s'est vite imposée à moi : quelque chose me permettant de mettre en avant mes qualités relationnelles et d'organisation tout en étant en rapport avec ma passion pour les arts. J'ai découvert une filière de formation qui était relativement nouvelle en France, celle de l'administration de la culture. J'ai donc commencé une maîtrise de communication culturelle à Paris, suivie par un MA of Art Administration à Columbia University à New York. Tout cela a été une véritable révélation pour moi !

Qu'est-ce qui vous a menée vers la direction de projets culturels ?
Mon Master of Arts à New York m'a confirmé que c'était dans la direction de projets culturels que je voulais développer ma carrière et ma passion. Ceci s'est ensuite réaffirmé quand j'ai débuté ma carrière professionnelle auprès de différentes organisations culturelles.
Alors même que chaque organisation est unique, ce qui m'a toujours frappée c'est la passion, le dévouement et l'engagement des gens qui y travaillent, ainsi que le côté « avant-garde » de ce qu'ils font.
Le plus motivant, c'est de constater l'impact qu'un projet culturel peut produire, à plus ou moins grande échelle : cela permet d'aborder des questions difficiles sous un angle différent, de rassembler les gens, de faire émerger un autre point de vue et changer les perspectives.

Vous êtes d'accord avec le principe de base du Prince Claus Fund, selon lequel la culture est un besoin fondamental ?
Absolument ! J'y crois même très fermement.
La Fondation Prince Claus travaille dans le domaine de la culture et du développement. En tant que telle, sa mission première est de montrer que promouvoir la culture et soutenir les projets culturels est extrêmement important. Car la culture touche à un besoin essentiel : la reconnaissance de l'identité et la dignité d'une communauté, et donc des personnes. Il y a une histoire que j'ai toujours à l'esprit quand quelqu'un me pose cette question.
Rena Effendi, une photographe extrêmement talentueuse d'Azerbaïdjan ainsi qu'une lauréate de la fondation, faisait un reportage photo pour le magazine Marie-Claire dans un village de Zambie où il y avait une congrégation de femmes assises à même le sol pour discuter entre elles. Les reporters leur ont alors demandé ce dont elles auraient besoin pour que le village fonctionne mieux en termes d'infrastructures, de santé publique etc. À ce moment-là, une femme s'est levée pour répondre : « Vous savez, on s'ennuie beaucoup ici, la vie est vraiment monotone. Ce dont nous avons vraiment besoin c'est de nous divertir. » Dans la seconde qui a suivi, des hommes se sont mis à jouer de la musique et tout le monde a commencé à danser. C'est exactement cela la culture : une nourriture pour l'âme.

Que dites-vous à ceux qui pensent que la culture est un luxe ? Le privilège des pays riches ?
La culture est au cœur même d'une société, elle en est le produit et le pouls, elle définit qui nous sommes. Il est vrai que, dans les régions de conflit ou de crise, le soutien financier aux activités et projets culturels pourrait paraître secondaire, mais, à mon sens, ces derniers ne sauraient et ne devraient pas être ignorés.

La fondation s'est orientée dernièrement sur la relation entre culture et conflit. Allez-vous changer de direction ? Quelles seraient vos priorités ?
La fondation a toujours soutenu la culture là où le besoin s'en ressentait le plus, et c'est souvent dans des pays, des régions ou pour des communautés qui font face à des difficultés particulières. Mais la fondation ne fait pas que cela. Elle soutient et promeut la qualité, la diversité, le dialogue entre les cultures sans nécessairement se restreindre aux zones de conflit.
Il est difficile de se prononcer sur la direction que pourrait prendre la fondation dans l'avenir sans prendre le temps, après ma prise de fonctions en octobre prochain, d'évaluer et de définir ses objectifs conjointement avec le comité de direction.
Mais je crois intrinsèquement à l'importance de la culture et au rôle qu'elle joue dans la transformation et l'avancement des sociétés, surtout à l'heure actuelle.

En vous nommant, la fondation a choisi une directrice d'abord étrangère, et ensuite jeune, plus jeune que ses prédécesseurs. Symboliquement, cela signifie beaucoup. Pour vous ? Pour la fondation ?
La Fondation Prince Claus est une institution importante aussi bien pour les Pays-Bas, où elle occupe une place de premier plan dans le domaine culturel, que pour les différents artistes et organisations culturelles en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes, des régions qui bénéficient de son soutien.
La fondation a donc toujours choisi des directrices en mesure de véhiculer les valeurs de la culture néerlandaise tout en ayant une ouverture sur les différentes régions où la fondation œuvre et une connaissance de leur culture.
S'il est vrai que je suis la première directrice qui ne soit pas néerlandaise, je connais maintenant bien la société et la culture des Pays-Bas. Tout comme mes prédécesseurs, je partage les objectifs et les valeurs de la fondation, lesquels découlent de la conviction du prince Claus lui-même qui défendait l'idée suivante : « On ne développe pas les gens, ils se développent eux-mêmes. »
Pour moi, cette nomination illustre surtout la capacité qu'ont les Néerlandais à intégrer des personnes d'horizons différents et accepter qu'elles puissent comprendre et représenter la culture néerlandaise.
Je suis extrêmement honorée que le comité de direction ait décidé de me confier le soin de diriger la Fondation Prince Claus à l'aune de son vingtième anniversaire.

Quels sont vos sentiments à la suite de votre nomination ? Joie ? Fierté ? Appréhension ?
J'éprouve bien sûr une joie immense, une grande fierté et une grande responsabilité de pouvoir développer la fondation afin qu'elle continue à soutenir et promouvoir les artistes et organisations culturelles innovantes autour du monde.

Que représente le Liban pour vous, notamment sur le plan culturel ? Sa scène ?
Comme je l'ai mentionné plus haut, pour moi, l'identité d'un pays est d'abord définie par sa culture. Le Liban a une scène culturelle des plus actives, intéressantes, innovantes et avant-gardistes du monde arabe.
J'aime intrinsèquement ce pays qui est le mien et je ressens une fierté particulière en voyant la qualité de ses artistes et le rayonnement de sa culture à l'international. Cette forte identité culturelle offre au Liban un vivier unique. De mon point de vue, il est essentiel que tous les acteurs de la vie publique et de la société civile libanaises agissent pour en favoriser l'épanouissement. C'est un atout immense pour le Liban.

Souhaitez-vous ajouter une dernière remarque ?
Écoutez et soutenez les artistes ! Ils ont des messages importants à faire passer pour la société.

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Trois lauréats libanais

Nazek Saba Yared (1998), Christine Tohmé (2006) et Rabih Mroué (2011), sont les trois Libanais lauréats du prix Prince Claus Award.


Le PCFCD, qu'est-ce que c'est ?

Le Prince Claus Fund for Culture and Development a été fondé le 6 septembre 1996, en hommage à l'engagement du prince Claus. Ce dernier, décédé en 2002, était l'époux de la reine Beatrix, qui a abdiqué en 2012.
Le Prince Claus Fund considère la culture comme un besoin fondamental et soutient donc les artistes, les penseurs critiques et les organisations culturelles dans les régions où la liberté d'expression culturelle est limitée par des conflits, la pauvreté, l'oppression, la marginalisation ou les tabous.
Se basant sur le principe qu'on ne développe pas les individus mais qu'ils se développent eux-mêmes, la fondation promeut les réseaux culturels et les activités innovantes, par le biais de subventions, et distribue chaque année onze Prince Claus Award destinés à des personnes ou des organisations originaires d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine ou des Caraïbes pour leur excellente prestation dans le domaine de la culture et du développement. La fondation offre aussi un premier secours pour le sauvetage du patrimoine culturel, menacé par les hommes ou les catastrophes naturelles. Le Prince Claus Fund est financé par le ministère néerlandais des Affaires étrangères, par la Postcode Lottery et par des dons individuels.

 

Pour mémoire
Rabih Mroué, « sur un nuage », sous l'égide du Prince Claus Fund

Qui êtes-vous, Joumana el-Zein Khoury ?Je suis une expatriée libanaise qui n'a jamais vraiment vécu au Liban. Depuis ma naissance à Beyrouth, en 1975, j'ai habité dix ans en Arabie saoudite puis deux ans en Angleterre avant de déménager en France. Après quinze ans de vie parisienne, j'ai passé deux années aux États-Unis. De retour à Paris, ma vie professionnelle m'a menée aux...

commentaires (1)

Opérer un changement fondamental de notre mentalité libanaise par la culture, quel rêve!!! Comme le dit si bien Mme Joumana el-Zein Khoury, le Liban ne manque pas d'artistes, d'écrivains, de penseurs, de compositeurs, de grands virtuoses et de philosophes, mais malheureusement, ils sont si peu appréciés. Je félicite Mme El-Zein Khoury pour la belle carrière qu'elle a choisie et je lui souhaite beaucoup de succès et bonne chance. Et si un jour les circonstances le lui permettent, reviendra-t-elle vivre au Liban?

Zaarour Beatriz

23 h 00, le 14 août 2015

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Commentaires (1)

  • Opérer un changement fondamental de notre mentalité libanaise par la culture, quel rêve!!! Comme le dit si bien Mme Joumana el-Zein Khoury, le Liban ne manque pas d'artistes, d'écrivains, de penseurs, de compositeurs, de grands virtuoses et de philosophes, mais malheureusement, ils sont si peu appréciés. Je félicite Mme El-Zein Khoury pour la belle carrière qu'elle a choisie et je lui souhaite beaucoup de succès et bonne chance. Et si un jour les circonstances le lui permettent, reviendra-t-elle vivre au Liban?

    Zaarour Beatriz

    23 h 00, le 14 août 2015

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