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Lifestyle - Rencontre

Béchara Mouzannar, ni pub ni soumis

Enfant-roi de la publicité, avec, à la place du cerveau, un laboratoire d'idées, et récompensé par plusieurs Lions d'or à Cannes : portrait du directeur de création chez Leo Burnett Mena, décidément très force tranquille...

Béchara Mouzannar, créatif et visionnaire. Photo Gilles Khoury

Avec trente ans de carrière au compteur et des journées de mille heures, Béchara Mouzannar serait en droit de raccrocher et de s'autoriser quelques plaisirs. Partir sur un bateau, se dorer la pilule sur une plage déserte. Ou plus simplement prendre le temps de redécouvrir les bataillons de livres et de films qui colonisent son bureau. Mais non. Directeur de la création chez Leo Burnett Mena, le publicitaire sillonne la planète, supervise 18 bureaux et manie une pléiade de projets avec l'énergie d'un éternel adolescent.
« Au Liban, nous sommes par nature des conteurs. Mon père, en l'occurrence, était un grand " storyteller ". Il m'a transmis cette passion qui est l'essence même de ma profession », dit-il. Dans une des alcôves de l'agence Leo Burnett Beirut, Béchara Mouzannar défend son métier de publicitaire. Sans l'attirail d'un chef d'entreprise qui vous toise du haut de son piédestal, ni l'agitation du personnage de crétin de 99 francs romancé par Frédéric Beigbeder. Lui est plutôt jeans, baskets et barbe de trois jours. C'est dans le cerveau de ce créatif (et celui de ses équipes) que sont nées les campagnes qui lui ont valu les 25 Lions et autres récompenses qui trônent dans le couloir du huitième étage de l'agence.

 

Partir, revenir
Le parcours de Béchara Mouzannar, depuis son jeune âge, est marqué par le rôle d'une mère qui l'a « poussé dès l'enfance à passer du stade du paresseux un peu artiste et rêveur à celui du travailleur énergique qui doit, coûte que coûte, réaliser sa vision ». Un parcours, « comme la majorité des Libanais », fait d'éternels allers-retours et d'envies de départs, avec ce sentiment d'arrachement qui laisse aujourd'hui encore de belles rides à la surface de la mare. Des études en économie et droit, suivies d'un MBA en marketing à l'ISA font de ce savant fou un véritable caméléon. Puis viendra en 1982 la découverte du monde merveilleux et cynique de la publicité au sein de l'agence H&C Leo Burnett Beirut. Il y développera sa propre capacité à aller directement, en quelques mots, taper là où ça fait du bien, là où ça fait mal. Farid Chéhab, à l'époque directeur de création de la boîte, voit en lui « un potentiel créatif, chose qui me trottait déjà dans la tête ».
Mais le jeune homme cherche toujours le chemin de la sortie, se réclame de nouveaux horizons. Il s'essaie donc à l'exercice de la création chez Publicis Paris, où il côtoie quelques grands réalisateurs sur des tournages de pubs, rien moins que Serge Gainsbourg, Étienne Chatiliez ou Jean-Paul Goude. De retour au bercail, son âme de cinéphile invétéré l'entraîne vers la réalisation chez Lazer Films, où il conçoit plus de 100 films (en majorité publicitaires) en l'espace de trois ans. Chacun de ces courts-métrages crée un impact dans le pays assoiffé de beau. « Vous vous souvenez de la pub pour Kassatly Chtaura, rêve d'abricot, nuit de cacao... chantonne-t-il. Eh bien c'était nous, et en 1986, c'était assez novateur ! »

 

(Pour mémoire : Leo Burnett Liban brille aux Facebook Awards)

 

Poser les fondations
Ce n'est qu'aux débuts des années 90, après une autre série de vagabondages, que Béchara Mouzannar revient s'installer à Beyrouth, au poste d'Executive Creative Director de Leo Burnett. « Au lendemain d'une guerre atroce, on avait cet espèce de péché d'orgueil. Vouloir prouver au monde qu'on peut atteindre leur niveau », confie le publicitaire. La barre est haute et il pousse son équipe à s'essayer, autant que possible, à des (re)mises en question, des mises en abîme et des renouvellements de leur logique pub, en s'appuyant sur son expérience et celle des expatriés qui venaient de rentrer au bercail.
« Nous avions mêlé à l'époque les motivations des uns et les frustrations des autres pour poser les fondations d'une véritable force créative », confie celui pour qui la pub de l'époque se devait d'être l'histoire des Libanais, avec une vocation presque humaine, voire humaniste. Dans cette optique, l'agence collabore avec de jeunes réalisateurs locaux, Hani Tamba et Nadine Labaki entre autres, et très vite, des récompenses commencent à tomber. Il voit sa cote et celle de son équipe s'envoler.

 

Itinéraire doré
Alors que le bureau de Beyrouth devient une référence régionale dans le domaine de la pub, Michael Conrad, le directeur de création mondial de Leo Burnett, pose une question qui déterminera la suite de la carrière de Béchara Mouzannar : « Est-ce que vous aspirez à rester les premiers dans votre village ou être la première agence de pub libanaise à atteindre les Lions de Cannes ? »
« Cette interrogation a fait l'effet d'une bombe », se rappelle le publicitaire. En 2006, et même si la guerre de juillet avait dû tuer le peu d'espoir qui restait aux Libanais, le publicitaire et son équipe travaillent sur la campagne Keep Walking de Johnny Walker, qui provoque un buzz mondial, « et trois minutes sur CNN! » insiste-il. Au cours de la même année, les créatifs chez Leo Burnett se lancent le pari fou d'« atteindre le top 25 des agences de pub les plus créatives dans les classements Big Won ou Gunn Report de 2015 ».
Avec passion, le visionnaire et son équipe guettent les fourmillements souterrains d'Internet et manient avec humour et intelligence des campagnes intégrées, déclinées sur plusieurs médias. À la surprise de tous, l'agence récolte ses fruits bien avant l'heure prévue et caracole en tête des classements. Un premier Lion d'or en 2009 à Cannes a fait de Leo Brunett Beirut la première agence arabe à décrocher un tel prix. Des responsabilités qui n'empêcheront pas Béchara Mouzannar d'entreprendre un deuxième EMBA exécutif à la Berlin School of creative leadership, « un diplôme qui a transformé ma carrière ». Deux ans plus tard, il se voit propulsé au poste de directeur de création de Leo Burnett Mena. Passé cette frontière, la planète s'est rétrécie, son temps aussi. « Les choses ont pris une toute autre ampleur » : 6 Lions à Cannes en 2012, l'agence est 6e du classement Big Won, Béchara Mouzannar 4e directeur de création mondial, et une reconnaissance qui aurait pu griser les plus modestes. Mais l'homme reste un heureux et éternel insatisfait. Cette philosophie qu'il inculque à son équipe, et qui leur a probablement pavé le chemin jusqu'à 2015, l'année de tous les succès. Au palmarès : 6 Lions à Cannes en juin dernier, dont deux d'or, Agence de l'année et Network of the Year aux Lynx de Dubaï, et trois Facebook Awards hissant le Liban à la deuxième place de ces Awards.
Fin de l'entretien, la voix un peu éraillée, et alors qu'on croyait déjà tout savoir sur le parcours de Béchara Mouzannar tant son discours est touffu et articulé, il évoque un court-métrage qu'il a trouvé le temps de concevoir et de filmer à Rio. « J'ai dû me mettre au portugais », ajoute-il comme s'il nous annonçait qu'il fait beau. Une fois de plus, il voulait s'inventer une autre trajectoire et il a osé la déroute.
Cet homme, probablement, ne dort jamais.

 

Le Festival de Cannes de Leo Burnett Beirut

À l'occasion du festival international de la créativité, les Cannes Lions, qui s'est déroulé du 21 au 27 juin 2015 et qui a mis en compétition plus de 40 000 campagnes créées par 2 970 agences provenant de 94 pays, Leo Burnett Beirut a remporté 6 Lions, dont 2 d'or, 1 d'argent et 3 de bronze.
Les campagnes Keep the flame alive pour Johnnie Walker, Vote for us, we'll vote for you pour l'ONG Kafa et Lebanon4sale pour l'ONG Sakker el-Dekkéné, toutes trois créées par Leo Burnett Beirut, ont remporté des prix dans les catégories Glass, Media, PR et Cyber.
Sakker el-Dekkéné s'est vu décerner un Lion d'or en média – seul de la région. Johnnie Walker reçoit un Lion d'argent et un Lion de bronze dans la catégorie Cyber, ainsi qu'un Lion de bronze dans la catégorie PR. Kafa a obtenu le premier Glass Lion (or) qui ait jamais été décerné à une agence, et qui récompense les campagnes qui œuvrent pour la transparence entre les deux sexes, ainsi qu'un Lion de bronze dans la catégorie PR.

 

 

Pour mémoire

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