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Nos Lecteurs ont la Parole - Ibrahim TABET

L’Ukraine et le choc des civilisations

Dans Le choc des civilisations, Samuel Huntington écrivait que « depuis la fin de la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples sont culturelles ». D'après lui, « la religion est de plus en plus en passe de faire intrusion dans les affaites internationales (...) Et dans le monde d'aujourd'hui, c'est l'identité culturelle qui détermine surtout les associations et les antagonismes entre pays ». Il attribuait en conséquence au facteur « religio-culturel » un rôle déterminant dans l'explication des conflits et des guerres civiles qui ont éclaté depuis la fin de la guerre froide ou sont appelés à le faire. Décrivant les antagonismes millénaires existant entre les trois grandes civilisations, chrétienne-occidentale, arabo-musulmane et slavo-orthodoxe, il prophétisait leur exacerbation à laquelle on assiste aujourd'hui. Dans l'histoire récente, l'antagonisme entre l'Occident, la Russie et le monde musulman a eu pour point focal la guerre en Bosnie durant laquelle l'Union européenne, les États-Unis et le Vatican reconnurent l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie catholiques. Les Croates reçurent le soutien militaire de l'Allemagne et des puissances de l'Europe occidentale. Les pays musulmans ont soutenu leurs coreligionnaires bosniaques, et la Russie les Serbes orthodoxes. Ce soutien russe n'est d'ailleurs pas une nouveauté et la Russie tsariste s'était érigée en protectrice des slaves orthodoxes des Balkans afin de s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Empire ottoman et de provoquer son démembrement.
Les guerres menées par les États-Unis au Moyen-Orient, la « guerre mondiale contre le terrorisme islamiste » déclarée par l'Occident, l'islamophobie et la haine des musulmans radicaux envers l'Occident qui se nourrissent mutuellement ont occulté l'antagonisme existant entre le christianisme occidental et l'orthodoxie. Et si le Moyen-Orient apparaît comme un des théâtres où s'exercent l'hégémonisme américain et sa confrontation avec la Russie, il n'est pas le principal, comme en témoigne la crise en Ukraine. Pays éclaté, entre deux « civilisations », avec une partie ouest attirée par l'Occident et une partie est russophone et russophile.
L'hostilité des États-Unis et, dans une moindre mesure, celle de l'Europe de l'Ouest envers la Russie qui a survécu à la chute de l'Union soviétique a de très anciennes racines, non seulement historiques, mais aussi religieuses. Ces dernières ont pour fondement l'antagonisme entre le christianisme occidental et l'orthodoxie qui demeure une composante essentielle de l'identité et du patriotisme russes. Sans vouloir minimiser l'impérialisme russe et soviétique, et contrairement à ce que veut nous faire croire la propagande antirusse, c'est la Russie qui a presque toujours été attaquée par l'Occident tout au long de l'histoire. Et, à l'époque tsariste, ses propres conquêtes avaient pour objectif son désenclavement et l'accès aux mers chaudes. La première de ces agressions occidentales fut celle des Chevaliers teutoniques soutenus par la papauté qui voulait convertir la Russie au christianisme latin et qui furent battus par saint Alexandre Nevski (1242). Au cours du XIVe et du XVe siècle, Polonais et Lituaniens catholiques avaient dominé les confins occidentaux du domaine originel de la société orthodoxe russe. Ils y imposèrent l'union avec l'Église romaine, tout en maintenant le rite oriental. Au cours des siècles suivants, la Russie a toutefois réussi à regagner, l'un après l'autre, les territoires qui avaient subi la domination occidentale. Les tentatives avortées de conquêtes de Charles XII de Suède, de Napoléon et de Hitler n'ont certes plus revêtu un caractère religieux, mais elles n'en reflètent pas moins les visées occidentales sur la Russie. Et, s'agissant de l'agression hitlérienne, d'un conflit de civilisation ayant pour les nazis une dimension raciale. Lors de la guerre froide à caractère idéologique entre l'URSS et les États-Unis, ces derniers n'hésitèrent pas à qualifier leur combat de « croisade » contre « l'empire du mal », termes ayant une connotation biblique. Et ils instrumentalisèrent le catholicisme polonais avec l'aide de Jean-Paul II pour abattre l'empire soviétique. Ont aurait pu croire que l'effondrement de l'Union soviétique mettra fin à la détermination de Washington à abattre la puissance, fort amoindrie, de Moscou ? Mais il n'en fut rien, comme en témoigne l'avancée de l'Otan jusqu'aux frontières de la Russie, l'offre inconsidérée d'association à l'Union européenne faite par celle-ci à l'Ukraine, en dépit de ses liens historiques avec la Russie, le soutien américain et européen à la politique extrémiste du gouvernement nationaliste de Kiev, et le rôle de la CIA et de certaines ONG américaines qui, sous le couvert de défense de la democratie, ont soutenu en sous-main les manifestation de la place Maïdan en février 2014 qui ont débouché sur le basculement de pouvoir à Kiev. Il ne s'agit pas de disculper la Russie qui est autant responsable que les puissances occidentales et le gouvernement de Kiev de la crise. Mais la diabolisation de Poutine par l'Occident est injuste. Le retour de la Crimée dans le giron russe reflète moins les visées expansionnistes de la Russie qu'une réponse à l'agression dont elle a été victime et un juste retour des choses. Une autre conséquence des sanctions contre la Russie a été de la jeter dans les bras de la Chine. Avec, pour effet pervers, du point de vue des intérêts des États-Unis, la constitution par ces deux puissances d'un bloc euro-asiatique allant du Pacifique aux portes de la Pologne, déterminé à s'opposer à l'hégémonie planétaire américaine. Quant à l'Europe, il est regrettable qu'elle se soit alignée sur la politique américaine, jetant ainsi aux orties « l'Europe de l'Atlantique à l'Oural » rêvée par le général de Gaulle.

Ibrahim TABET

Dans Le choc des civilisations, Samuel Huntington écrivait que « depuis la fin de la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples sont culturelles ». D'après lui, « la religion est de plus en plus en passe de faire intrusion dans les affaites internationales (...) Et dans le monde d'aujourd'hui, c'est l'identité culturelle qui détermine surtout les associations...

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