Aujourd'hui, la National Portrait Gallery (NPG) donne à voir une grande sélection de portraits portant la signature d'Elaine de Kooning et qui ont fait sa réputation. Sans chercher la compétition avec son mari, Willem de Kooning (1904-1977), un grand nom de la peinture contemporaine, l'artiste américaine connue pour sa nature sociable a su mettre en avant son propre talent. Elle se plaisait à dire, à propos de son mari : « Je ne peins pas dans son ombre, mais dans sa lumière. »
Ce n'était pas complètement un effet de style : après leur coup de foudre à New York, Willem de Kooning, qui avait débarqué de Rotterdam, commence à donner des leçons de dessin à Elaine (sa cadette de neuf ans), déjà lancée dans cette voie. Et tous deux retrouvaient à Greenwich Village – fameux quartier des artistes et de ceux qui faisaient parler d'eux – les peintres Jackson Pollock, Ashille Gorky, David Smith, Franz Kline et autres noms des lettres, de la danse et du cinéma.
Des portraits gestuels
Ils se marient en 1943. Elle est à ses côtés dans sa marche vers la gloire, lui qui deviendra l'un des piliers de l'expressionnisme abstrait. Parallèlement, elle ne perd rien de sa liberté d'esprit et de son énergie créatrice, divergeant de cette tendance. Le mouvement est au cœur de sa peinture. Ses portraits, qui sont avant tout action, ont pour modèle le Tout-New York des arts et des lettres. Ce qui intéresse Elaine de Kooning ? Identifier son sujet par sa gestuelle corporelle, quitte à laisser, parfois, le visage dans le flou. « Elle recherchait ce qui pouvait caractériser une personne au-delà de sa physionomie : le geste, l'attitude, la posture », explique Brandon Brame Fortune, le curateur de l'exposition. Ainsi, sous ses pinceaux, le critique d'art Harold Rosenberg apparaît comme en train d'être propulsé, le corps élancé comme une gazelle. Ailleurs, on reconnaît le danseur Merce Cunningham aux pieds jamais ancrés au sol. Chez Robert de Niro Sr. (acteur comme l'est aujourd'hui son fils Robert de Niro), le coude nonchalamment appuyé sur un fauteuil, elle saisit l'humeur renfrognée et le regard foudroyant.
Son JFK, plus grand que nature
Mais la grande aventure picturale d'Elaine de Kooning s'était déroulée autour du président John. F. Kennedy, dont on lui avait demandé un portrait destiné à la librairie présidentielle du président Truman. On avait fait appel à elle parce qu'elle cultivait « la nouvelle frontière de l'art », ou l'expressionnisme abstrait. En décembre 1962, elle passe donc quelques jours dans le « compound » des Kennedy à Palm Beach, afin de croquer le portrait du président en pleine réunion avec son staff. Chaque fois qu'il bougeait, elle le dessinait : assis, debout, en train de lire, de se relaxer... À noter que certains de ces croquis font partie de l'exposition de la NPG. De Kooning s'est basée sur de nombreuses photos pour arriver à une « image composite ». Au bout de sept mois de travail, le studio inondé d'images du président, elle aboutit à ce qu'elle voulait : le portrait d'un chef d'État « plus grand que nature », même dans la mesure de sa toile, haute de plus de trois mètres. Elle avait dû grimper sur une échelle pour la peindre. Comme prévu, cette œuvre est accrochée à la Truman Library et sa seconde version à la JFK Library de Boston.
Certains critiques se demandent toujours quelle direction aurait pris son art si elle n'était pas « l'épouse de... ». L'artiste avait anticipé ce problème, en se distanciant de son illustre époux. Elle ne portraiturait que des hommes illustres, alors que lui s'attachait à exulter une sensualité féminine anonyme (notamment dans sa célèbre série Women). Avec le grand buzz créé autour de cette exposition à la National Portrait Gallery, les critiques se demandent si l'artiste, décédée en 1989 à l'âge de 70 ans, n'a pas inconsciemment sacrifié sa vie au profit de celle de son illustre mari.