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Un monde de solutions (III) - Nada MERHI (L'Orient-Le Jour/LIBAN)

Droits de la femme : Kafa, une ONG aux méthodes innovantes pour faire bouger la société

Au terme d'une campagne soutenue et multidimensionnelle de six ans, Kafa a réussi à faire voter au Parlement la loi pour la protection de la femme contre la violence domestique. Une victoire importante pour l'ONG, même si elle émet des réserves concernant la mouture finale du texte.

Une autre affiche de Kafa pour sensibiliser au fait que le viol conjugal est un crime. On peut y lire : « Le viol est un crime, quel que soit son auteur ». Photo Kafa

«Il n'est pas normal qu'une femme soit battue, quelle que soit sa faute. Et si en plus elle est innocente...» À Beyrouth, dans les locaux de Kafa, ONG engagée depuis sa fondation en 2005 dans la lutte en faveur des droits de la femme et des enfants, Tamara Harisi raconte son histoire à un groupe de journalistes venus recueillir son témoignage, dans le cadre d'une cérémonie organisée pour marquer le premier anniversaire du vote de la loi 293 visant à protéger la femme et les autres membres de la famille de la violence domestique.
Cette jeune femme de 22 ans, dont le cas avait défrayé la chronique au Liban en juin 2014, a côtoyé la mort lorsque son mari, de douze ans son aîné, a essayé de la brûler vive, après lui avoir asséné auparavant des «coups bien mérités» et essayé de lui crever les yeux. Tamara Harisi a enduré un véritable calvaire pendant plusieurs années avant de se décider à recourir à la loi. «Ne vous taisez pas. Ayez recours à la loi et protégez-vous avant qu'il ne soit trop tard », lance-t-elle à l'adresse des femmes qui, comme elle, sont victimes de violence domestique.


Tamara Harisi est l'une des femmes (plus de cinquante) ayant bénéficié à ce jour de la protection de la loi 293, votée le 1er avril 2014, grâce à une campagne soutenue menée par Kafa près de six ans durant. «C'est une première dans l'histoire de la société civile », assure Leila Awada, avocate et membre de Kafa, qui souligne toutefois que l'ONG formule des réserves sur la dernière mouture du texte, qui a été en partie vidé de son sens, «mais il s'agit d'un autre combat».
«Je pense que notre réussite est principalement due à notre façon d'agir, explique Leila Awada. Nous n'avons pas eu recours aux méthodes conventionnelles pour mener cette campagne. Notre manière de traiter avec les médias, à titre d'exemple, était différente. Les journalistes étaient nos partenaires. Ils ne se contentaient pas de couvrir des cas de femmes victimes de violence domestique, mais prenaient des initiatives et effectuaient des reportages sur les différents aspects de la cause, sur les obstacles rencontrés avec la classe politique, la mentalité machiste qui continue de prévaloir dans le pays et les chefs religieux qui craignent pour leur pouvoir... Ce qui d'ailleurs a mené à la dénaturation du texte initial de la loi. La protection de la femme de la violence domestique est devenue le cheval de bataille des journalistes. De plus, nous organisions des réunions périodiques pour réfléchir ensemble sur les mesures à prendre pour la prochaine étape. Le but n'a jamais été de mettre Kafa sur le devant de la scène, mais de mettre l'accent sur l'importance de la cause.» Ce qui n'est pas souvent le cas dans la manière d'agir des ONG.
Kafa a également réussi à impliquer les artistes, dont certains se sont engagés fermement dans cette cause, appelant à lutter contre la violence domestique et à protéger la femme de cette «barbarie».

 

 

 


Sur le terrain, l'ONG a eu recours à des méthodes innovantes pour sensibiliser l'opinion publique à l'ampleur du problème. «Nous étions conscients que les conférences n'auraient pas l'effet souhaité, d'autant que seules les personnes directement concernées allaient y assister, souligne Leila Awada. Or nous voulions atteindre le plus grand nombre de gens possible. Nous avons alors décidé d'aller à leur rencontre, où qu'ils soient.»
Un spectacle de marionnettes et une pièce de théâtre interactive, pendant laquelle le public proposait des solutions aux problèmes exposés, ont ainsi été montés à travers le Liban. «Cela permettait aux gens de réaliser la difficulté, voire la gravité de la situation dans laquelle se trouvait la femme victime de violence domestique», constate Leila Awada. Un série télévisée intitulée Kafa a été produite, qui relatait les cas de femmes ayant subi toutes sortes de violences par leur conjoint. «Tous ces moyens ont contribué à mobiliser l'opinion publique», affirme l'avocate.


La classe politique n'a pas été épargnée non plus. Les photos des députés chargés de l'examen de la loi ont été collées sur les bus, «afin de faire connaître aux Libanais les parlementaires chargés d'étudier le texte». Kafa a également mobilisé les femmes dans les différents partis politiques et étroitement collaboré avec elles. L'association a aussi rencontré chacun des 128 parlementaires. «Nous savions exactement qui étaient les députés qui soutenaient notre cause, ceux qui s'y opposaient et ceux qui avaient émis des réserves face au projet de loi», note Leila Awada.


La campagne soutenue de Kafa s'est traduite sur le terrain par une participation massive, le 8 mars 2014, à une marche organisée par l'ONG à l'occasion de la Journée mondiale de la femme pour faire accélérer la promulgation de la loi. Ce jour-là, la rue libanaise est enfin sortie de sa léthargie. Plus de 4000 personnes, toutes origines sociales et communautés confondues, sont venues crier leur rejet de la violence faite à la femme. Trois semaines plus tard, le 1er avril, la loi était votée.
«Le 31 mai 2014, la première décision de protection judiciaire a été publiée, rappelle Leila Awada. Notre campagne avait déjà touché les magistrats qui étaient prêts à l'appliquer.»
Aujourd'hui, le combat se poursuit pour Kafa, avec deux objectifs: faire amender les articles de la loi prêtant à confusion, et pousser à l'adoption d'un code civil unifié, dans un pays où chaque communauté est régie par un code du statut personnel différent. Une situation qui porte aussi préjudice à la femme.

 

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