Fornication, bâtard, péché, prostituée... des mots qui vont résonner toute leur vie. Au Maroc, pays où les relations hors mariage sont illégales, une femme qui tombe enceinte sans que personne ne lui ait passé la bague au doigt est face à trois choix: avorter, abandonner l'enfant, affronter la société.
L'avortement, illégal, expose la femme à un danger réel pour sa santé. Pourtant, l'avortement clandestin reste une option très prisée puisque l'on estime à plus de 800 le nombre d'actes pratiqués chaque jour.
Si la grossesse, cachée comme un terrible secret par tout l'entourage, est menée à son terme, le bébé est souvent abandonné. Les chiffres communiqués parlent de 24 bébés abandonnés sur les 153 naissances illégitimes chaque jour.
Enfin, il y a celles qui affrontent la société en devenant mères célibataires, l'un des statuts les plus difficiles à porter.
Quel que soit le choix fait par la femme, il est rarement source de satisfaction voire même de soulagement. La détresse, la douleur et la culpabilité font forcément partie du voyage.
Dans ce triste paysage, Solidarité féminine, présidée par Aicha Echenna, est un rayon de lumière. L'objectif de cette association devenue le porte-étendard de la mère célibataire au Maroc est de faire de l'enfant né hors mariage non pas un problème, mais une joie. L'association mène des programmes de réinsertion et de formation professionnelle, soutenus par de bonnes âmes. Au sein de Solidarité féminine, on apprend aux mères célibataires à lire et à écrire, mais aussi leur faire connaître leurs droits sous toutes leurs formes. Car l'objectif, à terme, est bien de leur offrir une indépendance aussi large et sereine que possible.
Pendant que ces mamans travaillent, leurs enfants sont pris en charge dans les crèches mises à leur disposition par l'association. Un centre d'écoute pour le côté psychologique, des négociations avec l'entourage pour rétablir les liens familiaux, et un accompagnement dans les démarches administratives font également partie des actions.
L'administration, justement. L'enfant né hors mariage peut être déclaré à l'état civil depuis la réforme de la Moudawana, le code du statut personnel marocain, de 2004. Pour autant, il n'a un lien de filiation qu'avec sa mère, dont il porte le nom. Lors de la déclaration de naissance, une liste de prénoms est imposée avec comme autre obligation de le faire précéder de l'attribut «Abd». Une manière d'inscrire à vie le défaut de légitimité.
Double combat
Aicha Echenna a grandi dans une famille où il était interdit de porter un quelconque jugement sur les enfants nés hors mariage. Un terreau favorable à son engagement, qu'elle a préféré associatif, pour avoir les mains libres. Quand on lui demande pourquoi Solidarité féminine, elle répond toujours par une anecdote, l'histoire de cette très jeune femme, venue abandonner son bébé. Quand elle a tendu l'enfant à l'assistante sociale, elle était en train d'allaiter. Arracher cet enfant du sein a été violent. Et les cris de ce nouveau-né, fraîchement séparé de sa mère, ont longtemps résonné dans l'esprit d'Aicha.
Œuvrer pour les mères célibataires est un double combat: celui de protéger les femmes et de les amener vers leur autonomie, mais aussi celui de rendre à leurs enfants une vraie place de citoyen.
Aujourd'hui unanimement reconnue et respectée, Aicha Echenna a dû elle-même faire face au jugement. Soupçonnée d'être elle aussi une mère célibataire, ou une mauvaise mère en raison de ses engagements, elle a été condamnée par des mosquées du pays pour soutien à la prostitution.
Il a fallu rien moins qu'une intervention royale pour qu'elle puisse continuer son travail. Un engagement aujourd'hui reconnu aussi bien au Maroc, où elle a reçu de nombreuses distinctions, qu'à l'international.