Malgré les pressions internationales, la Cour suprême d'Arabie saoudite a confirmé le 7 juin la peine de 10 ans de prison et de 1.000 coups de fouet ainsi qu'une amende d'un million de rials (266.000 dollars) contre le blogueur saoudien Raëf Badaoui pour "insulte à l'islam".
Animateur du site Internet Liberal Saudi Network et lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse, M. Badaoui est emprisonné depuis 2012. Farouche défenseur de la liberté d'expression, son site avait demandé la fin de l'influence religieuse dans le royaume saoudien, régi par le wahhabisme, une version très rigoriste de l'islam.
La décision de la Cour est "finale et sans appel", selon l'épouse de Raëf Badaoui, Ensaf Haïdar. Réfugiée avec ses enfants au Québec, au Canada, la jeune femme de 35 ans, qui a fait campagne en Europe pour défendre la cause de son époux, se confie à L'Orient-Le Jour.
Quelle a été votre réaction à l'annonce de la confirmation du jugement par la cour suprême saoudienne ?
Je m'attendais à ce qu'il soit amnistié, je n'aurais jamais cru qu'ils iraient jusqu'au bout, j'ai été très choquée. J'ai appris la nouvelle en lisant la presse saoudienne, je ne pouvais pas en croire mes yeux, c'était du délire. Raëf a juste exprimé son opinion, il n'a jamais insulté l'islam, c'est complètement absurde. Après l'annonce de la décision, j'ai reçu de très nombreux coups de fil, parfois d'inconnus qui voulaient exprimer leur soutien. Les gens m'ont beaucoup soutenue psychologiquement, c'est ce qui m'a empêché de m'effondrer.
La communauté internationale a condamné ce jugement. Pensez-vous que cela puisse avoir un impact sur la décision de la justice saoudienne ?
Je tiens à remercier tous les pays qui ont soutenu Raëf au cours de cette épreuve, le monde arabe comme l'Occident. Voir que nous ne sommes pas seuls dans ce combat me touche beaucoup. Le gouvernement québécois a pris contact avec l'ambassade d'Arabie pour tenter de le faire libérer. Je souhaite que cela puisse avoir un impact et que l'ensemble de ces condamnations puisse infléchir la décision de la justice saoudienne.
Pensez-vous que la communauté internationale pourrait aller plus loin encore ?
Je suis heureuse du soutien que l'on porte à la cause de Raëf, mais je ne souhaite pas entrer en conflit avec l'Arabie saoudite. Tout ce que je souhaite c'est que mon mari soit libéré et qu'il puisse nous rejoindre au Canada, pour vivre une vie normale.
Au niveau personnel, comment vivez-vous aujourd'hui au Canada ? Au niveau des ressources financières, comment vous vous en sortez ? Que dites-vous à vos enfants sur la situation de leur père ?
Je reste en attente, suspendue aux décisions de la Cour saoudienne. Je suis venue au Canada avec mes trois enfants il y a un an et demi. Je n'ai pas de travail ici, mais j'ai repris mes études, je prends des cours de français. Le gouvernement fédéral canadien et le gouvernement québécois nous aident beaucoup financièrement ainsi que moralement. J'ai rencontré ici des gens incroyables, avec le cœur sur la main. J'essayais toujours de protéger mes enfants et de ne pas les mettre au courant, mais avec l'ampleur que tout cette affaire a pris, je n'ai finalement pas eu d'autre choix.
Pensez-vous qu'il aurait mieux fallu que Raëf n'ouvre jamais ce blog ?
Non, je ne regrette absolument rien. Je suis extrêmement fière de mon mari. Il n'a rien fait qui mérite une telle punition. Mes trois enfants sont aussi très fiers de leur père. Nous n'attendons qu'une seule chose : qu'il puisse revenir auprès de nous.
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La peine de 10 ans d'emprisonnement et de 1000 coups de fouets pour une critique constructive sur un blog est inhumaine et disproportionnée. La flagellation est de la torture et devrait être reconnue comme telle, d'autant qu'elle peut susciter la mort de l'inculpé.
11 h 22, le 11 juin 2015