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Moyen Orient et Monde - Portrait

La fusion de l’homme avec le mythe

Le général Kemal Pacha.

Comment un homme peut-il devenir le « père d'une nation » ? Que peut-il faire de si extraordinaire, de si précieux et de si rarissime pour obtenir un tel titre aux yeux de tout un peuple ?
Le XXe siècle avait ceci de particulier qu'il a vu l'émergence de toute une génération de très grands dirigeants dont les vies ont tellement épousé le destin de leurs nations, qu'ils en sont devenus les héros, au sens hégélien du terme. Dans cette longue liste, figurent bien entendu Churchill, de Gaulle, Roosevelt, Mandela, Nasser et bien d'autres encore, mais aussi des personnages plus controversés, voire de réels dictateurs sanguinaires comme Mussolini, Mao, Staline et Hitler qui, d'une tout autre façon, auront également marqué l'histoire de leurs pays et de leur siècle.
Sans aucun doute, Mustafa Kemal, né le 19 mai 1881, devenu Kemal Pacha puis Atatürk, fait partie de cette catégorie de grands dirigeants. « Le Turc-père », comme il a été désigné par une loi spéciale de 1934, aura influencé le destin de sa nation comme aucun autre Turc. Ce génie militaire, passionné par l'art de la stratégie et par la révolution française, sera le fer de lance d'une série de réformes, inspirées des progrès occidentaux, dans le but de moderniser son pays. Poussant à son paroxysme l'esprit des tanzimat, ces réformes du XIXe siècle promulguées par la sublime porte, Mustafa Kemal Atatürk, probablement initié aux rites francs-maçons, va transformer en profondeur son pays.
Alors que les puissances étrangères cherchent à se partager les miettes de l'Empire ottoman, Kemal Pacha va profiter d'une série de victoires dans l'Anatolie pour devenir l'interlocuteur privilégié de ces grandes puissances. Sa victoire contre les Grecs à la fin du mois d'août 1922, dans la très célèbre Smyrne, devenue Izmir, lui permettra de faire réviser le Traité de Sèvres, qui dépeçait complètement l'Empire ottoman, et de prendre définitivement le dessus sur le pouvoir central. S'ensuivra l'abolition du sultanat en 1922 et surtout, fait unique dans l'histoire du monde musulman, l'abolition du califat en 1924, institution que Mustapha Kemal comparaît à une « tumeur
moyenâgeuse ».
Tous les ans, jusqu'à aujourd'hui, les jeunes élèves turcs observent une minute de silence le 10 novembre en hommage au fondateur de leur République, mort le 10 novembre 1938 d'une cirrhose du foie. Un homme auquel sont associés l'adoption du principe de la laïcité, la suppression de l'écriture arabe au profit de l'alphabet latin, l'égalité des sexes, le droit de vote accordé aux femmes et, surtout, la construction identitaire du nationalisme turc. Un nationalisme élitiste, racial, dans l'esprit des nationalismes des années 30, qui ne se reconnaît que dans l'appartenance à l'islam sunnite et au culte hanafite, et qui exclut donc, de ce fait, toutes les autres minorités. Ce nationalisme s'accompagne d'une certaine intransigeance, d'un certain autoritarisme, renforcés par l'institution d'un parti unique et la détention par le seul Atatürk de tous les pouvoirs, qui écorne un peu l'image du parfait héros présenté par les manuels d'histoire.
Celui que Kenizé Mourad décrit dans son roman, De la part de la princesse morte, comme un homme ambitieux et hostile, qui a trahi la confiance du sultan et qui a un penchant pour l'alcool fut autant un dirigeant autoritaire qu'un grand réformateur. Le contexte de l'époque peut probablement expliquer cette irrésistible fusion entre l'homme et le mythe, entre les faits d'armes d'un général et la naissance d'une nation, entre une politique par certains aspects méprisante et répressive, et un héritage qui survit, plus ou moins facilement, 77 ans après sa mort. Une fusion complexe et métissée à l'image de ce qu'a été et de ce que continue d'être la Turquie, malgré les volontés d'homogénéisation de son héros, ce visionnaire profondément marqué par la fin d'un siècle et le début d'un autre, celui-là même qui prononça ces célèbres mots : « Heureux celui qui se dit turc. »

Comment un homme peut-il devenir le « père d'une nation » ? Que peut-il faire de si extraordinaire, de si précieux et de si rarissime pour obtenir un tel titre aux yeux de tout un peuple ?Le XXe siècle avait ceci de particulier qu'il a vu l'émergence de toute une génération de très grands dirigeants dont les vies ont tellement épousé le destin de leurs nations, qu'ils en sont devenus...

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