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Culture - Vient de paraître

L’insensé calvaire de ces orphelins arméniens qu’on voulait « turquifier »

« Goodbye, Antoura : A Memoir of the Armenian Genocide » de Karnig Panian, aux éditions de la prestigieuse université de Stanford, à l'initiative de la fille de l'auteur, Houry Panian Boyadjian.

La couverture de l’ouvrage.

Goodbye Antoura (Stanford University Press) vient de paraître, et porte la signature de Karnig Panian qui, à l'âge de 6 ans, a fréquenté le Collège de Antoura, fondé en 1834. Pensionnaire malgré lui, forcé, en 1916, par les autorités ottomanes qui avaient expulsé les prêtres lazaristes de ce couvent afin de le transformer en orphelinat pour enfants arméniens et kurdes qu'on voulait « turquifier », après les avoir séparés de leurs parents. Cette opération, dirigée par Jamal Pacha et la romancière nationaliste et avocate des droits de la femme, Halid Edip Adivar), à l'instar des massacres, visait l'élimination de l'identité arménienne – un procédé, faut-il le préciser, relevant d'abjectes tortures physiques et morales.

Tout enfant qu'il était, Karnig Panian n'a rien oublié de ce calvaire vécu par mille enfants arméniens et 400 kurdes, internés à Antoura et dont un grand nombre aurait succombé à ce traitement. Lui, il a eu la chance de survivre, muni de la volonté de ne rien oublier, pour en témoigner au grand jour. Dans ses Mémoires, il raconte les sévices, les humiliations et les privations subis par ces jeunes pensionnaires, vite devenus prisonniers. À l'accueil, ils étaient affublés d'un numéro, puis de surnoms musulmans, avec les initiales de leurs noms chrétiens. Les journées commençaient invariablement par un salut au drapeau turc scandé par un « longue vie au général Pacha ».

Sérénité à Jbeil

Suivait un emploi du temps truffé de punitions (notamment pour avoir prononcé un mot en arménien), de coups de bâton à nœuds, d'exercices physiques, de cours de nationalisme et de repas inconsistants. Quand les corps chétifs abdiquaient, les dépouilles mortelles étaient déposées dans un terrain situé derrière le couvent. La nuit, des chacals et des chiens sauvages venaient les déchiqueter. Les camarades survivants récupéraient les ossements, les broyaient et en faisaient secrètement une soupe, pour se rassasier.

(Lire aussi : Sur les traces de Saro, portraitiste des temps révolus)

Munis de courage et d'une implacable volonté de survie, quelques-uns, dont Karnig Panian, ont pu escalader les murs et se réfugier dans les grottes environnantes, se nourrissant de fruits cueillis sur les arbres et de tout ce qui leur tombait sous la main. Puis ils ont pris la route, sans savoir au juste où ils allaient. Une ONG américaine, la Near East Relief, les a rattrapés et les a conduits dans un lieu supposé plus sûr, le village de Aintab en Anatolie. Lorsque les Turcs y débarquent, nouvelle fuite pour les jeunes Arméniens. Karnig Panian se retrouve alors dans un orphelinat, hospitalier cette fois, à Jbeil, où il vivra jusqu'à l'âge de 15 ans. Il y reçoit une véritable éducation et une orientation professionnelle. De plus, les enseignants ne manquent pas d'inculquer aux jeunes élèves le sens de la communauté arménienne.

La réussite à Beyrouth

Karnig Panian ira bien loin. Ayant reçu une formation d'électricien, il était néanmoins porté vers les livres, la lecture et la vocation de l'enseignement. Il réalise son ambition à Beyrouth, où il devient professeur puis sous-directeur du Djemaran, le premier institut arménien du Moyen-Orient. On le retrouve aussi membre actif de La société culturelle et éducationnelle Hamaskaine qui, en 1922, publie en arménien son ouvrage sur son expérience à Antoura. Entre-temps, il s'était marié à Beyrouth et avait fondé une famille.

Aujourd'hui, c'est à l'initiative de l'une de ses filles, Houry Panian Boyadjian, et après consultation avec Khatchig Mouradian, que ce livre a été traduit en anglais par Simon Beugekian. Avant sa livraison aux éditions Stanford, Vahe Habeshian l'avait enrichi de références. Les photographies de Antoura ont été fournies par Missak Kelechian et celles de l'orphelinat de Aintab par Garo Derounian.

Pour marquer le centenaire du génocide arménien, cet ouvrage retentit doublement, porté par la vérité sortie de la bouche d'un enfant arménien.
Décédé en 1989, Karnig Panian avait consacré sa vie à la sauvegarde de sa culture, de sa langue et de son héritage qu'on n'est pas arrivé à lui arracher et qu'il voulait passer à tous les siens.
À noter que ce n'est qu'en 1993 que les lazaristes, creusant pour agrandir leur couvent, ont découvert les ossements des enfants et les ont placés dans un cimetière. En 2010, grâce à la générosité de l'orchestre symphonique Kohar et de la chorale de Antoura, un monument a été élevé en leur souvenir : une stèle sculptée de la croix arménienne, la khatchkar, et la statue d'en enfant portant un globe terrestre... Un peu comme l'ambassadeur des orphelins dans le monde.


Notre supplément spécial centenaire du génocide arménien, "De la douleur à la renaissance" est disponible ici et dans les kiosques au Liban

Goodbye Antoura (Stanford University Press) vient de paraître, et porte la signature de Karnig Panian qui, à l'âge de 6 ans, a fréquenté le Collège de Antoura, fondé en 1834. Pensionnaire malgré lui, forcé, en 1916, par les autorités ottomanes qui avaient expulsé les prêtres lazaristes de ce couvent afin de le transformer en orphelinat pour enfants arméniens et kurdes qu'on voulait...
commentaires (3)

"Karnig Panian se retrouve alors dans un orphelinat, hospitalier cette fois, à Jbeil, où il vivra jusqu'à l'âge de 15 ans." ! Pourquoi ne pas citer le nom de cet orphelinat hospitalier de Jbeil ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

08 h 25, le 11 mai 2015

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Commentaires (3)

  • "Karnig Panian se retrouve alors dans un orphelinat, hospitalier cette fois, à Jbeil, où il vivra jusqu'à l'âge de 15 ans." ! Pourquoi ne pas citer le nom de cet orphelinat hospitalier de Jbeil ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 25, le 11 mai 2015

  • Aussi sectaires et fanatiques que les Catholiques et les Protestants, ces Ottomans musulmans !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 14, le 11 mai 2015

  • À LA FAçON DES " JANISSAIRES " OU DES TOUT PETITS ENFANTS GRECS ENLEVÉS DE LEURS FAMILLES ET MUSULMANISÉS, TURQUIFIÉS ET SI FANATISÉS RELIGIEUSEMENT ET QU'ON ENVOYAIT APRÈS TUER LEURS PROPRES PARENTS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 43, le 11 mai 2015

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