Au quatrième jour de son témoignage devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), Walid Joumblatt n'a pas voulu en démordre : c'est bel et bien le régime syrien qui est, selon lui, derrière l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. « Je persiste et signe, j'accuse le régime syrien » de l'assassinat de Hariri, a martelé M. Joumblatt devant la chambre de première instance du TSL à La Haye.
Interrogé par les conseils de la défense des accusés Moustapha Badreddine et Hussein Hassan Oneissi, le témoin est apparu imperturbable face au matraquage des avocats. À plusieurs reprises, il a réitéré que ses propos devaient être considérés comme illustrant sa propre vision des choses, son analyse personnelle.
Les Syriens avaient la charge d'exécuter l'accord de Taëf, a-t-il dit. « Le volet concernant le désarmement a été effectivement concrétisé. Mais Damas a fini par étendre son hégémonie sur l'ensemble des secteurs de la vie publique au Liban, politique, judiciaire et sécuritaire. » « Certes, a-t-il ajouté en réponse à une question de l'avocat Antoine Korkmaz, la résolution 1559 (du Conseil de sécurité de l'Onu) et Taëf sont en contradiction. C'est la raison pour laquelle nous (Rafic Hariri et lui-même) sommes restés attachés à Taëf et avons refusé la 1559. » Et d'affirmer que la résolution onusienne constitue « une ingérence dans les affaires internes libanaises ».
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La question de l'assassinat de son père Kamal Joumblatt est revenue dans les débats lorsque l'avocat de la défense s'est fondé sur des révélations faites par l'ancien chef du Parti communiste libanais, George Haoui, avant son assassinat. Ce dernier avait pointé du doigt le frère de Hafez el-Assad, Rifaat, dans un entretien télévisé. « Je suis convaincu que ce sont les Syriens qui ont tué mon père (en 1977). Je ne sais pas qui a ordonné l'assassinat et qui l'a exécuté. Je sais tout simplement que le régime syrien était impliqué », a insisté le député une nouvelle fois.
Répondant à une autre question de la défense qui suggérait que l'ancien chef des services de renseignements libanais, Johnny Abdo, serait derrière l'attentat perpétré contre lui en 1983, M. Joumblatt a répondu par la négative. « C'est Élie Hobeika (ancien responsable FL puis ministre prosyrien, mort dans un attentat en janvier 2002) qui avait essayé de me tuer. C'est lui-même qui me l'avait raconté lorsqu'il avait rejoint les rangs (prosyriens) », a dit le témoin.
À une tentative de la défense d'établir un lien entre la corruption et l'assassinat de Hariri, Walid Joumblatt a tranché : « Rafic Hariri a été assassiné pour des raisons politiques. »
Me Korkmaz a ensuite évoqué l'invasion israélienne de 1982, l'accord d'armistice de 1949, la problématique du déploiement de l'armée libanaise à la frontière sud, des thèmes que le président de la chambre de première instance a considérés « hors sujet ». « Vous parlez d'un accord qui date de 1949. Aujourd'hui, nous sommes en 2015 », a intimé le juge Re au conseil de la défense.
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La défense de M. Badreddine est revenu une nouvelle fois sur la thèse privilégiant la piste des islamistes en se fondant sur un document « WikiLeaks », daté d'avril 2008, dans lequel Walid Joumblatt aurait exprimé ses inquiétudes devant un ancien ambassadeur américain sur une « éventuelle infiltration d'extrémistes au sein du courant du Futur ». « Je n'ai jamais dit cela », a rétorqué le député du Chouf, assurant que le courant du Futur est un mouvement « modéré qui représente la majorité des sunnites et regroupe en son sein des membres d'autres confessions ». « Nous ne pouvons pas nous baser sur une analyse faite par un diplomate », a-t-il dit, avant de préciser que la question des extrémistes sunnites n'était pas un sujet important à cette époque. Elle l'est devenue aujourd'hui avec les guerres qui ont surgi au Proche-Orient. Le juge Re est intervenu une fois de plus pour couper court au débat, rappelant à la défense que les documents WikiLeaks ne sont pas admissibles devant la cour pour l'instant.
Évoquant les élections de 2000 – marquées par une victoire nette du camp de Rafic Hariri et de l'opposition antisyrienne –, Me Korkmaz a demandé au témoin si la Syrie n'a pas finalement aidé Rafic Hariri dans cette victoire aux dépens de son allié principal, l'ancien ministre Sélim Hoss. Walid Joumblatt a contesté cette présentation, assurant que Rafic Hariri « a gagné du fait de sa popularité sur le terrain » et sans l'aide des Syriens.
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Interrogé sur une entrevue accordée en 2010 au quotidien français Libération au lendemain de la « réconciliation » entre Walid Joumblatt et Bachar el-Assad suite à une visite du leader druze à Damas, le témoin a rappelé le contexte de cette visite « concomitante à un rapprochement syro-saoudien ». Elle a eu lieu « après la visite du chef du courant du Futur, Saad Hariri, à Damas ». Elle est survenue également après le célèbre discours de la place des Martyrs, en mars 2007, au cours duquel le chef du PSP avait vilipendé le président syrien devant une foule dense. Au cours de sa visite à Damas, Bachar el-Assad avait demandé à M. Joumblatt de présenter des excuses publiques. « J'ai refusé et me suis contenté de parler d'un moment d'abandon. »
Connaissez-vous les accusés qui figurent dans l'acte d'accusation ? lui a demandé à son tour Me Yasser Hassan, l'avocat de Hussein Hassan Oneissi. « Non », a dit M. Joumblatt.
« Cela fait quatre jours que vous accusez le régime syrien d'être responsable de l'assassinat de Rafic Hariri. Sur quelle base fondez-vous ces accusations ? » lui lance l'avocat. Le juge Walid Akoum l'interrompt pour lui rappeler que M. Joumblatt n'a cessé depuis le début de répéter que ces accusations sont politiques et non pénales.
Commentant une bande vidéo dans laquelle on voit Walid Joumblatt prononcer son célèbre discours en mars 2007, chargé des termes les plus durs à l'égard du président syrien, le leader druze arbore un grand sourire avant de lancer devant la cour : « Vous venez de me rappeler de très beaux souvenirs. »
« Vous en êtes fier ? S'agit-il peut-être d'un second moment d'abandon ? » lui demande ironiquement Me Hassan. Ce à quoi Walid Joumblatt répond : « Depuis 2007 à ce jour, je peux dire qu'aucun des mots que j'ai prononcés ne s'est révélé faux. Surtout lorsque l'on voit ce que Bachar a fait en Syrie. »
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commentaires (5)
UNE AMIE M'A DEMANDÉ QUI PAIE LES FRAIS DU TSL EXHORBITANTS TOUTES CES ANNÉES ET CELLES À VENIR... ET JE RÉPONDS : LES MOUTONS LIBANAIS !!!
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 19, le 08 mai 2015