L'ex-chef du renseignement politique syrien, qui était jusqu'en mars dernier l'un des hommes forts du régime de Bachar el-Assad, Rustom Ghazalé, est décédé hier matin plus d'un mois après son hospitalisation à Damas, a affirmé une source proche de sa famille à l'AFP. Il « est mort à 7h du matin à l'hôpital et sera enterré (aujourd'hui) samedi dans la capitale syrienne », a indiqué cette source sous le couvert de l'anonymat, précisant que la famille recevra des condoléances pendant trois jours.
Durant la matinée d'hier, seule la télévision al-Mayadin, proche du régime syrien, avait annoncé son décès sur base d'informations fournies par des sources de sécurité syriennes.
Selon diverses sources libanaises, citant des médecins libanais appelés au chevet de l'homme qui avait mené le Liban d'une main de fer durant trois ans, de 2002 à 2005, l'ancien allié de Bachar el-Assad aurait été empoisonné au polonium.
Rustom Gazalé, un sunnite de Deraa né en 1953, avait fait ses armes dans les services de renseignements syriens au Liban à partir de 1983, alors qu'il était un jeune officier. Il était responsable de deux centres de services de renseignements du Mont-Liban, celui de Hammana, au Metn-Sud, et celui de la villa Jabre, au Bois de Boulogne, au Metn-Nord. Ces deux points contrôlaient les entrées, à partir de ce qu'on appelait le « réduit » chrétien, de la zone occupée par la Syrie.
En 1994, il a été chargé des services de renseignements syriens à Beyrouth. De 2002 à 2005, il a occupé les fonctions de chef des services de renseignements syriens au Liban, siégeant à Anjar et contrôlant tout le pays.
Et c'est de Anjar qu'il est parti avec le retrait syrien du pays du Cèdre, il y a exactement dix ans.
En 2012, il a été nommé à la tête du renseignement politique syrien. Au début de mars dernier, Bachar el-Assad l'a limogé ainsi que le chef du renseignement militaire, Rafic Chéhadé, après une violente dispute entre les deux hommes. Au cours de cette dispute, Rustom Ghazalé avait été « roué de coups par les hommes de Chéhadé », avait alors indiqué une source de sécurité syrienne haut placée. À l'origine de la dispute figure la volonté de Rustom Ghazalé d'être impliqué dans la bataille contre les rebelles dans sa province natale de Deraa, dans le sud de la Syrie, selon cette source.
Homme de confiance de Bachar el-Assad jusqu'en mars dernier, il a aidé le régime au cours des premiers mois des événements en Syrie, en 2011, à étouffer la révolte dans sa propre province de Deraa.
Joumblatt : Le dernier témoin du TSL pouvant remonter à Bachar el-Assad
Au Liban, son nom a été cité, à plusieurs reprises, avec d'autres Syriens, par les témoins du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) comme l'un des suspects principaux dans l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Pour nombre d'hommes politiques, c'est son implication dans l'assassinat de l'ancien président du Conseil qui lui a valu la mort, Bachar el-Assad voulant éliminer tous les témoins qui pourraient faire remonter l'affaire jusqu'à sa propre personne.
Voici quelques premières réactions que L'Orient-Le Jour a recueillies hier au téléphone de plusieurs hommes politiques.
Le chef du PSP, Walid Joumblatt, a souligné que « Rustom Ghazalé est le dernier témoin du TSL capable de prouver que le régime syrien a éliminé l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ghazi Kanaan (chef des SR syriens au Liban jusqu'en 2002) a été obligé de se suicider, Assef Chawkat (beau-frère de Bachar el-Assad et vice-ministre syrien de la Défense) et une poignée d'officiers ont été assassinés par le régime et Jameh Jameh (chef du service des renseignements militaires en Syrie) a été tué à Deir el-Zor ».
De son côté, l'ancien ministre et député Marwan Hamadé a déclaré : « C'est l'un des criminels de guerre au Liban et en Syrie qui disparaît à son tour dans d'étranges circonstances : un dicton arabe prédisant aux tueurs d'être tués s'applique bien à ce triste personnage. Il a été liquidé par un régime aux abois qui n'hésite pas à tuer ses propres partisans dès l'instant où ils constituent un danger potentiel, et cela dans le cadre des témoignages devant le TSL qui peuvent remonter jusqu'à l'implication de Bachar el-Assad dans l'assassinat de Rafic Hariri. D'autres hommes ont précédé Rustom Ghazalé. C'est le cas notamment du chef des services de renseignements du Hezbollah, Imad Moghnieh. D'autres le suivront inévitablement. »
« Rustom Ghazalé est devenu le chef des SR syriens au Liban en 2002 quand Émile Lahoud, président de la République à l'époque, s'était plaint de son prédécesseur Ghazi Kanaan, auprès de Bachar el-Assad », raconte M. Hamadé qui n'oubliera jamais le moment où Rustom Ghazalé s'est rendu à son chevet le 3 octobre 2004, quelques jours après sa tentative d'assassinat.
« Il est venu à l'hôpital américain de Beyrouth pour me souhaiter un prompt rétablissement. L'entretien a duré cinq minutes. Il était accompagné de l'ancien directeur général de la Sûreté générale, Jamil Sayyed et du procureur général Adnan Addoum... C'est tout dire ! » lance-t-il, ajoutant : « Le jour de la tentative de mon assassinat, il avait appelé le directeur général des FSI de l'époque, Mohammad Kobrosli, pour lui dire "inutile d'enquêter, c'est soit les Israéliens, soit Marwan Hamadé a monté son propre attentat". »
(Pour mémoire : « Rustom Ghazalé a soutiré plus de 10 millions de dollars à Rafic Hariri... »)
« Scandales financiers »
Pour sa part, le député et ministre Nabil de Freige a noté que « la plupart des responsables syriens impliqués dans l'occupation du Liban et dans l'assassinat de Rafic Hariri ont été liquidés ». « Rustom Ghazalé a été désigné pour faire échec à Paris 2. Il a été impliqué dans de nombreuses affaires libanaises, notamment celle de la téléphonie mobile », poursuit-il.
« Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas mort à cause de la raclée qu'il a reçue de Chéhadé... Son entrée à l'hôpital a coïncidé notamment avec une interview de Rana Koleilat (impliquée dans le scandale financier à la base de l'effondrement de banque al-Madina) publiée dans la presse arabe ainsi qu'avec les témoignages publics citant son nom lors des séances du TSL », a-t-il dit. Et d'ajouter : « Pour moi, c'est l'homme qui en savait trop. »
M. de Freige avait rencontré à plusieurs reprises Rustom Ghazalé aux centres de services de renseignements syriens de Hammana et du Bois de Boulogne, durant les années quatre-vingt, alors qu'il devait se rendre régulièrement de Beyrouth à la Békaa. « C'était un jeune officier nerveux sans être méchant », indique-t-il
« Je me souviens aussi de lui en août 2004, à la reconduction du mandat de l'ancien président Émile Lahoud. Il m'avait dit que je devais voter pour M. Lahoud, pointant du doigt un portrait de Bachar el-Assad et disant "ce n'est pas moi qui ai décidé mais lui". Il avait aussi ajouté. "Ce ne sera pas le fait de voter pour Émile Lahoud mais pour la sécurité du Liban" », raconte M. de Freige.
« La justice poétique »
De son côté, le député chiite de Beyrouth Ghazi Youssef note que « la mort de Rustom Ghazalé est sans aucun doute en rapport avec l'assassinat de Rafic Hariri. Ghazalé a été la cause de malheurs de nombre de Libanais. Il a imposé sa loi à tout le monde, aux ministres, aux députés. Il exigeait aussi de l'argent des responsables. Même s'il ne sera pas convoqué au TSL, avec sa mort on assiste à une forme de justice divine ».
Pour sa part, notre consœur May Chidiac a accusé, dans plusieurs tweets, Bachar el-Assad, d'avoir commandité l'assassinat de Rustom Ghazalé, qu'elle a qualifié de « meurtier », soulignant que cette liquidation est liée au procès instruit par le TSL.
Enfin, Élie Ferzli, ancien vice-président de la Chambre, a déclaré : « Les décès m'attristent, même si c'est celui d'un ennemi. Que serait-ce si c'est la mort d'un homme que je connaissais ? » M. Ferzli a indiqué qu'il a « fait la connaissance de Rustom Ghazalé quand ce dernier était chef des SR syriens à Hammana et au Bois de Boulogne. Il était gentil et serviable. Il ne m'a jamais refusé une requête, notamment celle d'aider les chrétiens de la Békaa qui se rendaient de Beyrouth et du Mont-Liban jusqu'à leurs villages d'origine ». « Il a toujours été, et jusqu'à sa mutation au Beau Rivage en 1994, notre référence. Qu'il repose en paix », a-t-il souligné en conclusion.
Pour mémoire
Dans les coulisses de l'entrevue Hariri-Ghazalé, avant l'attentat du 14 février
La menace de Rustom Ghazalé via le garde du corps de Hariri : « Je vais lui casser le bras... »
BIZARRE COMME... ON LES FAIT PARTIR... L'UN APRÈS L'AUTRE...
17 h 13, le 27 avril 2015