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Économie - Liban - Habillement

La mode, un secteur d’avenir pour le Liban?

Au-delà des succès internationaux de quelques grandes signatures, le Liban peut-il devenir un pôle régional dans l'industrie de la mode ? Une étude d'Endeavor Lebanon fait le point sur les atouts et faiblesses structurelles du secteur.

« Les créateurs indépendants n’ont pas beaucoup d’espace pour exister », regrette la créatrice de mode féminine Lara Khoury. Photo: DR

Qui connaît la « Fashion Week » de Beyrouth ? Personne. Et pour cause : elle n'existe pas. Contrairement à New York, Paris, Milan, voire Pékin, la capitale libanaise n'organise pas de manifestation équivalente pour faire connaître les dernières créations de ses stylistes et designers de mode. Pourtant, ces derniers ne manquent pas : Élie Saab, Rabih Kairouz, Zuhair Murad ont tous démarré leur carrière à Beyrouth avant de voir leur nom étinceler à New York et Paris. Derrière, une légion de petites mains se tient prête à reprendre le flambeau. « La créativité est la marque de fabrique de Beyrouth. Mais les talents qui émergent dans les pays du Golfe n'ont plus rien à envier aux Libanais », nuance toutefois Delphine Eddé, cofondatrice du site Diwannee, lors d'une conférence sur l'avenir de l'industrie de la mode organisée vendredi par le réseau de mentorat entrepreneurial Endeavor Lebanon.

 

Préserver l'artisanat
Son but ? Réunir des représentants de l'ensemble de l'écosystème libanais autour d'une question : longtemps capitale régionale de la mode, Beyrouth a-t-elle encore un rôle à jouer dans cette industrie ? Pour y répondre, l'antenne libanaise d'Endeavor a préalablement mené une étude qui répertorie les principales forces et faiblesses de cette industrie pour maintenir son rang régional. Car le potentiel est immense : les échanges mondiaux de textile représentent 420 milliards de dollars au niveau mondial, avec 48 milliards de dollars pour les pays du Golfe.
Dans ce contexte, la mode « Made in Lebanon » a une vraie carte à jouer : quel autre secteur de l'économie libanaise possède un ambassadeur comme Élie Saab ? Le « Made in Lebanon » s'appuie également sur un savoir-faire dans le domaine de la création ou de l'artisanat. « L'artisanat est capital si on veut garder un avantage comparatif, mais celui-ci est en train de disparaître. Sa préservation devrait être l'une des priorités », note Marie-Christine Tabet, l'auteure de l'enquête d'Endeavor Lebanon. L'industrie locale bénéficie enfin d'un réseau de mentorat, avec un tiers des jeunes créateurs qui ont fait leurs armes chez Élie Saab ou Rabih Kairouz, gagnant ainsi une véritable expérience entrepreneuriale. Bref, pour le rapport, les créateurs libanais possèdent encore de réels avantages comparatifs, notamment par rapport à leurs concurrents du Golfe. Mais leur préservation suppose toutefois de surmonter un certain nombre de faiblesses structurelles.

 

(Lire aussi: Désormais, « Lebanese is the new Italian »...)

 

Ventes en baisse au Liban
En premier lieu, une conjoncture défavorable. En l'absence de chiffres fiables, due aux réticences des grandes maisons libanaises à communiquer, le poids du secteur au Liban reste difficile à mesurer. L'Université américaine de Beyrouth (AUB) l'estimait toutefois à 40 millions de dollars en 2007. Mais aujourd'hui, avec la désaffection des touristes arabes qui représenteraient 25 % à 50 % des volumes, la crise frappe aux portes des designers. « Leur absence mine le secteur, et le développement du e-commerce ne règle pas tout », assure Nadim Chammas, de Slowear, un concept-store regroupant quatre marques italiennes haut de gamme.
Les stylistes doivent aussi braver les vents contraires pour exister dans un marché local compliqué et surmonter les réticences d'une clientèle libanaise ou arabe attachée aux griffes étrangères. Résultat : « Les créateurs indépendants n'ont pas beaucoup d'espace pour exister », regrette Lara Khoury, créatrice de mode féminine (voir ci-dessous). Car, avec son marché étroit, la nécessité d'importer ses matières premières et la difficulté de produire de petites séries, Beyrouth est trop chère. « Il ne s'agit pas d'ignorer son propre marché, mais il faut peut-être considérer la région tout entière comme son " hinterland" pour trouver un périmètre viable », fait valoir Tala Hajjar, cofondatrice et directrice de la fondation Starch. Les créateurs libanais n'hésitent plus à ouvrir des boutiques dans les pays du Golfe. Avec le risque de voir certains d'entre eux renoncer à maintenir une partie de leur activité à Beyrouth. Car, entre-temps, d'autres places, comme Dubaï, renforcent leur attractivité. Le lancement du Dubaï Design District (connu sous le sigle « D3 »), un espace qui regroupe ateliers de couture, galeries de création, maisons de tissu... devrait ainsi permettre à cette dernière de bénéficier d'un pôle régional d'envergure.

 

Manque de fonds
Autre problème récurrent : une distribution lacunaire. Les boutiques multimarques restent rares et se montrent rétives aux créateurs locaux dont les collections ne coïncident pas avec leurs exigences en matière de saisonnalité ou de réassort. La plupart, quand elles acceptent de prendre leurs vêtements, le font en consignation, laissant les marques libanaises porter seules le risque de méventes. « Que serait Marc Jacob sans le groupe de distribution LVMH ? Si cette marque vaut désormais des millions, c'est parce que Bernard Arnault a cru en son créateur et l'a porté à bout de bras », s'amusait l'un des intervenants de la conférence.
L'absence de financements constitue un dernier problème, de taille. « La plupart des marques ont levé des fonds auprès de leurs proches. Mais il n'existe aucune structure pour investir du capital-risque : les créateurs restent trop amateurs pour répondre aux exigences des acteurs financiers », fait valoir Khaled Zeidan, directeur général de Medsecurities Investment. Pour lui, la solution pourrait venir d'un mécanisme de subvention comme celui prévu par la circulaire
n° 331 de la Banque du Liban, qui permet aux banques d'investir dans des sociétés libanaises œuvrant dans
l' « économie de la connaissance », en garantissant leurs engagements à 75 %. Il planche sur la création d'un fonds d'investissement dédié à l'industrie de la mode dans ce cadre. Pour l'heure, la Banque centrale n'a pas précisé dans quelle mesure la mode pouvait entrer dans le champ d'application de la circulaire.

 

Lara Khoury marie artisanat et culture underground

Si un vêtement en dit long sur celui qui le porte, que dire des créations de Lara Khoury ? Sans doute que l'inspiration de cette jeune marque s'inscrit à mi-chemin de l'Asie et de la culture underground européenne. Après des études à Esmod Paris, Lara Khoury rejoint Élie Saab puis la fondation Starch de Rabih Kairouz. « Une expérience nécessaire : la vision entrepreneuriale me manquait au sortir de mes études », dit-elle. En 2010, elle lance sa marque de prêt-à-porter (femme) sous son nom avec deux collections par an et quelque 35 modèles à chaque fois. Plus de 60 % de ses créations sont vendues à l'étranger, dans les pays du Golfe ou en Asie, au Japon en particulier. Pour exister, Lara Khoury présente ses collections à Paris au moment de la Fashion Week. « Beyrouth est un lieu difficile, même si c'est un lieu indispensable à mon inspiration », dit-elle. Ses prix oscillent entre 150 et 2 000 dollars, selon les modèles. Avec, par exemple, 1 000 dollars en moyenne pour une robe de soirée. « Je maîtrise assez la filière pour savoir comment négocier de petites séries ou assurer un réassort si besoin est », note-t-elle. À Beyrouth, elle vend dans son atelier ou sur son site, qui représente un peu moins de 15 % de ses ventes. Prochaine étape pour elle : la création d'une ligne couture.

 

 

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