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Liban

La guerre est-elle véritablement terminée ?

La guerre est terminée, nous annonce-t-on en 1990 avec l'adoption de Taëf, accords conclus dans la ville saoudienne du même nom, mettant fin à deux décennies d'un conflit fratricide interlibanais. Ces accords, devenus texte fondamental, devaient en même temps préluder à la naissance de la Deuxième République libanaise, une république réformée, repolicée, garantissant droits et respect des citoyens libanais éreintés par un conflit sanglant qui avait ouvert la voie à des ingérences régionales et internationales de toutes sortes.
La guerre est-elle véritablement terminée ? La question est, aujourd'hui, on ne peut plus pertinente. Vingt-cinq ans plus tard, le constat n'est pas rassurant et les Libanais réalisent avec amertume que, depuis la fin du conflit armé, une nouvelle forme de guerre s'est déclarée dans leur pays. Ses résultats se sont avérés à ce jour tout aussi désastreux et sanglants que ceux générés par la guerre civile, qui avait éclaté en 1975. Certes, les protagonistes et les alliances ont changé, l'emplacement des tranchées aussi, mais la haine déversée est tout aussi intense et le chaos alimenté par l'absence des règles du droit continue de ponctuer la vie quotidienne des Libanais.

 

(Lire aussi : À Aïn el-Remmaneh-Chiyah, la page n’est pas tout à fait tournée)


Restée lettre morte dans la majorité de ses clauses, la Constitution issue de Taëf n'a réussi à concrétiser à ce jour ni l'abolition du confessionnalisme politique ni le désarmement des milices et du mouvement dit de résistance, qui ont continué de fleurir et de s'imposer au gré des turbulences internes, à une nuance près cependant : alors que la guerre civile avait connu une sorte d'équilibre de la terreur entre les différentes milices, le Hezbollah, lui, a réussi au fil du temps à s'imposer comme la force armée la plus puissante, faisant la pluie et le beau temps au plan interne mais aussi régional.


Violée, bafouée, vidée de son sens, la Constitution aux mille interprétations a fini, pendant cette nouvelle ère, par être accommodée à la juste mesure des différents protagonistes, et modelée jusqu'à devenir une feuille de chou utilisée pour justifier les multiples déviations d'une République étouffée dans l'œuf : amendements constitutionnels en vue de la prorogation des mandats d'Élias Hraoui puis d'Émile Lahoud, fermeture du Parlement, perpétuation de la présence syrienne (les soldats de Damas ne seront boutés qu'à la faveur de l'assassinat politique traumatisant de Rafic Hariri), lois électorales confectionnées sur mesure par les uns puis les autres, une présidence de la République exsangue dont on préfère voir désormais le siège plutôt vide qu'honoré d'une personnalité médiane, pour ne citer que ces quelques exemples de violation flagrante.
Laissées pour compte, les fonctions régaliennes de l'État – sécurité et justice – sont restées otages d'une polarisation aiguë aux relents communautaires, écartelées par les urgences de la guerre sournoise que se livrent sunnites et chiites. Au milieu, le citoyen libanais continue de payer de son sang, au quotidien, l'état de déliquescence général.

 

(Lire aussi : « Ce qui s’est passé le 13 avril 1975 ? Je n’en ai aucune idée »)


Jour après jour, le chaos contribue pernicieusement à perpétuer la longue chaîne des « martyrs », devenus « vitaux pour amorcer un progrès quelconque », comme le note si bien l'avocate Nadine Farghal sur sa page Facebook, commentant les morts tragiques sur des routes gravement défectueuses.
Désormais, nous avons besoin de morts tragiques au jour le jour pour qu'enfin l'on adopte un code de la route dont l'application reste encore à tester. Des martyrs encore pour mettre fin à la violence conjugale dont ont payé le prix lourd Roula, Manal et les autres, rappelle encore la juriste.
Des morts encore et toujours – parmi les enfants en bas âge – pour imposer des mesures de sécurité dans les garderies, des morts aussi suite à des empoisonnements pour enfin se pencher sur l'hygiène alimentaire. Une flopée de martyrs également – parmi les soldats de l'armée mais aussi les civils – pour enfin imposer un minimum d'ordre et de stabilité à Tripoli.

 

(Lire aussi : D’anciens secouristes de la Croix-Rouge libanaise revivent leurs moments forts de la guerre)


Ainsi, le règne de la loi n'est plus un principe absolu et incontournable, ni un concept général, mais le produit d'une réaction au cas par cas arrachée aux politiques, grâce notamment au matraquage de la société civile. Certes, c'est toujours ça de gagné, diront certains. Sauf qu'à force d'être circonstanciels dans leur gestation mais aussi dans leur application, les textes de lois ont perdu jusqu'à leur sens même.
Beaucoup de questions se bousculent. Comment avons-nous réussi à inverser le cycle morbide de cette après-guerre sans merci, comment avons-nous réussi à l'exporter par-delà les frontières libanaises, dans une guerre qui ne concerne le citoyen lambda ni de près ni de loin ? Cette ingérence dans le conflit syrien, le Liban continue d'en payer un prix lourd, ne serait-ce qu'au niveau de la coexistence, un concept devenu slogan creux brandi à chaque fois que le pays du Cèdre se rapproche un peu plus du spectre d'une nouvelle guerre civile...

 

(Lire aussi : La guerre dans l’œil de six photographes libanais)


Qu'avons-nous fait en termes de mémoire et de réflexion pour éloigner les démons de la guerre et tourner véritablement la page en lieu et place d'une amnistie qui a pavé la voie à l'amnésie ?
La question reste entière. Elle s'adresse principalement à la société civile, la seule force capable d'apporter un souffle d'espoir et une dynamique de changement, et non plus aux politiques qui ont clairement démontré leur préférence pour la politique de l'autruche, dont la tête s'enfonce un peu plus dans les sables mouvants d'un Proche-Orient en proie à la culture de la mort et des destructions des mémoires les plus ancestrales.

 

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commentaires (2)

UNE BRAISE COUVE TOUJOURS DANS LA CENDRE NON COMPLÈTEMENT ÉTEINTE... CERTAINS PAR LEURS EXACTIONS L'AGITENT AVEC FUREUR MAIS CEUX QUI ONT GOÛTÉ L'AIGREUR DE LA GUERRE CIVILE NE SE LAISSENT PAS PRENDRE DE NOUVEAU...

LA LIBRE EXPRESSION

16 h 37, le 15 avril 2015

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Commentaires (2)

  • UNE BRAISE COUVE TOUJOURS DANS LA CENDRE NON COMPLÈTEMENT ÉTEINTE... CERTAINS PAR LEURS EXACTIONS L'AGITENT AVEC FUREUR MAIS CEUX QUI ONT GOÛTÉ L'AIGREUR DE LA GUERRE CIVILE NE SE LAISSENT PAS PRENDRE DE NOUVEAU...

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 37, le 15 avril 2015

  • Conclusion , faut jeter les accords du Caire et le contrat de Taëf aux poubelles de l'histoire ...pour rester en paix....

    M.V.

    16 h 00, le 15 avril 2015

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