Que savent exactement les jeunes Libanais de la guerre civile qui a secoué leur pays pendant quinze ans, bien avant qu'ils ne naissent ? Que s'est-il passé le 13 avril 1975 ?
Cette question, L'Orient-Le Jour l'a posée à des jeunes dans différents quartiers de Beyrouth. La grande majorité d'entre eux ont répondu, à l'instar de Rima, âgée d'à peine vingt ans : « Je n'en ai aucune idée. »
Dans le cadre de ce microtrottoir réalisé à l'occasion du quarantième anniversaire du début de la guerre libanaise, les réponses vont d'une mine éberluée à : « Un événement en rapport avec les droits de la femme ? » Certains évoquent toutefois « quelque chose lié à la guerre, non ? » alors que d'autres tentent un : « C'est le jour où le bus a explosé, c'est ça ? » Le tour est vite fait : dans cette tranche des jeunes âgés d'une vingtaine d'années, il est bien difficile de trouver quelqu'un qui parle clairement du fameux bus rempli de Palestiniens mitraillé à Aïn el-Remmaneh et des relations libano-palestiniennes en général. Difficile de trouver quelqu'un qui ait aussi un avis sur cet événement, inscrit dans un contexte déjà propice au conflit, qui marquera le début d'une guerre de 15 ans.
Pour Fadia Kiwan, ancienne directrice de l'Institut des sciences politiques de l'Université Saint-Joseph, le fait que ces jeunes Libanais ne puissent pas raconter et/ou expliquer ce qui s'est passé le 13 avril 1975 « ne signifie pas qu'ils ne savent rien de cette période. Dans toutes les familles, les jeunes ont certainement entendu des propos relatifs à la guerre. En fait, cette date ne leur évoque rien parce que cette partie de l'histoire n'est pas enseignée dans les écoles ».
À la fin de la guerre, au début des années 90, les députés avaient estimé nécessaire d'« unifier le récit du passé ». Lors de la conclusion de l'accord de Taëf, en 1989, il a été décidé que les livres d'histoire et d'éducation civique seront unifiés et uniquement produits par l'État. Si cela a été fait pour les livres d'éducation civique, qui ont été mis en circulation, les livres d'histoire ont fait l'objet de désaccords profonds entre les représentants des différents partis. Faute de consensus commun, l'enseignement de l'histoire « récente » est suspendu : les cours d'histoire dispensés jusqu'au bac s'arrêtent à l'indépendance du pays, en 1943.
« Pour que les jeunes ne soient pas formés à la polémique et aux controverses, les responsables ont décidé de suspendre provisoirement l'enseignement de l'histoire. Évidemment, c'est regrettable car ce n'est pas normal que les jeunes apprennent l'histoire du monde entier et pas celle de leur pays sous prétexte qu'on a peur de ne pas leur donner le récit le plus sain », note Fadia Kiwan. Le problème est que « pour produire un récit historique, il faut construire une argumentation, décrire des rapports de force, ce qui implique d'attribuer des responsabilités, chose extrêmement délicate, car nous ne savons pas comment décrire les événements (de la guerre, NDLR) avec objectivité », poursuit-elle.
Commission d'historiens
Pourtant, en 1996, poussé par le ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Jean Obeid, le gouvernement charge une commission d'historiens d'écrire un récit commun. Cette initiative se solde par un échec, car la commission n'est pas arrivée à des conclusions qui satisfassent tout le monde.
L'absence de consensus politique qui empêche la production d'un récit commun sur l'histoire du pays n'est pas sans conséquences. « Cela ne nous laisse pas tirer de leçons de la guerre et ouvre la voie à des récits tendancieux qui ne peuvent être inclusifs et impartiaux. Les jeunes ne connaissent l'histoire qu'indirectement, à travers les propos tenus de manière impulsive et émotionnelle par leur famille. Cela peut favoriser l'esprit partisan et est susceptible de reproduire la vindicte sectaire et communautaire », souligne Mme Kiwan.
Aujourd'hui, il est indispensable d'arriver à un « consensus minimum qui permettrait la production d'un récit strictement chronologique des événements en croisant des articles de différents journaux pour se rapprocher le plus possible de la neutralité, en créant des programmes éducatifs dans le paysage audiovisuel, en organisant des conférences et des cours sur ce thème dans les universités... », estime Mme Kiwan. L'objectif final étant d'arriver à un « processus de réconciliation nationale ».
Dans une région en proie aux conflits communautaires et sectaires, combler ce « trou de mémoire » des jeunes Libanais est plus que jamais nécessaire.
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PERSONNE NE SAIT POURQUOI ILS SONT PASSÉS LÀ Où ILS SONT PASSÉS... AUX PASSÉS SE SUBSTITUENT AUJOURD'HUI DIVINEMENT DES PRÉSENTS...
09 h 28, le 14 avril 2015