Une nouvelle structure prend forme au sein du 14 Mars, qui doit consacrer un retour aux sources du soulèvement de 2005, c'est-à-dire à ses acteurs civils. La naissance de cette structure, qui portera le nom de « Conseil national du 14 Mars », sera annoncée samedi, lors de la dixième commémoration de l'intifada de l'indépendance au Biel. Alourdie par les déceptions qui s'accumulent depuis 2005, lasse de trop de concessions politiques peu convaincantes, marginalisée dès le lendemain du soulèvement dont elle est peut-être la seule vraie artisane, émiettée par la violence du camp adverse, la mouvance civile qui avait confectionné le slogan « Liban d'abord » et accompli la mise en œuvre du pacte national a toutes les raisons de mettre en doute, aujourd'hui, un Conseil national survenu tardivement.
Dans un entretien à L'Orient-Le Jour, le coordinateur général du 14 Mars, l'ancien député Farès Souhaid, qualifie le Conseil national « de plateforme des sans domicile fixe du 14 mars 2005 ». Ce sont, selon lui, les déceptions des acteurs civils et silencieux de ce soulèvement qui alimentent la raison d'être de ce conseil. « Ce conseil ne vise ni à venir s'ajouter aux structures partisanes existantes, ni à s'y opposer, ni à se constituer en parti politique dissident, et encore moins à servir une restructuration administrative de la coalition du 14 Mars, la structure de celle-ci étant loin d'être fragilisée, souligne M. Souhaid. Ce conseil se veut une instance civile plurielle moderne, intra et intercommunautaire, un espace souple, le support de la convivialité libanaise, et le moyen de diffuser ce modèle de vivre-ensemble dans la région, et peut-être même aussi dans le monde. »
Autrement dit, si le printemps de 2005 avait donné le coup d'envoi des différents soulèvements régionaux, le Conseil national, lui, doit servir à en véhiculer les préceptes, puisés dans le modèle libanais de convivialité, qui peut être un repère pour la région et pour le monde. Et c'est en termes réalistes, et avec un souci de répondre à toutes les critiques qui lui sont adressées, que Farès Souhaid défend le Conseil national.
Celui-ci vient en effet servir un enjeu certain, qui n'a toujours pas trouvé de moule concret : celui de repositionner les principes universels du 14 Mars dans le contexte actuel. L'actualité régionale et mondiale, marquée par des « distensions communautaires », aura ainsi ravivé les principes du 14 Mars, les rendant plus nécessaires que jamais.
Mais leur mise en œuvre est entravée par un mal-être.
Cadre transcommunautaire
Ce mal-être tel que diagnostiqué par Farès Souhaid est « le repli des Libanais à l'intérieur de leurs communautés respectives, dix ans après le moment fort de l'union nationale islamo-chrétienne qui a accompli le miracle du retrait des troupes syriennes du Liban ».
Et ce mal-être n'a pas pour origine directe le trop de compromissions des partis politiques du 14 Mars, selon lui, mais les peurs identitaires qui émergent lorsque s'affadit la foi dans l'unité nationale. Or, le bilan des dix dernières années, aussi sombre qu'il puisse paraître pour le 14 Mars, aura démontré que l'unité islamo-chrétienne, essence même de ce soulèvement, est la seule voie politique qui aboutisse. Le secrétaire général du 14 Mars décortique en effet les tentatives respectives des quatre principales communautés du pays de « trouver une issue pour leur communauté, en dehors de l'alliance islamo-chrétienne, et les échecs fracassants qui ont suivi ces repositionnements ». Ainsi, « la décision – respectée – de Walid Joumblatt, qui date du 2 août 2009, de sortir sa petite communauté du clivage entre le 8 et le 14 Mars, afin de la préserver d'une confrontation qui la dépasse, a prouvé son inefficacité depuis que les druzes sont dans le collimateur des jihadistes en Syrie ». Lorsque, par ailleurs, « les chrétiens se sont rendus à Washington pour convaincre les décideurs de les soutenir en tant que minorité vulnérable, les échanges sont allés dans le sens de l'agrégation de la théorie de l'alliance des minorités », ajoute-t-il. Lorsque, pour sa part, « Saad Hariri s'est tourné vers les capitales internationales de décision et a tenté de dépasser son leadership libanais, sa démarche s'est avérée peu efficace, la référence sunnite régionale se trouvant au niveau des grands États du Golfe », poursuit le secrétaire général du 14 Mars. Les chiites ne sont pas un cas isolé de ce schéma, puisque « le Hezbollah sait, même s'il le camoufle, que son engagement en Syrie et en Irak le défavorise ».
Si toutes les communautés ont perdu leurs repères face à la montée fondamentaliste, le seul moyen de combattre leurs peurs, de s'immuniser et de consolider leur présence reste le partenariat national. Et les chiites, « qui savent qu'ils ne peuvent trouver une solution en dehors de la solution nationale », sont directement concernés par ce Conseil national du 14 Mars, qui se veut « une plateforme libre et ouverte à toutes les "minorités", sunnite, chiite, druze et chrétienne : toutes les communautés auront un cadre transcommunautaire de prise de décision politique unifiée, ce qui est une première », déclare-t-il.
Sauf que, cette fois-ci, « ce n'est pas nous qui allons tendre la main au Hezbollah. Nous attendrons qu'il franchisse le pas et décide de revenir au Liban », souligne-t-il.
Près de 300 figures considérées comme des leaders d'opinion, et issues des milieux médiatiques, civils, universitaires, mais aussi politiques, serviront de socle initial à cette plateforme. Le financement transparent de ce conseil, qui se limite à des versements annuels par ses membres, est censé être le gage de son indépendance véritable, y compris à l'égard des partis politiques du 14 Mars, qui, en tout cas, « sont très favorables à cette initiative », assure Farès Souhaid, coupant court aux rumeurs qui, dans la presse, font état de tentatives de sabordage de l'initiative par les formations traditionnelles.
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Courant ou conseil du 14 mars ,avouons ces idéologies ont fait faillite.
17 h 32, le 12 mars 2015