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Liban - TSL

Dix ans après, Damas de nouveau dans le collimateur de la justice internationale

Avec le démarrage des procès, le Liban rêve toujours de la fin de l'impunité.

Le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, s’est rendu hier au mausolée Rafic Hariri, place Riad el-Solh. Photo Hassan Assal

Dix ans après l'attentat du 14 février 2005, la polarisation aiguë qui en a résulté, suite notamment à la mise en place d'une commission internationale d'enquête puis à la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, continue de marquer profondément le paysage politique et d'aggraver le clivage interlibanais.

Pointés du doigt dès le début de l'enquête, la Syrie puis le Hezbollah restent à ce jour dans le collimateur de la justice internationale, qui a déjà identifié cinq accusés du parti chiite. L'enquête en cours a récemment laissé entrevoir des liens entre Damas et les cinq accusés – une piste révélée incidemment par la défense lors d'une audience. Contesté d'emblée par le camp du 8 Mars, le TSL poursuit cependant son travail de fourmi, à un rythme perçu comme lent par nombre de Libanais dont l'attention est désormais détournée vers d'autres types de menaces sécuritaires, représentées aujourd'hui par le terrorisme jihadiste sunnite.

La controverse que suscitent cette juridiction et avant elle la commission d'enquête internationale n'est pas prête de se refermer. Si elles paraissent quelquefois justifiées par une argumentation juridique, les critiques adressées au tribunal international prennent souvent une coloration politique, dans laquelle on décèle nettement une tentative de discréditer le processus dans son ensemble. C'est dans cette optique que s'inscrivent les attaques lancées par le Hezbollah et ses alliés, qualifiant le TSL d'« instrument aux mains des Américains et des Israéliens ».
Dès 2006, bien avant la mise en place du TSL, le processus judiciaire engagé a entraîné la démission des ministres chiites du gouvernement et la fermeture du Parlement. Mais cette tentative de bloquer l'adoption d'un accord entre le Liban et l'Onu instituant le tribunal sera contournée par le Conseil de sécurité qui imposera la création du TSL sous le chapitre VII.

Des juristes et des observateurs pointent du doigt des anomalies aussi bien dans les textes que dans la pratique. Ces critiques apporteront de l'eau au moulin des pourfendeurs du TSL. Il en sera ainsi par exemple de la manière « cavalière » dont s'est comporté le premier chef de la commission d'enquête, Detlev Mehlis, dont le premier rapport d'enquête citant les noms de témoins et pointant du doigt la Syrie (un peu hâtivement et sans preuves tangibles à l'époque ) avait soulevé des vagues, menaçant sérieusement le processus en cours. L'épisode de l'arrestation des quatre généraux qui s'ensuivit a enflammé un peu plus le débat. Leur libération en 2009 par le TSL, dès son entrée en fonctions, viendra toutefois rectifier une erreur de parcours dont le tribunal a vite fait de se laver les mains.


(Lire aussi : Les miraculés du Saint-Georges se souviennent de l'explosion qui a fait basculer leur vie)


Mais la controverse ne se limitera pas à la commission d'enquête. Dès le début, le TSL fera l'objet de nombreuses critiques, notamment pour ce qui est de sa création par le Conseil de sécurité sous le chapitre VII, passant outre la ratification du Parlement libanais et l'aval du président de la République, déterminé à l'époque de bloquer le processus par tous les moyens. De nombreuses remontrances seront également adressées à la définition adoptée du crime jugé, placé sous la rubrique du terrorisme, une première en justice internationale. Également contestée, l'adoption du principe du procès par défaut, une procédure inspirée des textes libanais, mais qui n'en reste pas moins inédite en justice internationale.

Mais dans le contexte de déchirement qui est le sien, le Liban aurait-il pu se passer du TSL ? C'est la question que se posent plusieurs analystes qui continuent de défendre le principe d'une instance judiciaire internationale indépendante, les tribunaux libanais leur paraissant incapables à ce jour de se dérober aux pressions et aux intimidations politiques. La poursuite des assassinats, même après le début des travaux du TSL, donnera raison à tous ceux qui soutenaient l'idée d'un tribunal siégeant hors du Liban. Elle contredira toutefois les allégations selon lesquelles la création du TSL devait mettre fin aux attentats.
Certes, le TSL, qui inaugure une juridiction originale à plus d'un titre – participation des victimes, création d'un bureau indépendant de la défense, recours à un mix juridique entre systèmes anglo-saxon et continental, présence d'un juge de la mise en état, etc. –, ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté des juristes et n'est certainement pas le modèle idéal dans le genre. Il n'empêche que le tribunal fonctionne et que le procès se poursuit inexorablement au milieu de tout ce tumulte. Seul le verdict final pourra démontrer à l'avenir si l'expérience, par ailleurs extrêmement coûteuse, en valait le coup.

C'est à cela que s'attelle, depuis janvier 2014, date du lancement du procès à La Haye, le TSL, plus précisément l'accusation qui présente actuellement ses preuves contre les 5 accusés, jugés par défaut.
Suivies avec grand intérêt depuis le défilé des témoins révélant le « climat politique » qui a entouré l'assassinat, ces audiences sont venues renforcer un peu plus la conviction intime de nombreux Libanais, et du camp haririen en particulier, pour ce qui est de l'implication du Hezbollah dans l'exécution du crime et du rôle prépondérant de la Syrie, pointée du doigt comme étant le commanditaire présumé. La tournure prise récemment par le procès – le contexte politique est pour la première fois évoqué de manière explicite par le procureur – est venue confirmer en quelque sorte les certitudes politiques, d'autant qu'il a été ouvertement question des menaces proférées par Bachar el-Assad à l'ancien chef du gouvernement, mais aussi des appels téléphoniques qu'aurait effectués le président syrien avec les accusés, un point qui fait toujours l'objet d'une investigation.

 

(Lire aussi : Ils ont dit – à propos de Rafic Hariri...)


Alors que le procès évoluait jusque-là sur un mode technique et donc monotone, mettant en scène une flopée d'experts, le cadre politique s'est brusquement invité devant la cour, conférant à la procédure une orientation plus cohérente avec les termes du mandat du tribunal, défini dans la résolution 1757 du Conseil de sécurité. Celle-ci stipule que le TSL doit juger « les auteurs, organisateurs et commanditaires » de l'assassinat de Rafic Hariri et d'autres crimes. Un retournement de situation qui n'a pas manqué de susciter le courroux de la défense qui ne cesse de rappeler que le « contexte politique » n'a pas figuré dans l'acte d'accusation et ne peut donc être parachuté au procès de la sorte. La défense, dont l'entrée en scène est attendue d'ici à un an, n'a pas encore dit son dernier mot. Elle devrait s'atteler à remettre en cause notamment la valeur probante de l'une des pièces maîtresses de l'arsenal de preuves avancées par l'accusation, à savoir les données des télécommunications qui ont conduit aux cinq prévenus. L'accusation, pour sa part, est loin d'avoir épuisé sa batterie de témoins, dont certains pourraient se révéler percutants pour le dossier.

Bref, un processus qui s'avère très long, d'autant que les dossiers annexes – les affaires Haoui, Hamadé et Murr – ne sont toujours pas jugés par le TSL, aucun acte d'accusation n'ayant été émis depuis que ces trois dossiers ont été déférés devant le bureau du procureur en août 2011. D'autres attentats – visant May Chidiac, Pierre Gemayel, Gebran Tueni, Samir Kassir, Wissam Eid, Walid Eido et son fils, Antoine Ghanem, Wissam el-Hassan, Mohammad Chatah et François Hajj, ainsi que le cortège de « victimes collatérales » – n'ont à ce jour pas été intégrés aux investigations du TSL.

Quelles que soient les convictions des uns et des autres, elles ne pèseront pas lourd dans la balance de la justice. Celle-ci a sa logique, ses rouages et son temps propres. Tant que le processus judiciaire déclenché se poursuivra, il est vain de tirer des conclusions toutes faites puisque seule la confirmation par les juges des preuves avancées fera loi. On en est loin encore.

 

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Dix ans après l'attentat du 14 février 2005, la polarisation aiguë qui en a résulté, suite notamment à la mise en place d'une commission internationale d'enquête puis à la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, continue de marquer profondément le paysage politique et d'aggraver le clivage interlibanais.Pointés du doigt dès le...

commentaires (5)

Vous oubliez aussi les conversations directes de Ali Ammar avec les cinq tueurs du Hezbollah avant et après l'assassinats. Ce qui conduira inéluctablement le TSl a accuser toutes la direction du Hezbollah des meurtres commis. Juste a titre d'information et une petite constatation faite en regardant les événements de la région: Tous les pays qui avait trempé, de prés ou de loin, dans la tentative d’éliminer le Liban de la carte se voit aujourd'hui littéralement détruit ou en difficulté: La Libye, La somalie, l'Egypte, la Syrie, l'Iraq, le Yémen, les Palestiniens et bientôt l'Iran. Cela revient a confirmer le statut sacré et spécial de ce pays ainsi que la fameuse phrase "Le Liban est trop petit pour le diviser et trop grand pour l'avaler". A bon entendeur salut!

Pierre Hadjigeorgiou

09 h 31, le 12 mars 2015

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Commentaires (5)

  • Vous oubliez aussi les conversations directes de Ali Ammar avec les cinq tueurs du Hezbollah avant et après l'assassinats. Ce qui conduira inéluctablement le TSl a accuser toutes la direction du Hezbollah des meurtres commis. Juste a titre d'information et une petite constatation faite en regardant les événements de la région: Tous les pays qui avait trempé, de prés ou de loin, dans la tentative d’éliminer le Liban de la carte se voit aujourd'hui littéralement détruit ou en difficulté: La Libye, La somalie, l'Egypte, la Syrie, l'Iraq, le Yémen, les Palestiniens et bientôt l'Iran. Cela revient a confirmer le statut sacré et spécial de ce pays ainsi que la fameuse phrase "Le Liban est trop petit pour le diviser et trop grand pour l'avaler". A bon entendeur salut!

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 31, le 12 mars 2015

  • Dix ans après, Damas est un corps malade et qui juger ?

    Sabbagha Antoine

    21 h 10, le 14 février 2015

  • ET DIX ANS... APRÈS L'APRÈS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 33, le 14 février 2015

  • DANS LE COLLIMATEUR... OUI ! LEUR BLA... BLA... BLA... LES PLACE EN FAVORIS... MAIS IL FAUT AUSSI APPROFONDIR LES INVESTIGATIONS... VERS L'OUTRE-SUD DU PAYS COMME AUSSI VERS L'OUTRE-GOLFE ARABIQUE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 53, le 14 février 2015

  • Chhhhhhhhht ! Il ne faut pas troubler la tranquillité des "assassaints", "auteurs, organisateurs et commanditaires (iraniens et syriens) de l'assassinat de Rafic Hariri". Et le "dialogue" entre le Hezbollah et le Futur ?

    Halim Abou Chacra

    05 h 53, le 14 février 2015

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