Finalement je suis parvenu à force de réflexion à me convaincre que les hommes politiques que nous élisons sont des gens hors du commun. Je ne suis pas sarcastique, je ne suis pas non plus masochiste au point de me faire à cette idée qui, comme une révélation, m'est apparue dans toute sa splendeur.
Quand vous pestez contre ces illustres personnages, quand vous critiquez leur action, quand vous les zieutez de travers pour ne pas avoir accompli la mission que vous leur avez confiée, quand à plus d'une reprise ils vous ont déçu, ce n'est pas contre eux que vous en avez, mais uniquement contre vous-même.
En effet, bien que de vous à moi souvent je l'ai pensé tout bas, j'ai rarement entendu quelqu'un décrire en public nos édiles en termes insultants ou péjoratifs. Par contre c'est nous-mêmes que nous qualifions dans le plus poli des cas d'idiots ou d'imbéciles pour les avoirs élus, avoir cru à leurs boniments, confié une procuration qu'à notre avis ils ont détournée à leur profit.
Tout genre d'animaux sont mis à contribution, empruntant leurs qualificatifs les plus vils des fois, compte non tenu des gros mots que la bienséance m'empêche ici d'écrire pour se décrire soi-même, les deux mains bien calées sur les oreilles pour ne pas s'entendre hurler : « Quel quadrupède j'ai été d'avoir voté pour eux ! »
Bien sûr des œufs et des tomates pourris leur ont été lancés, ce fut peut-être d'un effet jouissif pour les lanceurs et les spectateurs. Pour eux, pas même une piqûre de moustique dans la cuirasse blindée de leurs véhicules. Tout continue de baigner pour eux ; pour nous, peuple crédule, rien ne va plus.
Et voilà que depuis plus de neuf mois, ils ignorent superbement leur devoir constitutionnel le plus important, celui d'élire toutes affaires cessantes un président de la République qui donnerait à la chose publique un nouvel allant, contiendrait les tensions, jouerait le rôle de guide, de rassembleur, de timonier, tenant d'une main ferme le gouvernail.
Loin des idées reçues, c'est d'un gouvernant sachant gouverner, naviguer entre les écueils, quitte à les ôter de force de son chemin d'une poigne de fer dans un gant de velours, taper au besoin sur la table, hausser le ton quand il le faut pour couvrir la cacophonie des autres, rendre les coups quand il en reçoit, que nous avons besoin d'urgence. Mais de grâce surtout pas d'un arbitre.
La république n'est pas un ring, une nation n'est pas un terrain de basket ou de foot, ce n'est pas deux personnes, deux équipes qui s'affrontent et que le meilleur gagne, sous le regard attentif ou non d'un arbitre qui compte les points, siffle un penalty, sort de sa poche un carton jaune ou rouge, tel un prestidigitateur qui sortirait de son chapeau un lapin.
Et pourtant, pour calmer le jeu, ramener les protagonistes à la raison, insuffler au peuple l'esprit d'appartenance nationale non plus communautaire, redonner une âme à ce corps tiraillé dans tous les sens tel un pantin, qu'est devenu notre Liban, répudier la religion au profit du civisme, la cantonner aux lieux de culte sans qu'elle ne déborde sur la rue, c'est également d'un enchanteur qu'il nous faut.
Dans un génial coup de bluff, comme Diogène, nos responsables par deux fois autoprorogés ont pris leur lampe, faisant semblant d'aller à la recherche de ce personnage fantastique, enfourchant leurs haut-parleurs, alertant au passage à grand renfort de cris tous ceux qui d'un bout du monde à l'autre seraient susceptibles de leur indiquer qui doit remporter leurs suffrages.
Risible, alors que l'oiseau rare se trouve parmi eux, sinon il se tient à portée de leurs voix. Et ce n'est certainement pas à l'officier de liaison d'outre-mer, d'outre-Manche, d'outre-Atlantique ou d'outre-monts de donner son assentiment sur le nom de la personne qui occupera le palais de Baabda.
Ce n'est pas un tenancier de tripot que nous recherchons. Dans ce domaine ils sont légion, tous seraient éligibles, feraient bien l'affaire, comme ils la font maintenant, sans contestation aucune, ils y réussissent bien ma foi, haut la main, avec gloriole.
C'est du président de notre République qu'il est question. Que faire, sachant qu'il n'y a pire sourd que celui qui ne veut entendre, plus aveugle que celui qui ne veut voir, sauf bien évidemment ce qui est beau à son regard, le billet vert par exemple, et agréable à son ouïe, le bruit que fait la machine en les comptant.
Il y a maldonne au départ. Les règles du jeu sont faussées, les dés pipés. L'accord de Taëf devenu Constitution reposait essentiellement sur les ingérences sournoises et pernicieuses de la Syrie dans nos affaires internes, qu'elle régulait à sa convenance, à son profit, mettant par la force, la persuasion, la perfidie, la menace, tout le monde d'accord.
La classe politique qui nous gouverne conditionnée par la théorie de Pavlov n'a pas su, pu, voulu s'adapter aux canons de la liberté, de l'indépendance et de la souveraineté retrouvées au prix du sang un jour de mars. Au lieu de s'émanciper du joug tutélaire qui lui courbait l'échine, elle a troqué un parrain malfaisant et scélérat contre une bonne demi-douzaine d'autres, certains faisant passer l'original pour un enfant de chœur.
C'est ainsi que sous le regard des tuteurs qui ont fourbi leurs armes pour, par personne interposée, se faire des coups bas, que la foire d'empoigne commence. Veto pour veto, les présumés plus forts au sein de leur communauté faisant place nette, écartant d'une pichenette hautaine ceux qu'ils prennent pour du menu fretin.
Tandis que la majorité des tenants des autres communautés, pourtant impliquées au plus haut point par la bonne gouvernance du pays, ne se sentent pas concernés, s'étant déjà approprié les morceaux les plus appétissants du gâteau. Et c'est là l'erreur.
Le Liban, même s'il ressemble avec ses dix-huit communautés à une pièce montée, ne saurait être comparé à un gâteau ou à une société commerciale, comme se plaisent à le décrire certains politiciens en s'adressant à « leurs partenaires dans ce pays ». En fait, c'est tout ce qu'il y a de plus péjoratif au monde.
Le Liban est une âme, un souffle, une appartenance, une passion, un espoir, une culture, un don de Dieu. Et, partie prenante à sa déchéance, les hommes que nous avons élus l'ont défiguré au fil du temps. Il faut cesser de le détruire et d'en dégrader l'image.
Le président de la République libanaise, au même titre que celui de la Chambre des députés, du Conseil des ministres, doit refléter ces visions de nombreux Libanais. Même si, constitutionnellement, chacun d'eux relève d'une communauté donnée, leurs actes engagent tous les habitants sur la surface de nos 10 452 kilomètres carrés.
L'élection à ces postes prestigieux ne saurait être une affaire de gros bras, de raison du plus fort qui, au lieu d'être une solution, serait un insurmontable problème. Elle découle d'un consensus, plus assurément d'un subtil dosage, qui ferait la part belle à un visionnaire des temps modernes qui prendrait à bras le corps ce pays et le sortirait de la dèche où il s'enfonce encore plus chaque jour.
C'est là du moins mon intime conviction.
Georges TYAN
commentaires (4)
Sincère et très bel article de M. Tyan.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
11 h 24, le 27 février 2015