Les Libyens se battent entre eux, l'Occident se bat contre l'État islamique, Sissi se bat pour, entre autres raisons, sauver l'économie de l'Égypte et les fous d'Allah se battent pour quelques barils de pétrole (tout de même, 1,6 million de barils par jour jusqu'à une date récente).
Sur un tableau passablement confus, l'entrée en lice de l'aviation égyptienne, au lendemain de la décapitation de 21 coptes égyptiens, est venue, lundi à l'aube, jeter un éclairage nouveau qui montre à quel point se trompent certains stratèges qui, à l'instar du général iranien Ghassem Souleimani, prédisaient pas plus tard que jeudi dernier la fin prochaine de Daech, alors que c'est le contraire qui est en train de se produire. Cité par le <em >New York Times, un autre général, Vincent R. Stewart, directeur de la Defense Intelligence Agency américaine, a estimé en effet que l'État islamique « commence à s'internationaliser ». Délicat euphémisme s'agissant d'une pieuvre jihadiste qui déploie déjà ses tentacules en Afghanistan et en Algérie, après le Sinaï égyptien et maintenant la Libye.
D'abord cantonnée à Derna, dans l'est, l'organisation en est bien vite venue à contrôler ce qu'elle appelle des « wilayat », d'abord en déclenchant le 27 janvier une attaque meurtrière contre l'hôtel Corinthia qui a fait une dizaine de morts, puis contre des installations pétrolières dans la zone reliant la Cyrénaïque à la Tripolitaine. Avant cette irruption, n'existaient sur la scène locale que deux mouvements : « Fajr Libya » (l'aube de la Libye), comprenant des brigades de Misrata issues de la révolution de 2011 ainsi que des islamistes de toutes tendances ; et puis « Karama », la coalition de l'ancien général Khalifa Haftar composée de brigades originaires de Zinten et de Warshafana ainsi que d'anciens militaires fidèles à Mouammar Kadhafi. C'est en profitant des contradictions qui divisent ces deux tendances que l'EI est parvenue à se tailler une place, axant ses efforts sur la localité de Derna, attaquée hier par les avions de combat égyptiens et officiellement tenue par le « Majliss choura chabab al-islam », ou Conseil consultatif de la jeunesse islamique, qui ne devait pas tarder à faire allégeance au califat d'Abou Baqr al-Baghdadi.
Dans cette galère battue par les vents, qu'est venu faire le maréchal Abdel Fattah el-Sissi, tombeur de Mohammad Morsi et grand pourfendeur des Frères musulmans qu'il embastille par fournées entières ? L'image d'un pays stable, l'Égypte, à l'économie florissante et rayonnant sur l'ensemble du monde arabe, a été sérieusement écornée ces temps-ci en raison des coups de boutoir assénés à l'armée et la police par les tribus du désert. L'intervention aérienne de lundi tombe à point nommé alors qu'une conférence doit réunir le mois prochain à Charm el-Cheikh des investisseurs censés injecter des milliards de dollars propres à relancer une croissance qui s'essouffle depuis que les touristes ont choisi de tourner le dos à Guizeh et Louxor.
Il y a aussi le fait que le militantisme islamique en Libye a tôt fait de jeter des coups d'œil gourmands par-delà la frontière, en direction de la péninsule. D'où, en riposte, les pilonnages de lundi, déclenchés en accord avec l'aviation demeurée fidèle au général Haftar, qui ont pris pour cibles des camps d'entraînement et des dépôts d'armes relevant de Daech, causant d'importants dégâts et des pertes en vies humaines qui se chiffrent en plusieurs dizaines, selon un responsable de l'armée de l'air libyenne, le colonel Sakr al-Jarouchi.
La triste réalité est que, quatre ans après la chute de celui qu'Anouar Sadate surnommait « le fou de Tripoli », il n'y a dans l'ancien pays des Senoussi aucune entité politique cohérente, capable de prendre les rênes du pouvoir. L'autre réalité, tout aussi désolante, c'est que l'odeur du pétrole plane sur l'immense champ de mort qu'est aujourd'hui une Libye désormais coupée du monde. Les aéroports sont un amas de ruines, les ports sont désertés par les cargos, les terminaux d'al-Sidr et de Ras-Lannouf (300 000 barils exportés chaque jour) appartiennent à un passé lointain, et la plupart des ambassades ont mis la clé sous le paillasson. Les deux principaux objectifs des belligérants s'appellent la Banque centrale et les richesses pétrolières.
Nul ne se hasarde plus à parler de guerre civile tant cette notion paraît dépassée. Exsangue, la Libye en est à se chercher et chercher un nouveau guide. À condition qu'il ne rappelle en rien l'ancien...
Moyen Orient et Monde - Le point
Allah et le pétrole
OLJ / Par Christian Merville, le 17 février 2015 à 00h00
commentaires (4)
Cet allâh et du pétrole ? Qu'allâh yésstorre !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
09 h 18, le 18 février 2015