C'est d'un gant de velours que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'est armé hier pour riposter au discours prononcé samedi par le leader du courant du Futur, Saad Hariri, au cours de la dixième commémoration de l'assassinat de Rafic Hariri – un « incident douloureux », comme l'a qualifié le leader pro-iranien.
En fait, le duel entre les deux hommes dépasse largement le contexte libanais. Il faudrait, par pur esprit expérimental, mettre en vis-à-vis les deux allocutions pour se rendre compte à quel point les propos de Nasrallah constituent une réponse mimétique à ceux de Hariri. D'autant que les deux cérémonies étaient destinées à permettre à chacun des deux camps de saluer la mémoire de ses figures référentielles, totémiques : le « père fondateur » dont le sacrifice a donné naissance à la révolution du Cèdre, d'une part, la trilogie des « martyrs de la résistance », qui constitue le socle mythologique sur lequel repose aujourd'hui la communication politique du Hezbollah, d'autre part.
En fait, il n'y a que le cadre du meeting qui n'était pas mimétique. Ce n'est pas demain que l'on verra le Hezbollah inviter des jeunes de la banlieue sud ou des cantatrices à honorer la mémoire de Ragheb Harb, de Abbas Moussawi et de Imad Moghniyé sur des airs de jazz et de rap, comme l'a fait le courant du Futur samedi pour se souvenir de son mort. À ce niveau, les possibilités de mimétisme paraissent bloquées par un certain monolithisme du Hezbollah dû à son caractère intégriste, tandis que le courant du Futur cherche précisément, plus que jamais, à l'heure actuelle, à montrer qu'il incarne un modèle différent, une alternative dynamique, ouverte, moderne, civile, à la montée en flèche de l'extrémisme.
Même s'il n'a pas répondu d'une manière frontale au chef du courant du Futur, pour préserver ce gel des hostilités entre les deux camps qui se traduit sur le terrain par le dialogue bilatéral, le leader du Hezbollah a néanmoins reproduit le schème haririen, en abordant le dossier libanais à l'aune des développements régionaux. Dans ce cadre, une fois de plus, le discours des deux hommes est le reflet de deux visions radicalement opposées du Liban, dans le cadre d'un bras de fer arabo-iranien, et plus particulièrement saoudo-iranien. Avec une nuance : les deux hommes se retrouvent plus ou moins, pour l'heure, et certainement pas pour les mêmes raisons, sur la nécessité de ne pas faire du pays du Cèdre le terrain privilégié de leur gigantomachie. Lorsque la Syrie, l'Irak, Bahreïn ou le Yémen deviennent les principales scènes de la confrontation titanesque, le Liban, lui, perd de son importance – cela va de soi.
Certes, il n'y a pas lieu ici de répondre point par point à la rhétorique du leader du Hezbollah. Dans la vision du pays, nous en sommes encore, et pour longtemps encore semble-t-il, écartelés grosso modo entre deux modèles : « Hanoi ou Hong Kong », comme l'avait si bien résumé Walid Joumblatt au début des années 2000. Sauf que « Hong Kong », le modèle libéral et de vouloir-être pacifique, est depuis si longtemps sous les coups de boutoir de « Hanoi », d'une culture spartiate et martiale, qu'il en est terriblement essoufflé, exsangue, presque moribond.
L'on ne s'attardera pas longtemps sur la double stratégie de séduction utilisée par Hassan Nasrallah lorsqu'il prétend, comme Bachar el-Assad, qu'il est le verrou, le « Charles Martel », de la confrontation avec Daech, autant vis-à-vis de l'Europe que de l'Arabie saoudite – puisque ce groupe terroriste a un œil sur Rome et l'autre sur La Mecque, a-t-il souligné. C'est fanfaronner en essayant de faire oublier au monde qu'il est lui-même (avec Téhéran et Assad) une partie (majeure) du problème, et non de la solution, et qu'il ne se bat pas contre l'extrémisme pour l'homme en général ou le citoyen de son pays, mais strictement au service de l'expansion du projet iranien dans la région.
En fait, ce qu'il faudra retenir du « duel » verbal entre Saad Hariri et Hassan Nasrallah, c'est que les repères et les fondements des discours ne sont pas les mêmes. Quand bien même il a utilisé le référent saoudien dans son allocution, Saad Hariri reste attaché au modèle stato-national, au cadre libanais, et brandit ouvertement le principe de neutralité du Liban à l'égard des conflits régionaux. Le secrétaire général du Hezbollah, lui, a fondé hier toute sa rhétorique sur une phrase qui montre combien sa vision politique n'a cure des enjeux nationaux. « Qui contrôle la région contrôle le Liban, sinon le monde », a-t-il dit, en substance. Partant, les référents politiques, le cadre de la confrontation est différent : les frontières n'opèrent plus du tout, le périmètre de souveraineté est totalement occulté.
Dans ce sens, en plus de sa participation, par la violence armée, à la montée aux extrêmes, au diapason avec Daech et consorts, le Hezbollah fait le jeu des groupes islamistes sunnites lorsque son chef dit : « Il faut considérer que toute la région est devenue un seul ensemble. » La consécration de la logique de l'espace et l'annihilation de tout ancrage territorial sont de nature, c'est entendu, à renforcer « l'internationale » terroriste aux dépens de toute possibilité de rationalisation et de paix.
Loin du spectacle de samedi, au Biel, qui a probablement suscité en lui des envies de fatwa à tout rompre, Abou Bakr el-Baghdadi a dû, en revanche, bien se régaler hier.
Liban - Analyse
Mimétismes et faux-semblants
OLJ / Par Michel HAJJI GEORGIOU, le 17 février 2015 à 00h00
commentaires (5)
CORRECTION ! MERCI : "Bon nombre d'observateurs, musulmans ou non mais Sains, l'ont remarqué...."
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
08 h 03, le 18 février 2015