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Liban - Lecture

« Les deux imams » d’Amine Issa : plaidoyer pour un islam dynamique

« Le Coran contre l'obscurantisme », un livre qui vient à son heure.

Amine Issa : « Je me suis familiarisé avec le Coran et la pensée musulmane au fil de mes voyages, de mes rencontres et de mes lectures. »

Sous la forme d'un dialogue entre deux imams à Paris, le romancier et essayiste Amine Issa met en présence, dans son récent ouvrage Les deux imams – le Coran contre l'obscurantisme (*), deux interprétations opposées de la religion musulmane. La première éclairée par la raison et dominée par le Dieu miséricordieux de la Fatiha, l'autre obscurantiste à la manière de celle que nous voyons à l'œuvre à Raqqa où des hommes sans défense sont tués à bout portant, crucifiés, égorgés, jetés du toit des immeubles ou brûlés vifs. Le sous-titre dit où se situe Amine Issa, interprète fidèle d'un Coran « inspiré et non dicté ».


Le livre est prenant et relativement court. C'est l'histoire d'un imam qui « rentre au pays ». Il est seul à Paris pour encore deux ou trois jours et reçoit, venant tout droit d'Orly, le nouvel imam qui prendra en charge la mosquée. « Il est cinq heures du matin, commence-t-il. Je suis réveillé depuis bientôt une heure. Ce n'est pas tout à fait vrai : je n'ai presque pas dormi. Aujourd'hui, je dois accueillir cheikh Rachid qui va me remplacer à la tête de la communauté de B... Les rapports que j'ai reçus de lui ne sont guère encourageants. C'est un salafiste, formé à l'école wahhabite. C'est vrai qu'il a étudié à al-Azhar, mais ensuite il est rentré au pays et a côtoyé des collègues radicaux. J'ai même écouté l'un de ses prêches. Cela m'a donné froid dans le dos. »
Un beau prologue. On le doit au talent de conteur d'Amine Issa, auteur d'un roman, L'Imposteur. C'est au point que l'on regrette de n'avoir pas plus de détails sur le prétexte imaginé par l'auteur pour mettre en contraste les deux interprétations de l'islam dont il est question.

 

(Lire aussi: « Plutôt que de s’adapter au monde, certaines autorités musulmanes veulent imposer leur vision »)

 

Une polémique planétaire
L'ouvrage rend compte d'une polémique qui s'impose désormais à l'échelle planétaire. C'est à sa manière une initiation à la lecture du Coran. Il passe en revue, sourates à l'appui, divers thèmes qui se trouvent au cœur de notre actualité : la relation à l'autre, le pardon, la diversité humaine, les femmes, les règles de vie et les interdits alimentaires, les châtiments corporels, le jeûne, la justice, la tolérance, le commandement du bien, le jihad, le polythéisme, etc.
« L'idée, assure Amine Issa, n'était pas de faire un nouveau livre savant, mais de donner envie de lire le Coran qui est, et je commence par là, un livre dynamique, progressif, non figé. »
D'où l'auteur des Deux imams tire-t-il son savoir ? « Le sujet m'intéresse depuis plus de trente ans, répond-il. Je me suis familiarisé avec le Coran et la pensée musulmane au fil de mes voyages, de mes rencontres et de mes lectures. » En ce moment, il donne une série de présentations sur « Le Coran aux défis du XXIe siècle » à l'Université pour tous de l'USJ.
Dans un souci louable de prudence et pour mettre tous les atouts de son côté, Amine Issa a consulté, avant de publier son petit ouvrage, une haute autorité musulmane à Beyrouth, cheikh Mohammad Nokkari, juge chérié, professeur à l'USJ. Cette discrète « imprimatur » le met à l'abri de ceux qui pourraient considérer son livre comme contraire à la doctrine musulmane. Du reste, il ne cache pas ses idées dans une niche linguistique réservée au petit nombre, puisqu'il existe une version arabe de l'ouvrage. « Certes, reconnaît son auteur, il peut faire des mécontents, mais il ne comporte aucun écart doctrinaire et aucune insulte à l'islam. »

 

(Lire aussi : Les dessins, la critique, la moquerie et l'islam)

 

La lettre et l'esprit
En quelques mots, disons que l'ouvrage se réclame d'un islam éclairé qui oppose la lettre du commandement (couper la main du voleur, par exemple) à son esprit (interdire le vol). À cette fin, il replace les interdits et commandements du Coran dans le contexte de la société où le Prophète est apparu et en fait ressortir le rôle pédagogique, dans une société primitive (la péninsule Arabique du Ve siècle) où l'on enterrait encore vivantes les filles à leur naissance et où la loi de la tribu primait dans tous les domaines, empêchant tout regroupement humain plus large (la oumma musulmane) de se former.
Se prévalant de la distinction entre lettre et esprit, l'islam éclairé de nos jours, nous dit Amine Issa, s'autorise à nouveau à « réinterpréter » le Coran et le « fik'h » (la jurisprudence), après de longs siècles où, après les codifications du IXe siècle, toutes les nouvelles possibilités d'interprétation avaient été bannies. Ceci avait fini par figer la pensée religieuse musulmane dans un moule où « quand la raison s'oppose au texte, il faut écouter le texte » (p 52).
Cette affirmation est aujourd'hui dépassée. En harmonie avec la déclaration d'al-Azhar de 2012, aujourd'hui, « lorsqu'il y a contradiction entre le texte et la raison, c'est la raison qui prévaut et le texte qui doit être interprété ».
L'attachement servile à la lettre conduit le cheikh issu de l'école salafiste à des situations cocasses. Ainsi, il s'indigne que sa mosquée ne soit pas éclairée de nuit par souci d'économie, pendant que son confrère s'acharne à lui expliquer que « ce n'est pas l'électricité et des ampoules qui guideront les fidèles vers la maison de Dieu, mais leurs cœurs qui voient tout dans les ténèbres ».
À un autre moment, son alter ego replace l'interdit alimentaire touchant la viande de porc dans son contexte d'hygiène alimentaire et la balaie désormais comme non pertinente.


Pour amortir l'effet des éléments de violence que le texte coranique offre, Amine Issa en propose une lecture à la fois synthétique et historique, une lecture qui interdit de détacher les sourates de leur contexte historique, comme de l'ensemble du corpus, pour justifier les violences d'aujourd'hui. Ce faisant, on n'en retiendrait que ce que leur esprit propose à la raison. Et l'auteur de rappeler que « pardon et miséricorde sont les mots qui reviennent le plus souvent dans le Coran ».
Dans le concert de la grande peur de l'islam qui a saisi le monde occidental, ces mots peuvent sonner faux. On a l'impression que les vertus du Coran sont exagérées. Pourtant, pour Amine Issa, malgré tout ce que l'on voit, la conjonction entre foi musulmane et violence est circonstancielle et non essentielle. C'est un choix et non une obligation. Et l'auteur de rappeler qu'au XIIe siècle, saint Bernard a aussi mis en exergue un verset de l'Évangile de saint Jean pour prôner les croisades...

 

Des versions bilingues
À ceux que la lecture de son ouvrage donnera envie de connaître le Coran, Amine Issa suggère la traduction de Denise Masson, dans une édition bilingue. Ceci, assure-t-il, facilitera leur compréhension de sourates où, parfois, plusieurs thèmes sont abordés et où, sans référence aux « raisons de la révélation » (« asbab al-nouzoul »), le lecteur risque de se perdre. Il fait lui-même usage de cette traduction, ainsi que de celles de Jacques Berque et Régis Blachère.
Une dernière remarque concernant la distribution du livre. En raison de son succès même ou du nombre réduit des exemplaires disponibles, un livre peut disparaître momentanément des tables, la librairie tardant à se réapprovisionner. Ceci est l'un des aléas de notre système de distribution. Il est donc plus prudent de le commander, même s'il n'est pas proposé à la vente, plutôt que d'en laisser l'achat à une visite ultérieure car on pourrait tout simplement oublier de le faire ou y renoncer au profit d'autres nouveautés. Ce serait dommage.

(*) éditions an-Nahar.

 

 

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commentaires (1)

Il y aura tout de suite des cheikhs obtus et contre toute interprétation du Coran, en dehors de celle à la lettre, qui réclameront l'interdiction de ce livre. On va le voir dans les prochains jours.

Halim Abou Chacra

09 h 20, le 06 février 2015

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Commentaires (1)

  • Il y aura tout de suite des cheikhs obtus et contre toute interprétation du Coran, en dehors de celle à la lettre, qui réclameront l'interdiction de ce livre. On va le voir dans les prochains jours.

    Halim Abou Chacra

    09 h 20, le 06 février 2015

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