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Moyen Orient et Monde - Paroles de Français musulmans

Kamel Haddar, Français d’origine maghrébine : « Nous sommes français comme 60 millions de Français »

PDG et propriétaire d'Algérie-Focus.com, un site algérien d'information en ligne, Kamel Haddar, franco-algérien, explique ses questionnements, sa peur et sa colère, après les attentats perpétrés en France la semaine dernière.

Kamel Haddar, PDG d’Algérie-Focus.

C'est dans un taxi roulant sur le périphérique parisien que Kamel Haddar a appris que deux hommes armés et cagoulés venaient de décimer, en criant « Allah Akbar », la rédaction de Charlie Hebdo mercredi dernier. Quelques heures plus tôt, il était encore à Alger, dans la rédaction d'Algérie-Focus, un site d'information en ligne que ce jeune Franco-Algérien de 33 ans a racheté en 2012 et dont il est le PDG.
« Il s'est passé un long moment avant de réaliser les enjeux et les conséquences de cette tragédie, je refusais d'y croire », explique Kamel Haddar à L'Orient-Le Jour. « D'abord, j'ai été choqué de constater qu'en France, les journalistes peuvent mourir en faisant un métier primordial pour la société. C'est inacceptable. Puis je me suis posé des questions sur les caricatures, je me suis demandé si ces caricatures étaient offensantes ou représentaient un préjudice pour les musulmans. La loi de la République les considère comme offensantes, mais pas préjudiciables, certains musulmans les considèrent comme préjudiciables et offensantes. Il faut donc respecter la loi. Pour information, ce matin le pape François a déclaré qu'"on ne peut pas insulter la foi des autres". Et puis finalement, je me suis dit que les musulmans allaient payer cher l'action de ces terroristes et j'étais très triste et en colère. »

 

« De nouveau, nous sommes des Arabes, des musulmans »
Kamel Haddar est né en France, à Joué-lès-Tours, une ville d'Indre-et-Loire où un jeune Français musulman d'origine burundaise a été tué par la police le 20 décembre dernier. Deux versions de l'affaire circulent. Selon la police, Bertrand Nzohabonayo a été tué après avoir pénétré dans le commissariat de la ville et attaqué au couteau trois policiers. Selon des témoins et des proches de Nzohabonayo, il aurait pu être amené de force dans les locaux de la police et l'interpellation aurait mal tourné.
Jusqu'à 20 ans, Kamel Haddar a vécu dans cette ville de la banlieue sud de Tours. Entre 20 et 30 ans, il a étudié dans une grande école (ESCP Europe) et travaillé pour des cabinets de conseil américains à Londres puis à Paris. Depuis trois ans, il est à Alger, pour Algérie-Focus. Bosseur et ambitieux, Kamel Haddar est aussi, aujourd'hui, un jeune homme en colère.
« Toutes ces années, on s'est fait petit, on a bossé comme des malades, moi et plein d'autres, c'est-à-dire cette majorité de Français d'origine maghrébine qui ne cherchent pas les problèmes mais qui apportent de la richesse à la France. Là, trois fous furieux tuent 17 personnes et de nouveau, nous sommes des Arabes, des musulmans », lâche M. Haddar qui peine à cacher son amertume.


L'histoire de la famille de Kamel avec la France remonte à ses grands-parents. « Nous avons eu de la chance. Mes grands-parents, comme la grande majorité des immigrés, sont issus d'un milieu pauvre et peu éduqué. Ils ont fui la misère laissée par le colonialisme, ont compris très tôt que l'éducation était la clé de l'intégration dans ce pays qu'ils avaient combattu. Imaginez la violence de la situation. Il faut comprendre que la majorité des immigrés étaient analphabètes et ont laissé leurs enfants, nés en France, s'éduquer parfois seuls parce que la priorité était de survivre, de nourrir sa famille. C'est important de comprendre cela, des générations entières d'enfants d'immigrés se sont éduquées seules sans modèle de réussite, sans repère. Ce que nous vivons est la conséquence de 30 ans d'inaction politique, notamment celle de la gauche qui n'a jamais voulu avouer et donc résoudre les problèmes des cités et de l'Islam de France. Seul Sarkozy a eu le courage de le faire mais l'a très mal traité : intégration oui, assimilation jamais », souligne le jeune homme.


Son éducation, il la qualifie de « dure ». « Je devais être le meilleur. Mes parents disaient "Tu es un Arabe, tu dois bosser plus que les autres". Ils ont tout investi dans leurs enfants. Nous sommes tous allés dans des écoles privées, puis de grandes écoles. »
L'école, un établissement privé catholique, ce n'était pas simple. « J'ai subi le racisme primaire jusqu'à ce que l'excellence scolaire puis professionnelle efface naturellement nos différences. » Quand il était encore enfant, et que sa famille quitte la cité pour un quartier « de Français de souche », Kamel, « le sale Arabe », n'est pas invité à jouer au foot avec les autres enfants.

 

(Lire aussi : Les cinq grands défis auxquels la France doit désormais faire face)

 

« Je suis français moi aussi »
Kamel est en colère contre cette discrimination, qu'il a trop souvent subie sans la comprendre véritablement, « Je suis français moi aussi », et un sentiment diffus de honte qu'elle a engendré en lui. « Quand la majorité pense qu'être arabe, c'est mal, on finit par le croire, c'est difficile de dire ça mais c'est la vérité. Je ne suis pas un cas isolé. C'est lorsque j'ai commencé à grimper les échelons de l'échelle sociale, que j'ai commencé à mettre en avant mes origines. Mais la gêne d'être assimilé à une minorité visible revient, parfois. Cette minorité qui fait parler d'elle, et qui est largement reprise par les médias pour nourrir un sentiment d'insécurité, n'est pas liée à la religion mais bel et bien à une situation socio-économique catastrophique. Vous ne sombrez pas dans les extrêmes quand vous êtes heureux. Prenez les exemples des deux frères Kouachi, ils ont un parcours familial et scolaire chaotique. La République n'a pas su les sauver. À l'impossible nul n'est tenu. »
Le PDG d'Algérie Focus est aussi en colère contre la majorité silencieuse au sein de la communauté française d'origine maghrébine. « Je déteste la victimisation. Quand on est éduqué, on a une responsabilité, car on comprend comment fonctionne le monde. On doit écrire, parler, se manifester. Aujourd'hui, les Français d'origine maghrébine qui réussissent sont trop silencieux. Certains ont peur des répercussions dans leur travail. Pendant ce temps les médias invitent très souvent des Franco-Maghrébins pleins de clichés ! Quid de la responsabilité des médias quand on favorise les clichés pour l'audimat. »

 

« Comment puis-je me solidariser avec les barbares ? »
Kamel est en colère aussi contre la multiplication des appels, depuis les attentats de la semaine dernière, aux musulmans pour qu'ils expriment leur désolidarisation d'avec ces événements. « Mais comment puis-je me solidariser avec les barbares ? Et puis cette habitude de nous considérer comme une communauté. Nous sommes français comme 60 millions de Français. La communauté française d'origine maghrébine n'existe pas ! Nous ne sommes pas représentés comme la communauté juive l'est, avec le Crif, par exemple. Nous sommes français avant tout. D'ailleurs, qui vous dit que tous les Franco-Maghrébins sont croyants ou pratiquants? » s'insurge le jeune homme.


Un point de vue qu'il illustre d'une anecdote. « Récemment, je disais à un ami français d'origine maghrébine que nous devrions nous exprimer, nous avancer dans les médias. Il m'a répondu "Mais pourquoi moi, je ne comprends pas, je suis français". Il y a une distorsion aujourd'hui entre ce que nous pensons être et ce que les autres pensent que nous sommes. Donc il faut arrêter de parler de communauté, ou de nous envisager comme une communauté. En ce sens, c'est une erreur grossière de dire que l'intégration n'a pas fonctionné en France. Il n'y a pas de communauté, l'intégration a très bien fonctionné ! Nous sommes tous français et il va falloir que tout le monde l'intègre une fois pour toutes car cela ne risque pas de changer. Les Franco-Maghrébins sont français et sont fiers de l'être. Ce pays nous a donné les moyens de nous éduquer, d'accéder à des postes que nos parents n'auraient jamais imaginés. Même s'il reste des plafonds de verre, cela évolue dans le bon sens », martèle-t-il.

 

(Lire aussi : "Le vrai musulman, c'est celui qui sous l'uniforme cherchait à protéger ses concitoyens")

 

« Nous avons une responsabilité : celle d'éduquer nos enfants »
C'est à cette communauté que l'ex-Premier ministre et maire UMP de Bordeaux Alain Juppé s'est adressé mercredi, quand il a appelé les musulmans de France à « prendre leurs responsabilités » et à s'affirmer comme citoyens en s'exprimant « fortement » sur les valeurs fondamentales de la République, comme la laïcité ou l'égalité hommes-femmes.


Des propos qui irritent Kamel Haddar au plus haut point. « À M. Juppé, j'ai envie de dire que bien sûr, nous avons une responsabilité : celle d'éduquer nos enfants. Nous devons aussi être exigeants, faire notre autocritique. Mais moi, je ne porte pas la responsabilité des barbares qui ont tué des êtres humains. »
Et de poursuivre : « Cela dit, Juppé veut parler de responsabilité ? Le jour où les pays occidentaux arrêteront d'entretenir des liens avec l'Arabie saoudite ou le Qatar, ils auront une crédibilité à mes yeux. Qui vend des armes à Daech (acronyme arabe du groupe État islamique, NDLR) ? Qui a financé le terrorisme au Nigeria, au Moyen-Orient ? Les terroristes se nourrissent au sein des wahhabites. Que les pays occidentaux en tirent les conséquences. Elle est là aussi, la responsabilité à mon sens. »


Plus généralement, Alain Juppé a estimé que l'islam devait réfléchir à sa modernisation, « faire son "aggiornamento" », tout comme l'Église catholique l'a fait par le passé.
« Réformer l'islam ? Oui, je suis d'accord, tout musulman éduqué ne sombre pas dans le terrorisme. Et oui, nos intellectuels doivent écrire, partager, challenger la religion du XXIe siècle comme Averroès l'avait fait en son temps », poursuit Kamel Haddar, qui ajoute : « Moi je lui demande de protéger la République. 15 % de la population française est musulmane, la République ne peut l'ignorer. Il faut donc traiter de la même manière tous les Français quelle que soit leur confession. Pas de traitement à géométrie variable. En ce qui concerne celles et ceux qui souhaitent appliquer la religion différemment : ceux qui ne veulent pas que leur femme soit auscultée par un médecin homme par exemple, ceux qui instrumentalisent la religion, je les invite à s'installer à Riyad en Arabie saoudite, nous verrons combien de temps ils tiendront. Je suis pour l'intransigeance avec les extrêmes. Il faut les condamner, ils sont dangereux pour tous les Français, quelle que soit leur confession. »

 

(Lire aussi : Questions sur l'organisation d'un "islam de France" déboussolé par la radicalisation)

 

« J'ai peur qu'il vive ce que j'ai vécu »
Aujourd'hui, Kamel a décidé d'investir dans les médias et dans l'éducation en Algérie, son pays d'origine, où il se sent « utile ».
« La France vit une période difficile économiquement. 30 % des diplômés des grandes écoles partent à l'étranger. Je suis fondateur de l'association Atlas, qui vise à promouvoir les talents franco-algériens ayant des parcours d'excellence. Atlas compte 400 membres, 50 % sont à l'étranger », dit-il. En France, poursuit-il, « sur fond de crise et d'islamophobie, certains préfèrent des pays où ils sont jugés pour leurs compétences. Même à distance, ils sont utiles à la France, ils font le pont économique entre la France et le reste du monde ».
Le jeune homme a aussi peur pour son petit frère. « Il a 18 ans, il n'a pas vécu le racisme comme moi je l'ai vécu petit. Il ne comprend pas quand je lui raconte mon expérience de l'école. Et là encore, c'est la preuve que l'intégration a fonctionné, les choses évoluent. Mais aujourd'hui, j'ai peur qu'il vive ce que j'ai vécu. »


Pour le PDG d'Algérie-Focus, la solution est simple finalement : « Éduquons nos enfants, impliquons-nous en politique, investissons les médias, devenons une puissance financière notamment pour montrer à tous les Français que nous sommes une chance pour la France. »

 

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C'est dans un taxi roulant sur le périphérique parisien que Kamel Haddar a appris que deux hommes armés et cagoulés venaient de décimer, en criant « Allah Akbar », la rédaction de Charlie Hebdo mercredi dernier. Quelques heures plus tôt, il était encore à Alger, dans la rédaction d'Algérie-Focus, un site d'information en ligne que ce jeune Franco-Algérien de 33 ans a racheté en...

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