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Culture - Liban

La mort chez Zoukak, des âmes qui n’ont plus de causes...

Plus que jamais la mort est omniprésente. Tel un chœur de tragédie antique, la troupe Zoukak appelle à la parole et au geste pour refléter le contexte barbare et délirant de la Cité du monde et, plus particulièrement, du monde arabe. Moment solennel, grave, parodique, libératoire.

Le monde sous diktat de tyrannie

Dans la petite salle de poche du Monnot, recueillement auprès de deux comédiennes (Maya Zbib et Chrystèle Khodr) qui invitent à un dîner de... mort. Table somptueusement dressée et verre de vin pour assister aux derniers instants de la petite Soudanaise affamée, dévorée par un vautour, tandis que Kevin Carter (prix Pulitzer) la photographiait. Regard des vivants repus sur les laissés-
pour-compte qui s'étripent avec la grande Faucheuse.
Avec des mots simples, une gestuelle sans hystérie ni emphase, la mort, sournoise, obsessionnelle, violente ou douce, est évoquée avec son cortège de souffrances et de décomposition. Avec ou sans sépultures. C'est la performance de vingt minutes d'Al-mawt Yaati min al-3ouyoun (La mort vient des yeux), sobrement, on serait tenté de dire élégamment, mise en scène par Omar Abi Azar et Maya Zbib. Invitation non pour dépecer un poulet rôti, fourchette et couteau à la main, mais pour que les vivants ne côtoient plus la mort des autres avec autant d'indécente indifférence et légèreté.

 

(Pour mémoire: L'apologie du mouvement)

 

Mise en scène féroce et dépouillée
Dans l'absolue filiation de l'esprit de cette pièce, comme un «Requiem» dédié au sang versé, avec index levé au ciel comme cri de ralliement, arrive quelques moments plus tard Howa Alazi Raa (Lui qui a vu), aussi mise en scène par Omar Abi Azar et Maya Zbib, dans la même veine d'inspiration féroce et dépouillée.
Sur les planches d'une scène nue, avec pour fond de décor une immense toile d'un grand arbre de la vie. Au premier plan de ce théâtre-oratorio, cinq acteurs vêtus de noir (Lamia Abi-Azar, Hashem Adnan, Chrystèle Khodr, Junaid Sarieddeen et Maya Zbib), graves et souriants à la fois. Pour une nomenclature de la mort, en ton haut et clair comme une litanie scandée, un chant funèbre déployé: noyade, incendie, explosion de voiture piégée, cancer, canonnade, misère, lapidation pour adultère, balles perdues, balles de franc-tireur, balles tirées à bout portant... Comme le résume si bien ce proverbe oriental: «Les causes des décès sont innombrables, mais la mort reste une!»


«Mon ami a été égorgé hier. Il est mort en héros, en martyr. Il est mort jeune. Qu'il soit béni.» C'est en ces termes, dans un arabe guttural, rocailleux, riche de sonorités ambrées et nourries des luisances des sabres brandis, que sont proférés les premiers vocables ramenant en pleine lumière des images dérangeantes. Des images qui hantent actuellement le monde et notamment le monde arabe soumis à des guerres fratricides hors de toute raison et tout raisonnement.
Et dans un échafaudage empruntant aussi bien à l'épopée de Gilgamesh (richesse culturelle arabe où Bagdad aujourd'hui est tristement point d'effroi!), qu'au dire et verbe de penseurs, poètes et écrivains (Mahmoud Darwich, Artaud, Duras...), s'imbriquent les axes d'une réflexion concernant les traversées des vies humaines confrontant amitié, haine, notion et besoin d'éternité. Le paradis en enfer ou l'enfer au paradis? Tout cela en ce laps de vie qui nous est alloué.


Réseau complexe et contradictoire des comportements humains où, après tout, tout comme au théâtre, tout n'est que jeu et représentation. Fil ténu qui lie la vie à la mort, par-delà cette image récurrente et horrifiante de têtes à décapiter. Dénonciation de la brutalité et de la folie humaine où le ciel a des allures d'embrasement infernal.
Les morts se sont groupés pour regarder les vivants s'embrouiller dans leurs dérisoires démêlés et errances. Une certaine sagesse anime ces morts ailés, angéliquement ramassés pour observer ce qui ne les touche plus. Des âmes qui se sont retrouvées, heureuses et lumineuses, débarrassées de toute cause.
Dans ces limbes où la vie et la mort ont des zones imprécises et un protocole comportemental à reformuler, le théâtre de la troupe Zoukak touche à l'ultime séparation de la chair et de l'esprit. Un théâtre agitateur des consciences, servi par des acteurs rompus à la tâche et, de toute évidence, qui vouent un respect immense à leur métier!

*Les deux pièces se donnent au Monnot jusqu'au 8 janvier.

 

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commentaires (1)

Très actuel. On est en effet dans l'ère du califat de la mort.

Halim Abou Chacra

05 h 01, le 06 janvier 2015

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Commentaires (1)

  • Très actuel. On est en effet dans l'ère du califat de la mort.

    Halim Abou Chacra

    05 h 01, le 06 janvier 2015

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