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Lifestyle - Hotte d’or

Des crackers tartinés d’autruche

Tout le monde était pétrifié. Tellement soulagé, mais pétrifié d'horreur*. Pour la même raison : on allait enfin vivre ce pour quoi l'on était tous là. L'anaconda de huit mètres, ce délicieux Trésor, va finalement m'attaquer et me bouffer. Si j'avais su qu'il détestait à ce point les chansons de Feyrouz, mon amie depuis les années 30, nous n'aurions pas attendu, le cœur battant, toutes ces heures durant. J'ai vaguement entendu des Ne t'inquiète pas Margot, nous sommes là et autres Vas-y, tu es une championne. Je voyais Trésor, 24 images par seconde, fondre sur moi. Comme Wilou, Waël Bou Faour, sur un silo à grain infesté de rats du port de Beyrouth. Le serpent était sur ma tête, je me sentais Oreste, dans l'Andromaque de Racine. Comme une automate, j'ai enfilé ma cagoule intégrale en soie sauvage Jean-Paul Gaultier, pris de mon maxi Birkin d'Hermes une minibonbonne à oxygène (30 minutes d'autonomie) customisée par mes divins babyboys David & Nicolas, prié saints Paco (Rabane) et Jimmy (Choo) pour que l'overall en titane et les cuissardes en python me protègent des sucs gastriques de Trésor, et hop ! Ce monstre m'avait avalée. J'étais la nouvelle Jonas. Moi, Marguerite K., descendante directe des princes de Valachie, j'étais désormais dans le ventre de l'animal. Du reptile. Sous les yeux exorbités de Christiane Amanpour de CNN et de David Pujadas de France2. C'est bizarre : la sensation était douce et j'arrivais même à respirer normalement. Mais tout était tellement noir. Depuis mon numéro quasiment nue en bananes avec Joséphine Baker et Marlene Dietrich dans la chambre de Luis Bunuel sous le regard de Jean Cocteau, je n'avais rien vécu d'aussi fou. Même quand Houssam, tout droit venu de son match de football, a fêté ses 20 ans dégoulinant de sueur dans mes entrailles. J'étais dans les intestins de Trésor. Je me suis forcée à rester éveillée. J'ai compté et recompté mes 1 477 paires de chaussures, dont la dernière, une masterpiece, qu'Eugène Riconneaus m'a faite sur mesure. J'ai récité pour me rebooster des pans entiers de Glamorama de mon compagnon de débauche Bret Easton Ellis : Il y a des plateaux de minuscules crackers tartinés d'autruche, de l'opossum sur des brochettes en bambou, des têtes de crevette enroulées dans de la vigne, d'énormes assiettes de tentacules disposées sur des bouquets de persil, mais je ne peux rien avaler et je suis à la recherche d'un sofa en cuir sur lequel m'effondrer parce que je suis incapable de dire si les gens ne s'intéressent vraiment à rien comme ils en ont l'air ou s'ils s'ennuient à mort tout simplement. J'entends de drôles de bruits. On dirait que Trésor déglutit, ou alors, on s'active au dehors. Je décide de chanter. Hervé Vilard. Le chanteur préféré de Marguerite Duras. Viens dans les étoiles / Juste après le grand trou noir / Y a les étoiles / On s'en fout d'être éternels / Tout va si mal / Ça ira mieux dans le ciel/ Viens dans les étoiles/ Entre Mars et Jupiter / Y a les étoiles... C'est horrible, on dirait que Trésor déteste Vilard. Il fait un énorme bond, et moi avec, et semble s'écrouler. Je récite une vague prière et promets, si je m'en sors, de donner tous mes tailleurs Chanel depuis que Gabrielle a commencé à coudre aux Restos du cœur. Je commence à voir de la lumière. Est-ce Dieu ? Non. C'est le sourire Fluocaril de Thiago, 20 ans, qui me tend une coupe de Veuve Clicquot. Les herpétologistes ont anesthésié le serpent pour l'ouvrir. Tout le monde applaudit. On a gagné. J'ai failli mourir, j'ai failli manquer à l'humanité et aux jeunes garçons musclés, mais je suis vivante. Et Trésor ne mourra pas. L'Amazonie me sourit. Je suis une héroïne.

 

*Relire la Hotte d'or précédente, « Mais bouffe-moi, salaud ! ».

Tout le monde était pétrifié. Tellement soulagé, mais pétrifié d'horreur*. Pour la même raison : on allait enfin vivre ce pour quoi l'on était tous là. L'anaconda de huit mètres, ce délicieux Trésor, va finalement m'attaquer et me bouffer. Si j'avais su qu'il détestait à ce point les chansons de Feyrouz, mon amie depuis les années 30, nous n'aurions pas attendu, le cœur battant,...
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