Vladimir Poutine est un homme de sang-froid. Capable de faire graviter autour de sa seule personne des dizaines de problématiques mondiales impliquant des données évolutives et complexes. Comme s'il adorait se positionner comme le centre du monde, comme l'objet de tous les regards. Comme s'il sautait sur une nouvelle occasion de profiter de ces moments de vives tensions et de profondes incertitudes pour prouver, à son peuple avant tout, au monde entier par la suite, sa détermination et sa maîtrise des événements.
Une nouvelle fois, hier, au cours de sa conférence de presse rituelle de fin d'année, devant un millier de journalistes russes et étrangers, l'homme fort du Kremlin se montrait flegmatique, quasiment imperturbable.
Malgré l'Ukraine, la Syrie, les critiques occidentales, les sanctions européennes, le rapprochement USA-Cuba, et surtout malgré la chute vertigineuse du rouble, M. Poutine récitait calmement sa partition, en parsemant, de façon calculée, un zest d'antioccidentalisme par-ci, un zest de chauvinisme par-là, le tout accompagné par quelques anecdotes bien placées qui n'ont pas manqué de séduire son public. Une scène d'autant plus surréaliste que, loin d'avancer des propositions concrètes visant à relancer l'économie russe et à la rendre moins dépendante de son secteur énergétique, l'ancien agent du KGB s'est contenté de vagues discours, promettant une sortie de crise d'ici à deux ans, et donnant l'impression que de toute façon, il ne pouvait en être autrement. En fait, Vladimir Poutine apparaît tellement convaincu de sa destinée et de celle de son pays que cela en devient presque fascinant.
Hier, il savait que ses propos seraient repris et commentés en détail par l'ensemble de la presse mondiale, mais il semble bien que pour lui l'important était ailleurs. Son discours, divisé entre un volet économique et un volet politique, avait probablement deux grands objectifs. Un : rassurer sa population après les journées noires de lundi et de mardi. Deux : défendre une nouvelle fois sa vision des relations internationales.
(Commentaire : Les principes d'attraction de Poutine)
La force du peuple
Au contraire de ses « partenaires occidentaux », comme il les appelle, le président russe peut s'appuyer sur une popularité difficilement contestable, mais aussi difficilement contestée, à l'intérieur de ses frontières. Afin de l'affaiblir et de créer un sentiment de contestation populaire, les États-Unis et l'Europe ont misé sur le poids des sanctions, cherchant certainement à rejouer l'épisode de l'implosion soviétique. Et, coïncidence politique diront les plus candides, il a fallu que le durcissement de ces sanctions intervienne au même moment que la chute des prix du pétrole, dont l'économie russe dépend très largement. Résultat logique et immédiat, le rouble perd une partie de sa valeur, réduisant ainsi le pouvoir d'achat des citoyens russes et mettant en avant le sérieux risque d'un effondrement de l'économie. Mais la stratégie occidentale comporte de nombreuses limites. En effet, le contexte d'interdépendance économique mondiale, ajouté au fait que la Russie a un très faible taux d'endettement et peut s'appuyer sur des réserves estimées à 450 milliards de dollars, remet sérieusement en doute l'idée d'un effondrement de l'économie russe, au moins à court et moyen terme.
Aussi, M. Poutine se voulait rassurant parce qu'il sait qu'il possède encore de sérieux atouts et qu'il est urgent, dans l'immédiat, de rassurer la population et surtout les investisseurs. De leur côté, les Occidentaux peuvent sérieusement craindre, exemples à l'appui, que les sanctions n'aient pas les effets escomptés et qu'ils n'aboutissent en fin de compte qu'au durcissement de la position russe en exacerbant son nationalisme et sa défiance envers la politique occidentale.
(Lire aussi : L'UE accentue encore la pression sur Moscou)
Sentiment d'humiliation
Vladimir Poutine n'est pas le chantre de l'antimondialisation, ni le porte-parole du tiers-monde. Lorsqu'il décrit l'Occident comme un « empire », il vise, avant toute chose, à protéger les intérêts de la Russie dans son espace d'influence. Car ce que les Russes ne peuvent plus supporter, c'est ce sentiment d'humiliation et d'encerclement par rapport à l'Occident depuis la fin de la guerre froide. M. Poutine l'a parfaitement compris et s'en sert allègrement, quitte à réduire son partenariat avec son voisin historique, l'Europe, au profit de l'extrême Asie. En témoigne l'annonce, il y a quelques semaines, de l'abandon du projet de gazoduc South Stream.
Le président russe défend une autre vision des relations internationales, profitant non seulement des carences et des nombreuses contradictions de la politique occidentale, mais aussi d'une propagande aux mécanismes bien huilés. Caricaturée comme un retour à la guerre froide, probablement par facilité d'analyse, cette nouvelle confrontation apparaît plutôt comme un profond désaccord sur les valeurs sociétales et sur les rapports de l'État à la mondialisation. Car loin d'être un héritier de l'URSS, encore plus loin d'être le « nouveau Hitler » comme l'avait désigné Hilary Clinton, Vladimir Poutine apparaît plutôt comme un homme du XIXe siècle : croyant, fier, nationaliste, romantique et belliciste. Et ce dernier se sert constamment de la diabolisation avec laquelle il est représenté, sans doute à tort, dans les médias occidentaux, pour se présenter comme le porte-parole de l'autre voie.
Pourtant, et malgré les discours provocants des deux parties, le principal ennemi désigné par la Russie actuellement est le même que la coalition combat en Irak et en Syrie : à savoir l'islam radical. Pas une nouvelle guerre froide donc, mais plutôt un bref aperçu d'un contrepoids politique plutôt sain pour l'équilibre général des relations internationales.
Lire aussi
Sur l'Ukraine, le maître du Kremlin persiste et signe
La Banque centrale russe tente d'enrayer l'impact de la chute du rouble
commentaires (5)
TSAR ET CHANTRE ANTI IMPÉRIALISTE... çA NE VAS PAS !
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 10, le 19 décembre 2014