Ce n'est pas une surprise. Tout le monde s'attendait à ce que la résolution concernant la reconnaissance de l'État palestinien soit adoptée hier par les députés français. Mais ce n'est pas pour autant un non-événement, bien au contraire. Au-delà de la portée symbolique de cette résolution adoptée avec 339 voix pour et 151 contre se pose désormais sérieusement la question de la reconnaissance officielle, par le biais du pouvoir exécutif et plus particulièrement du président de la République, de l'État palestinien. C'est-à-dire, plus concrètement, la reconnaissance d'un État ayant pour territoire les frontières de 1967 et ayant comme capitale Jérusalem-Est. Et même si le gouvernement n'est absolument pas tenu, d'un point de vue juridique, de réagir à l'adoption de cette résolution, il semblerait qu'il ait réellement l'intention de le faire.
C'est en tout cas l'avis de Gwendal Rouillard, député PS de la circonscription de Lorient, interrogé par L'Orient-Le Jour. « J'en ai parlé plusieurs fois avec le président Hollande, et je suis convaincu qu'il reconnaîtra la Palestine dans les mois qui suivent. Il a tout à fait conscience des enjeux de cette question », explique M. Rouillard. Selon lui, la résolution doit être perçue comme une étape vers la paix dans laquelle la France compte jouer un rôle important, en témoigne sa volonté d'organiser une conférence internationale pour faire avancer les négociations israélo-arabes à Paris. « C'est aussi un message très clair adressé au gouvernement israélien : la colonisation est une illusion pour la paix. Elle joue clairement contre la paix et participe à la frustration et à la radicalisation palestinienne », argumente encore M. Rouillard. Aussi, le député constate que les négociations n'ont mené à rien depuis 1947 et estime qu'il est désormais urgent de faire avancer les choses et de ne pas laisser s'installer ce statu quo. Ce dernier admet d'ailleurs bien volontiers que cette décision marque une rupture historique avec le positionnement traditionnel du Parti socialiste sur la question, plein d'empathie par le passé, pour rester nuancé, vis-à vis d'Israël. « Le PS évolue à l'image des Français », explique-t-il. Et s'il admet avoir subi des pressions, de la part de certains collègues, il répond aux arguments de ceux qui se sont opposés à ce texte par les termes suivants : « De toute façon pour eux ce n'est jamais le moment et cela ne serait jamais le moment. »
« Flatter l'électorat des banlieues »
Cet avis n'est pas partagé par tous, et certainement pas par Alain Marsaud, député de la 10e circonscription pour les Français de l'étranger, interrogé par L'Orient-Le Jour. C'est le moins que l'on puisse dire. Évoquant « l'inconstitutionnalité » de la démarche aussi bien que son « respect de l'esprit gaulliste », M. Marsaud a décidé de ne pas prendre part au vote. Selon lui, cette manœuvre n'est destinée qu'à « flatter l'électorat des banlieues que le PS a perdu suite à l'affaire du mariage pour tous ». Il est d'ailleurs convaincu que ce serait le gouvernement qui aurait incité les députés PS à voter cette résolution, car il n'aurait pas lui-même le courage d'assumer cette prise de position. « Je suis absolument certain que François Hollande ne reconnaîtra pas la Palestine et que tout ceci n'est qu'une opération de politique intérieure », ajoute-t-il. De plus, s'il reconnaît que la Palestine est « un territoire occupé » et que « le statu quo est épouvantable », il estime cependant que les deux partis ne montrent pas une réelle volonté de faire la paix, mettant sérieusement en doute la sincérité de la démarche palestinienne. « L'occupation territoriale est inexcusable, mais ce n'est pas le vote du Parlement français qui fera évoluer la situation. Il faut mener une sérieuse opération de conviction. Aujourd'hui l'équation est simple : comment convaincre Israël de reculer ? Et je crois que ce vote risque au contraire de radicaliser la position israélienne », ajoute le député.
(Pour mémoire : La reconnaissance de la Palestine, une carte diplomatique et essentiellement symbolique)
« Ça commence à bouger »
À vrai dire, sans compter le fait que l'argument de l'inconstitutionnalité ne tient pas vraiment la route puisque la résolution a été adoptée conformément à l'article 34-1 de la Constitution et que par conséquent elle n'a aucune valeur contraignante, sur le plan juridique, envers l'exécutif français, les arguments avancés par M. Marsaud n'apparaissent pas complètement convaincants. Parce qu'après les Parlements britannique et espagnol, ce n'est pas un hasard, et certainement pas uniquement pour des questions internes, que l'Assemblée nationale a voté cette résolution. Cela traduit plutôt, comme le résume très bien Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités en sciences politiques et directeur de
l'iReMMO, interrogé par L'Orient-Le Jour, que « l'Europe a une forme de compréhension plus précise du sujet et que tout le monde a pris conscience de la nécessité de trouver une nouvelle forme de négociation internationale, notamment par le biais du Conseil de sécurité des Nations unies ». « Il est déjà remarquable de constater que tous les États du monde, à l'exception des grandes puissances occidentales et de leurs proches alliés, ont déjà reconnu l'État palestinien. Cette question symbolisait une réelle fracture entre l'Occident et le reste du monde. Ça commence à bouger », observe M. Chagnollaud.
Réaction prudente des USA
Sur le plan diplomatique, les réactions ont été immédiates. L'ambassade israélienne à Paris a estimé dans un communiqué que cette initiative « éloignait les possibilités de paix » et constituait un « message erroné ». Pour l'État hébreu en effet, la reconnaissance de la Palestine avant tout règlement du conflit est une « grave erreur », et procède d'une « décision unilatérale » qui ne peut qu'aggraver la situation. À Ramallah, l'Autorité palestinienne a pour sa part salué le vote de l'Assemblée française. Hanane Achraoui, une dirigeante de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a exprimé dans un communiqué « sa gratitude au peuple français » et appelé « le gouvernement français à traduire le vote de son Parlement en acte ».
Enfin, les États-Unis ont réagi avec prudence en réaffirmant leur attachement à des négociations directes entre Israël et les Palestiniens. La porte-parole du département d'État Marie Harf n'a pas formellement condamné la résolution votée par une large majorité de députés français, soulignant simplement que ce texte n'était « pas contraignant » et que « la position du gouvernement français sur cette question n'avait pas changé ».
Après la Russie, après la Chine, après les Parlements britannique et français, le monde a maintenant les yeux rivés vers les États-Unis, à qui il incombe désormais de reconnaître à leur tour l'État palestinien et de prouver de la sorte au reste du monde sa réelle volonté de sortir de cet état de crise interminable. Et de se montrer ainsi à la hauteur de son statut et de l'histoire.
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commentaires (5)
Il l'aura....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
08 h 00, le 04 décembre 2014