Il s'appellait Tarkan, il est né dans l'un des six villages des gorges de Pankissi, peuplés de Kistes, des descendants de Tchétchènes ayant émigré en Géorgie. Il a combattu au sein de l'armée géorgienne, entraînée par les États-Unis, et il a même été promu sergent après la guerre russo-géorgienne de 2008, avant d'être réformé car tuberculeux. Et pourtant... Il est devenu l'un des plus redoutés commandants de l'État islamique. On le connaît dorénavant sous le nom d'Omar al-Chichani, le « Tchétchène » en arabe.
Selon un agent des services géorgiens de sécurité, en 2008, Tarkhan est arrêté quelques mois plus tard et condamné à trois ans de prison pour vente d'armes aux rebelles tchétchènes. Son père, Temour Batirachvili, un fermier de 70 ans, raconte comment son fils est devenu Omar al-Chichani : « Ces années en prison l'ont changé. Il s'est converti à l'islam. Avant, il n'était pas religieux », puis « un jour il m'a dit : Papa, ce pays n'a pas besoin de moi ». Depuis, M. Batirachvili n'a pas revu son fils, parti avec des dizaines d'autres Kistes rejoindre les rangs de l'EI en Syrie et en Irak. Le vieil homme se rappelle, « il m'a appelé deux fois seulement de Syrie. Il m'a demandé si je priais. Bien sûr que je prie, je lui ai dit. Je prie saint Georges. Et il a raccroché ».
Selon Chota Outiachvili, un haut responsable du ministère géorgien de l'Intérieur, « jusqu'à 70 personnes venant des gorges de Pankissi sont actuellement en train de combattre avec les jihadistes de l'EI. Il n'y a pas d'islamistes radicaux en Pankissi », assure-t-il néanmoins. « Il y a peut-être des gamins Kistes fiers de Tarkhan, leur célébrité mondiale, mais si c'était un joueur de football, alors ils voudraient tous jouer au foot », rassure-t-il.
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C'est à cause de la misère...
D'ailleurs, la vallée de Pankissi s'est forgé une réputation dès le début de la première russo-tchétchène (1994-1996) en devenant le refuge des indépendantistes tchétchènes et de plus de 10 000 réfugiés. Avec l'aide des États-Unis, le gouvernement pro-occidental géorgien de l'ancien président Mikheïl Saakachvili avait réussi en 2004 à chasser hors de son territoire les séparatistes, qui y organisaient encore des attaques contre l'armée russe. Mais leur présence prolongée a influencé la population, dont les traditions religieuses soufies ont été remplacées par des pratiques salafistes, une branche rigoriste de l'islam. « Le salafisme est désormais la forme dominante de l'islam en Pankissi », explique le journaliste Soulkhan Bordzikachvili, qui vit dans un des villages des gorges, Jokolo. Dans le village natif de Chichani, Birkiani, un vieil homme s'inquiète de la poussée de salafisme que connaît sa région et qui menace, dit-il, « l'existence même de l'identité culturelle des Kistes ». Un grand-père, qui souhaite garder l'anonymat témoigne : « La jeunesse kiste est majoritairement salafiste, les jeunes ne se considèrent plus désormais comme Kistes ou Géorgiens mais uniquement comme des musulmans. »
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Pour Khaso Khangochvili, membre du conseil des aînés de Pankissi, « c'est la pauvreté et le chômage qui font partir les jeunes Kistes de Pankissi. Ils cherchent du travail en Turquie et certains finissent à combattre en Syrie », à seulement une journée de voiture de la Géorgie. Le père d'Omar al-Chichani explique : « Quand Tarkhan a guéri (de sa tuberculose), il était prêt à rejoindre à nouveau l'armée, ils lui ont promis un travail, mais ils n'ont jamais tenu leur promesse », il continue, « si mon fils avait eu ne serait-ce qu'un peu d'espoir de vivre une vie meilleure en Géorgie, il ne serait jamais parti ».
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LA LIBRE EXPRESSION
20 h 51, le 26 novembre 2014