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Liban - Biographie

Derrière l’hymne national... le génie musical de Wadih Sabra

Dix-huit ans avant le fameux 22 novembre 1943, Wadih Sabra, un génie musical, mettait « Koullouna Lel Watan » en musique.

Wadih Sabra.

La fête de l'Indépendance est souvent une occasion pour se replonger dans les secrets du patrimoine libanais. L'on a souvent pris plaisir ainsi à réécouter pour la énième fois l'histoire de Béchara el-Khoury, Riad el-Solh, Camille Chamoun, Sélim Takla, Abdul Hamid Karamé et Adel Osseirane, détenus à la citadelle de Rachaya. Ou encore celle de ces sept autres députés parvenus seuls à s'introduire dans l'enceinte du Parlement dans la matinée du 11 novembre, pour altérer les couleurs du drapeau de la nation. L'hymne national, quant à lui, est indissociable de cette célébration nationale du 22 novembre, souvent entonné d'une seule voix ce jour-là par les élèves de toutes les écoles.

Peu savent pourtant que ce Koullouna Lel Watan, écrit par Rachid Nakhlé et mis en musique par Wadih Sabra, a en fait précédé l'indépendance du Liban d'une quinzaine d'années. En 1925, déjà, sous le mandat français, Wadih Sabra composait cette musique avant qu'un décret du 12 juillet 1927 n'adopte officiellement l'œuvre de Sabra et de Nakhlé comme nouvel hymne national qui sera entonné dans toutes les cérémonies officielles, après une sélection de diverses propositions récoltées dans le pays. Fait notable rapporté par Joseph et Adonis Nehmé dans leur ouvrage publié en 2013 : parmi les textes non retenus par le jury chargé de choisir le meilleur hymne figuraient celui de Abdel-Halim Hajjar, mohafez du Liban-Nord, et celui de Chébli Mallat, qui comportait une belle touche féministe puisqu'il commençait par ces vers : « Filles des Cèdres/Chantez-nous/Les symboles de nos cèdres hautains... »

C'est donc finalement Koullouna Lel Watan (Tous pour la patrie, pour la gloire et le drapeau) qui l'emportera et qui survivra aux changements de 1943, conférant à Wadih Sabra une renommée nationale pérenne. La sélection d'une musique écrite par un compositeur ayant étudié en France n'est pas sans raison et traduit la forte exposition de Beyrouth à la culture occidentale en ce temps-là. Pourtant, et si la plupart des œuvres de Wadih Sabra sont aujourd'hui perdues, à l'exception de l'hymne national, les experts s'entendent à le désigner comme le père fondateur de la musique savante libanaise et dont la réputation ne se serait pas uniquement fondée sur la composition de Koullouna Lel Watan. Son parcours musical, en effet, révèle l'histoire d'un homme qui a été admiré par de grands noms de son temps dans le domaine musical. Sa biographie est rapportée comme suit par le père Joseph Tannous.

 

 

 

 

Un enfant prodige de la musique
C'est en 1876, un 23 février, que Wadih Sabra naît à Aïn el-Jdeidé, à Bhamdoun, au sein d'une famille protestante. Ses parents travaillent respectivement comme directeur et enseignante à l'École britannique de Beyrouth, et c'est là qu'il commence son éducation avant de poursuivre ses études à la faculté américaine, qui deviendra plus tard l'Université américaine de Beyrouth. Ses études musicales commencent sous la direction de Grace Amine Chakkour, de Théodora Kassab et du baron autrichien Von Rublein. En 1892, une bourse du consulat français à Beyrouth lui permet de poursuivre ses études musicales au conservatoire de Paris. Il fait alors une rencontre capitale avec le grand compositeur français Camille Saint-Saëns, qui devient son maître et dont il apprend l'écriture musicale, l'harmonie et le contrepoint. Il apprend notamment la composition musicale avec Max d'Olonne et achève ses études en un an, au lieu des trois ans requis habituellement. Il suit également les cours de Paul Vidal et d'Alexandre Guilmant en accompagnement à l'orgue et au piano, ainsi que les cours d'histoire de la musique et du chant sous la direction du chef d'orchestre et compositeur connu Louis-Albert Bougault-Ducoudray.
Durant son séjour à Paris, le jeune Wadih Sabra n'oublie pas ses racines et se consacre à l'étude et à la diffusion de la musique arabe en Europe. Il rédige ainsi de nombreux ouvrages, notamment La musique arabe au service de l'art contemporain et La musique arabe, base de l'art musical occidental. Il tente également d'étudier les meilleurs moyens d'intégrer la notion d'harmonie occidentale à la musique libanaise.

(Pour mémoire : Drapeau et hymnes libanais)

 

Gloire, exil et mort
En 1908, le musicien revient provisoirement au Liban. Fort de sa solide éducation musicale, il participe à un concours pour l'élaboration de l'hymne national ottoman et le remporte sans surprise. Après une visite en Turquie, à Constantinople, où il est invité officiellement, il est affecté pour 15 mois au poste de chef d'orchestre de la marine ottomane à Istanbul. L'ensemble interprétera l'hymne en question à Paris et à Londres. À son retour au Liban, en 1910, le compositeur fonde une école de musique, qui deviendra en 1929 le Conservatoire national supérieur de musique de Beyrouth. En 1910, et suite à un décret du sultan Abd al-Hamid, il édite un journal musical mensuel, une première dans le monde arabe.

Lors de la Première Guerre mondiale, Wadih Sabra est exilé en Turquie, en 1915. Il y fonde et dirige, sous la contrainte, un institut de musique. Il n'est autorisé à rentrer au Liban qu'en 1917, lorsqu'il dirigera l'orchestre de la gendarmerie jusqu'à sa démission en 1920 pour se consacrer à son école de musique, fermée durant la guerre. En 1919, il revient à Paris pour présenter au physicien Gustave Lyon le résultat de ses recherches relatives à la gamme musicale orientale. La salle Pleyel lui ouvre ses ateliers d'acoustique, permettant au Libanais de faire fabriquer deux pianos adaptés à la musique orientale et un instrument monocorde : un piano pour musique orientale et occidentale à la fois. Entre 1922 et 1925 s'enchaînent ensuite plusieurs tournées réussies en Europe et dans quelques pays arabes, où le musicien présente ses recherches relatives à la musique et ses inventions avant de présider, en 1932, la délégation libanaise au premier Congrès de la musique arabe tenu au Caire. Avec d'autres participants, Wadih Sabra parvient à faire refuser une proposition visant à diviser la gamme arabe en 24 degrés par gamme.

Wadih Sabra est mort le 10 avril 1952 des suites d'un problème cardiaque. Sa fille adoptive, Badiha Haddad (1923-2009), de son mariage avec Adèle Misk, deviendra cantatrice d'opéra et professeur de chant à l'École nationale de musique de Beyrouth ainsi qu'à la faculté de musique de l'Usek. Avant son décès, Wadih Sabra avait souhaité lui transmettre intégralement le résultat de ses recherches et sa bibliothèque, mais son héritage fut finalement partagé entre le neveu de son épouse, sa fille et l'Institut national de musique. Les documents conférés par Adèle Misk à son neveu, étant elle-même en mauvais termes avec sa fille adoptive, furent perdus dans un incendie. Et Badiha retrouva avec effroi, en 1977, les documents légués à l'institut national dans une poubelle du conservatoire, comme elle le confia à la Revue du Liban cette même année. Parmi les compositions de son père, à jamais perdues, le premier opéra en langue turque (Les Bergers de Canaan), le premier opéra en langue arabe (Les Deux Rois, 1929), et un opéra en langue française (L'Émigré). À cela s'ajoutent 30 variations pour piano et orchestre sur des airs orientaux, un oratorio (Le Chant de Moïse) et d'autres œuvres vocales. La rue Wadih Sabra porte aujourd'hui son nom, à Hamra.

 

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