Même si Tammam Salam a eu la bonne idée d'annuler toutes les célébrations, entre palais de Baabda désert des Tartares et militaires toujours affreusement otages, c'est pourtant bien la première fois depuis près de quarante ans que les Libanais peuvent, que les Libanais auraient dû, fêter l'indépendance de leur pays. Ou le début de sa résurrection. Ou quelque chose qui lui ressemble furieusement.
Ils peuvent dire merci à deux hommes.
Le premier s'appelle Marwan Hamadé. Ce que ce miraculé a fait à Leidschendam dans le cadre du Tribunal spécial pour le Liban chargé de poursuivre, en vertu du droit international, les auteurs d'actes criminels liés à l'assassinat de Rafic Hariri, est d'une simplicité et d'une efficacité redoutables. En (ra)contant, tout, du background politique aux exactions de Bachar el-Assad et de ses sbires libanais en passant par les moindres détails de ces mois de plomb, qui allaient du renouvellement du mandat Lahoud au retrait des troupes syriennes du Liban, l'élu de la nation, victime d'un attentat à la voiture piégée en 2004, a posé un geste d'une folle amplitude. Au commencement est le verbe. Et le verbe est avec la justice et le droit. Et le verbe est justice et droit. Ce que Marwan Hamadé a énoncé en plein tribunal, tout le monde ou presque le savait : ce n'est pas tant ce qu'il a dit qui compte que le fait qu'il l'ait dit, qu'il ait transformé les chairs calcinés du martyrologe politique libanais du IIIe millénaire en verbe, et que ce verbe ait été (re)transcrit noir sur blanc dans les procès-verbaux d'une instance judiciaire internationale. Que ce verbe soit donc officialisé. Sacralisé. Et sanctuarisé. Quand l'impunité inouïe qui prévalait durant la tutelle puis l'occupation syrienne et qui continue de régner, de facto, de par les grâces d'une milice, prend son premier coup en pleine gueule, quand la dépendance à de vieux réflexes commence à être dynamitée, le tout en public, un certain sens, un sens certain est redonné à ce 22 novembre exsangue.
Le second s'appelle Michel Sleiman. En refusant que son mandant soit prorogé, fût-ce d'un jour ou d'un mois, l'ex-chef d'État a brisé, volontairement ou pas peu importe, une malédiction qui durait depuis bientôt quinze ans, qui représentait depuis la débâcle suprême de Michel Aoun au début des années 90, l'humiliation suprême (Rafic Hariri s'était cassé le bras après avoir voté, à main levée, le renouvellement du mandat Lahoud) : pendant presque quinze ans, ce n'étaient plus les Libanais qui choisissaient leur président. Élias Hraoui et Émile Lahoud ont été imposés et prorogés par Bachar el-Assad, et Michel Sleiman, avant sa transmutation en homme d'État, est né du blitzkrieg du Hezbollah contre Beyrouth et la Montagne en 2008, même pas ici, mais à Doha, l'anti-Taëf absolu. Quinze années durant lesquelles les députés libanais, à l'exception de cette superbe liste d'honneur initiée par les parlementaires joumblattistes, avaient appris à s'essuyer les pieds et tout le reste sur leur fierté et leur dignité Aujourd'hui, le Liban est sans président, certes, en très grande partie à cause de la mono-obsession pathologique et nauséeuse de Michel Aoun, mais au moins, la honte du président parachuté s'est enfin résorbée, même si vite remplacée par une autre, née de notre effarante lenteur à apprendre l'autogestion.
Nous sommes encore bien loin des extases de 1943. Mais quelque chose frémit. Doucement. Il faut juste ne plus jamais éteindre le feu.
Liban - En dents de scie
Vive la fête ?
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 22 novembre 2014 à 00h00
commentaires (9)
Au fond, au fond, ça nous manque un président laquais du petit Hitler de Damas. C'est folklorique. Et le folklore ça distrait un peu; ça fait oublier un petit moment ceux qui, obsédés par leur nombril, nuisent terriblement à ce pays.
Halim Abou Chacra
16 h 48, le 22 novembre 2014