C'est entendu, le tableau qu'offre un Parlement en train de proroger son mandat est franchement détestable ; et l'image de l'interpellation d'un jeune militant de la société civile qui cherche à exprimer son refus de cette grave atteinte à la démocratie l'est encore davantage.
Pourtant, nul ne saurait nier que ce qui a eu lieu mercredi 5 novembre 2014 dans l'hémicycle était salutaire : on a tout simplement fait le nécessaire pour maintenir la République en vie ! Dans le coma, certes, mais en vie. Et l'alternative était rien de moins que l'euthanasie de l'État libanais.
Pour une bonne frange de l'opinion publique, de plus en plus déconnectée des réalités politiques du pays, pour ne pas parler de l'ensemble de la région, ces notions d'État vivant ou mort, actif ou comateux, peuvent paraître très relatives. « Il n'y a pas d'État » est peut-être l'affirmation la plus prisée des Libanais depuis que le Liban existe politiquement, si ce n'est depuis que cette terre est habitée.
Mais ces notions sont à présent relatives parce que de plus en plus d'individus et de corps constitués de la société civile, y compris au sein de l'élite bourgeoise et intellectuelle, ont tendance à regarder la classe politique libanaise comme si elle était une entité indépendante, dont les composantes seraient liées entre elles par des intérêts spécifiques et suspects, différents de ceux des gouvernés.
De là l'espèce de dégoût manifesté par nombre de nos compatriotes face à cette malheureuse prorogation de leur mandat par les députés. Ces derniers ont été conspués comme s'ils se livraient à un acte honteux, alors même qu'ils (ou du moins la plupart d'entre eux) faisaient leur devoir minimal d'« assistance à État en danger ».
Le Liban est malade dans son système et sa démocratie, c'est une évidence. Et cette maladie ne touche pas que sa classe politique. Croire le contraire serait faire preuve d'ignorance ou de simplisme. Or faut-il achever le malade si, à ce stade, nous ne possédons pas encore le remède pour le guérir ? Un jour, ce remède sera disponible, sans nul doute. Ce jour-là, nous serions reconnaissants à ces députés d'avoir maintenu l'État libanais en vie.
C'est d'ailleurs à peu près la seule bonne décision qu'ils auront prise depuis assez longtemps. Car la prorogation de la législature n'est pas, en soi, le problème. Elle représente une étape obligatoire dans un processus qui est vicié depuis des lustres.
Pour ne pas remonter au Déluge, arrêtons-nous à l'accord de Taëf, qui ouvrit la voie, il y a un quart de siècle, à la période de l'après-guerre. Dès le début, la tutelle syrienne faussa le jeu et entrava les rouages ordinaires de la démocratie, qui n'avait été rétablie que dans la forme.
La fin de la tutelle, en 2005, aurait pu changer la donne, mais c'était compter sans le nouveau clivage politique qui commençait à prendre de l'ampleur tant au plan régional que sur la scène libanaise, à savoir le conflit sunnito-chiite.
Taëf, confectionné sur mesure pour répondre aux besoins de règlement de l'ancien clivage islamo-chrétien, ne pouvait rien contre la nouvelle donne. De fait, si l'on applique la Constitution à la lettre, les gouvernements peuvent être formés au Liban sans que les chiites n'aient véritablement leur mot à dire là-dessus, et cela malgré les énormes prérogatives que la présidence de la Chambre s'est octroyée.
Dès lors, pour pallier cette « lacune », le statut particulier du Hezbollah et ses capacités militaires ont été mis dans la balance... Avec les résultats que l'on sait.
De plus, une sorte de « revanchisme » chrétien, incarné depuis quelques années principalement par le CPL du général Michel Aoun, est venue se coller à cette configuration dans l'espoir d'engranger quelques dividendes, non sans avoir usé et abusé auprès du public chrétien des outils éculés du populisme.
Lorsqu'un parti politique semi-clandestin déclenche une guerre extérieure qui coûtera 1 200 morts et des milliards de dollars au Liban sans que nul ne soit sanctionné par la suite, du moins politiquement, cela signifie déjà que la démocratie libanaise est très malade.
Lorsqu'à la suite d'élections législatives, un gouvernement est formé sans que les résultats du scrutin (la sanction politique, justement) soient pris en compte, cela veut dire que la démocratie est moribonde.
Et lorsqu'un groupe de députés qui entrave l'élection présidentielle depuis plus de six mois prétend vouloir sauver la démocratie en s'opposant à la prorogation de la législature, cela s'appelle : reviens, Poujade !
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commentaires (4)
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Soeur Yvette
12 h 18, le 07 novembre 2014