Comme attendu, la Chambre a prorogé hier son mandat d'une durée de deux ans et sept mois. La proposition de loi sur la rallonge parlementaire a recueilli 95 voix, seuls les deux députés Tachnag s'y étant opposés. La couverture chrétienne a été renforcée par le vote des FL et des Marada, les députés aounistes et les Kataëb ayant refusé de se rendre à l'hémicycle.
Au début de la réunion parlementaire, après un débat initié par le député de Denniyé Ahmad Fatfat sur le déséquilibre dans la distribution des aides aux régions démunies, le député-ministre du 14 Mars, Boutros Harb, s'est levé pour prendre la parole.
« Je tiens à rappeler que la République libanaise est sans président et que le quorum des deux tiers (exigé pour la tenue de la séance électorale, NDLR) est assuré aujourd'hui. La priorité étant à la présidentielle, j'appelle à convertir cette réunion parlementaire en séance électorale », a-t-il déclaré.
Son ton était sobre, comme la simplicité du scénario qu'il a souhaitée. Une impression pesait, silencieusement, le temps d'une seconde, sur l'hémicycle : la présidentielle est possible, ici et maintenant. Mais c'est comme si une paroi invisible séparait le pays de cette éclaircie que l'on aura à peine effleurée hier.
Le député Nicolas Fattouche, auteur de la proposition de loi sur le mandat parlementaire, a vite fait d'intervenir pour rompre cette réflexion intime des observateurs. « Nous avons été notifiés que cette réunion ne sera pas consacrée à l'élection d'un président de la République », a-t-il déclaré, souhaitant « la limiter à l'ordre du jour, en attendant la prochaine séance électorale, prévue le 19 du mois courant ».
Prenant la parole après lui, le député des Forces libanaises, Antoine Zahra, a repris d'une manière concise la teneur de l'appel de Boutros Harb, mais sans élan ni passion.
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Afin de mettre un terme à ce débat de pure forme, le président de la Chambre a trouvé une formule médiane qui sied à tous : « Tous veulent l'élection d'un président de la République, a-t-il présumé, mais chacun veut cette élection comme bon lui semble. Finissons de l'ordre du jour de la réunion législative, et nous la convertirons ensuite en séance électorale, avec l'accord des députés. » Cette formule édulcorée lui a même valu les applaudissements de plusieurs députés du Futur et des Forces libanaises.
L'examen de la proposition de loi sur la rallonge parlementaire a été précédé par le rejet de la proposition d'amendement des délais électoraux. Cette proposition n'a pas été débattue, n'ayant pu recueillir le vote visant à lui donner le caractère de double urgence.
En revanche, la proposition sur la rallonge parlementaire a été immédiatement frappée du caractère de double urgence. Le débat s'est ensuite ouvert sur une remarque du député Sleiman Frangié, chef du courant des Marada, se détachant du fond de l'hémicycle, où il a l'habitude de s'asseoir. « Je souhaiterais que le climat des zones montagneuses soit pris en compte comme entrave à la tenue des législatives en automne », a-t-il déclaré.
Cette remarque ponctuelle a été suivie par le plaidoyer du député Nicolas Fattouche en faveur de sa proposition de loi. Il s'agissait plutôt d'une tirade, dûment préparée avec un zèle presque loufoque. « Je sais très bien que la prorogation du mandat parlementaire est contraire aux normes. C'est ce que nous répétons à nos étudiants dans les universités et dans nos ouvrages », a-t-il souligné, avant de s'attaquer directement, sur un ton plus grave, à la problématique qui se pose, à savoir les circonstances exceptionnelles. Il s'est alors lancé dans un exposé élémentaire de cette notion, qu'il a étoffé de références et de citations.
Un bruit de fond parasitait le début de son exposé, cédant la place progressivement à un silence, où la gestuelle des députés devenait plus expressive : les rires à peine contenus de certains, les yeux grands ouverts d'autres, surpris par moments par les variations de ton du député Fattouche et son articulation forcée lorsqu'il a évoqué « la compétence liée du Parlement, qui devra mettre un terme à son mandat lorsque les circonstances normales sont rétablies ».
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Son exposé n'a pas ménagé les détracteurs de la prorogation, notamment la société civile, « qui se trouve ici et là, et qui ne sait rien du droit ». Cette affirmation sera contestée par le ministre-député Nabil de Freige, priant le président de la Chambre de rayer cette observation du procès-verbal de la réunion.
Chaleureusement salué par les députés du bloc de la Résistance à l'entrée de l'hémicycle, Nicolas Fattouche a mis en garde enfin, presque paradoxalement, contre le danger d'une Assemblée constituante. Cette dernière remarque a été confortée par le président Berry, qui a souligné « le danger de la Constituante en l'absence des institutions ». Il a même demandé d'insérer cette considération dans l'exposé des motifs de la loi.
Le président Berry a affirmé en outre son intention de « relancer immédiatement les réunions de la commission septuple chargée d'élaborer une nouvelle loi électorale, pour achever sa mission dans un délai d'un mois ».
« Et si aucune entente n'est obtenue dans un mois ? » lui a alors demandé Boutros Harb. « Alors je soumettrai toutes les propositions à l'opinion publique qui choisira celle qui lui convient », lui a-t-il répondu, sur un ton confiant et sérieux.
Après la remarque du député Marwan Hamadé, qui a jugé « nécessaire de donner la priorité à l'élection d'un président de la République », le président Berry a apporté des précisions sur ce point, retenues dans le procès-verbal. « Dès l'élection d'un nouveau président de la République, nous élaborerons la nouvelle loi électorale, et si les circonstances exceptionnelles ont disparu, nous écourterons le mandat du Parlement pour tenir des législatives », a-t-il précisé, annonçant pour ainsi dire la feuille de route qui doit se dessiner, idéalement, jusqu'en 2017.
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Aux arguments sécuritaires presque oubliés hier, n'était le rappel de Ziad Kadry, un argument principal s'est ajouté, longuement développé par Nabih Berry : le respect du pacte national. « Depuis mon élection en 1992 à la présidence de la Chambre, j'ai toujours veillé à empêcher le vote de toute loi susceptible d'ébranler le pacte national. Le revirement radical de ma position sur la prorogation du mandat avait pour cause le ferme refus opposé par un bloc essentiel, le bloc du Futur, à la tenue des législatives. Procéder aux élections porterait le germe d'une discorde », a-t-il souligné.
Au milieu des arguments avancés, renforcés par la comparaison entre l'euthanasie et les législatives, établie par le député Boutros Harb, les députés des Forces libanaises ont demandé de se retirer de la salle pour « une réunion de cinq minutes, afin de nous concerter par téléphone avec le leader des FL et déterminer notre position ».
Cette demande a été formulée par le député Georges Adwan. « Dès le départ, notre position était claire et favorable à la tenue des législatives. C'est dans ce cadre d'ailleurs que nous avions présenté une proposition de loi pour amender les vices procéduraux (relatifs notamment aux délais électoraux, NDLR). Aujourd'hui néanmoins, le choix n'est plus entre la prorogation et les législatives, mais entre la prorogation et le vide. Or, depuis 2005, notre choix est de préserver les institutions de l'État. Ceci nous a valu des prises de position nationales, auxquelles manquait peut-être le soutien populaire nécessaire », a-t-il déclaré.
Lorsque le bloc des FL est revenu à l'hémicycle, le député Adwan a annoncé la décision de son bloc d'entériner la prorogation du mandat, « à cause de l'impossibilité administrative et logistique de tenir les élections ».
Il a estimé surtout que cette prorogation doit incarner l'essence du pacte national. « Je saisis l'occasion pour m'adresser à nos collègues du Hezbollah, dont le secrétaire général a appelé à une entente sur la présidentielle, ainsi qu'au président Nabih Berry, Walid bey Joumblatt et toutes les parties politiques. Allons ensemble vers un consensus sur la présidence de la République. Nous tendons la main à tous en faveur d'un compromis, et que ceci soit retenu dans le procès-verbal », a-t-il dit.
La perspective d'un dialogue s'est ébauchée hier à l'hémicycle, alors qu'à l'autre bout de la rue les manifestants s'évertuaient à crier à l'anticonstitutionnalité de la prorogation. Leurs slogans accusent tous les députés, y compris ceux dont la demande d'élire un nouveau président de la République est restée lettre morte hier.
Au début de la...
commentaires (8)
La médiocrité endémique au pouvoir s'auto-proroge ...comme si le cancer , faisait un pied-de-nez public aux antibiotiques....!
M.V.
16 h 30, le 06 novembre 2014