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Moindre mal, mal quand même

Le temps n'est plus hélas où le monde n'était pas assez vaste pour les Libanais, où leur ambition ne connaissait pas de plafond, où leur pays était le passage obligé, incontournable, entre Orient et Occident. Nous ne sommes plus désormais enviés de personne, après avoir longtemps fait pâlir d'envie nos voisins.


Surgi des sables dans le même temps que nous étions trop occupés à nous entre-tuer pour un lopin de terre, l'émirat de Dubaï nous a ravi notre place de centre d'affaires. Pays d'asile depuis des temps immémoriaux, le Liban a trop collé à sa belle étiquette et s'est mué, sans en avoir les moyens matériels, en havre, en miséroir de réfugiés, palestiniens d'abord, syriens par la suite. Pays de lumières, le Liban s'est avéré impuissant à se doter d'un réseau électrique digne de ce nom, et c'est à la faveur d'une singulière privatisation sauvage que le courant est assuré par la tentaculaire mafia des générateurs de quartier.
De même, le Liban passait naguère pour le château d'eau de la région ; or, ce liquide de vie, plus précieux encore que le pétrole, les mêmes et envahissants voisins n'ont cessé de le convoiter, nous accusant par-dessus le marché de le laisser se perdre dans la mer sans profit pour personne. Eh bien, ils n'ont plus grande raison de nous jalouser : criblé de trous, transformé en passoire, le tonneau est en train de se vider, et il y a pénurie d'eau même pour les Libanais. Bien que devenue particulièrement avare de ses pluies, Dame Nature n'est pas seule en cause. Le principal coupable, disent en effet les experts, c'est des décennies entières d'insouciance, de négligence, de vagues expédients. Ainsi sont apparues à leur tour, par génération spontanée, une multitude d'officines autopromues pourvoyeuses d'eau douteuse, en lieu et place de l'État.


Non moins vitale que sa terre et ses eaux est cependant l'âme d'un pays. Celle du Liban tient en deux éléments, absolument indissociables d'ailleurs : volonté de vivre en commun et libertés démocratiques. Voilà qui suppose d'inévitables, d'éternels compromis. Mais pas des compromissions, considérées (bien à tort) comme salvatrices et qui ne font en réalité que paver la voie à des crises chaque fois plus graves. L'exemple le plus illustre en est l'accord du Caire passé, le couteau sur la gorge, avec l'OLP et qui allait inexorablement accoucher d'une longue et effroyable guerre, dite civile.


D'islamo-chrétienne qu'elle était au départ, la question de coexistence est aujourd'hui islamo-musulmane, sunnito-chiite. Et que reste-t-il donc de la démocratie quand c'est la force armée et non l'urne qui tranche un débat national ; quand on fait fi de la Constitution, arbitre naturel de tous les litiges ; quand l'élection d'un président de la République par l'Assemblée est sabotée par l'absence répétée de quorum ; quand, astreinte par les textes à un strict statut de collège électoral, la même Chambre est sur le point de s'accorder, pour la seconde fois, une nouvelle tranche de vie ; quand la principale raison invoquée est la nécessité d'éviter un vide constitutionnel; quand il est clair pourtant que ce vide est planifié de longue date dans la perspective d'un chamboulement du système libanais ?


Un moindre mal, vraiment, que toutes ces dérives? On peut, pour le moins, se le demander, surtout quand la règle du pis-aller fait école. Et que, sans mauvais jeu de mots, elle fait école à l'université. La suspension, jeudi, des élections des amicales à l'USJ survenait peu après la décision d'un autre établissement d'annuler un scrutin similaire à la suite de vifs accrochages entre étudiants relevant de camps politiques rivaux. Que ces mesures prêtent à controverse peut certes traduire un louable attachement des contestataires – doyens ou étudiants – à la tradition démocratique. Il faut bien constater néanmoins que par un funeste effet de miroir, le ver de la discorde et de la politisation est dans ce fruit – encore vert, pourtant – qu'est la jeunesse universitaire : notre classe dirigeante de demain.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

 

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